Lorsqu’ils ne sont pas sous-équipés en matériel et kits de protection, ces volontaires et professionnels de santé accusent le coup des coupes et retards de paiement de leurs primes de risque.
Les personnels de santé sont contrariés. Ceux chargés de la prise en charge des patients du coronavirus dans les hôpitaux et les centres d’isolement encore un peu plus. Surexposés à un risque d’infection au virus qui a déjà fait 22 morts au Cameroun, ils s’insurgent contre les traitements dont ils sont victimes. Notamment le paiement de la prime de risque et la disponibilité du matériel de protection (les équipements de protection individuelle (EPI), masque de protection, surblouse, gants de soin, bottes, etc.) nécessaire pour la lutte contre cette crise sanitaire mondiale.
Le décès de leur 2e confrère, le Dr Kwedi Felix est venu en rajouter au ressentiment qu’ils peinent désormais à contenir. Le rhumatologue en service à l’hôpital général de Douala est tombé les armes à la main, puisqu’il s’occupait des patients atteints de COVID-19. Infecté, comme 1016 autres personnes selon les statistiques officiels du 16 avril 2020, il a été arraché à la vie par le coronavirus le 15 avril dernier. Suffisant pour remettre au goût du jour, le problème de « Protection insuffisante des médecins », confie un médecin.
« La tendance est effrayante. 20% de décès sont des médecins. Si cette tendance se confirme, combien de médecins seront encore vivants si nous atteignons 20000 morts ? Si le gouvernement maintient cette stratégie qui ne protège pas les soignants, le Cameroun risque de perdre plus de la moitié de ses médecins », prévient le Dr Bassong, ancien président du Syndicat des médecins du Cameroun (Symec).
Colère
La colère couve dans les formations sanitaires. Au Cameroun, 25 personnels de santé ont déjà été infectés par le coronavirus selon les statistiques disponibles au 16 avril 2020. « Aujourd’hui les soldats semblent désemparés. Ils ne sont pas équipés, ils n’ont pas assez de munitions et ils n’ont probablement pas assez de ration pour tenir pendant cette guerre », alerte le Dr Roger Etoa, médecin du travail.
A l’hôpital Central de Yaoundé par exemple, les médecins affectés à l’unité de traitement des patients COVID-19 réinstallé au service cardiologie, ont droit à un masque pour une journée tandis que le reste du personnel reçoit un masque par semaine. « Nous sommes obligé d’acheter nous même ceux qu’on coud au quartier. Pourtant, nous sommes exposés ici », confie une infirmière. Indignée.
Selon le Dr Bassong, « Actuellement, bon nombre de médecins camerounais s’achètent des masques chirurgicaux dans le marché noir. D’autres directeurs d’hôpitaux recourent aux couturiers pour faire des masques en tissu et donner à leur personnel. Ceux qui ont la chance d’avoir des masques censés être utilisés pendant 3 h, les utilisent pendant toute une journée, pour les laver le soir, les repasser et les réutiliser pendant plus d’une semaine ».
Outre l’indisponibilité récurrente des solutions hydroalcooliques, le personnel de l’hôpital central est également confronté aux coupures intempestives d’eau coulante. « Le week-end dernier, il n’y avait pas d’eau. Notamment, samedi et dimanche. Pourtant, on doit se laver les mains », déplore notre source médicale. A l’hôpital Jamot, la situation semble moins préoccupante. Et pour cause, les personnels reçoivent des masques, solution hydroalcoolique et combinaison.
Le cas du Cousp
Au Centre national des Opérations d’urgences de santé publique (Cousp) le top management met un point d’honneur pour mettre à disposition des équipements adéquats (combinaison, bottes pour les wash, visières, lunettes, surblouses, masques de protection, pulvérisateur). Mais cette unité connait également des ruptures de stock. Notamment pour ce qui est des équipements destinés aux Equipes d’intervention rapide (EIR, chargé de prélever les cas) et à la section opérationnelle constitués d’infirmiers, laborantins, épidémiologistes, médecins, psychologues, chauffeurs…
« A ce moment, on ne fait pas de descentes sur le terrain. Même comme ça bloque le travail, notre chef est intransigeant sur cette question», explique un médecin de l’une de ces équipes. Un autre volontaire lui, se souvient d’une scène dans un quartier de la ville de Yaoundé. « Lors d’une descente, on avait été insulté par les habitants de ce quartier qui nous avaient même accusé de vouloir les infecter. Parfois, il nous manque le matériel », regrette ce dernier.
Depuis quelques semaines, les formations sanitaires du Cameroun reçoivent des kits de matériel offert par le Minsanté. Ces kits sont constitués de masques, bottes, blouses, gants et autres désinfectant tels les atomiseurs. « Mais les quantités sont très aléatoires », regrette Sylvain Nga Onana, président de CAP/Santé. Pour mener la bataille contre le coronavirus, le personnel s’en remet à Dieu. « C’est l’Eternel qui nous garde. Quand tu sors le matin, tu dis aurevoir à tes enfants et demande à Dieu de te protéger », confie une infirmière.
Discorde autours des primes
La prime de risque fait aussi des gorges chaudes chez les médecins, les infirmiers et meme les volontaires. Si au ministère de la Santé publique, Manaouda Malachie, le Minsanté, indique que « les primes sont payées et seront même améliorées en fonction de la disponibilité des ressources », l’effectivité de ce paiement sur le terrain demeure sujette à caution. Du côté de l’hôpital Jamot de Yaoundé, les personnels impliqués dans la prise en charge des patients Covid-19 sont rémunérés journalièrement à hauteur de 20 000 Fcfa, indique une source.
Au Cousp, plus de 300 bénévoles et personnels sont aux abois. Depuis environ deux semaines, ils n’ont pas reçu cette prime dont le montant journalier est de 10 000 Fcfa. Soit 70 000 Fcfa par semaine. Mais la situation est plus complexe. Par le passé, ce montant n’aurait pas toujours été versé dans sa totalité. « Déjà qu’elle n’est pas régulièrement versée. Certaine semaine nous avions 30 000 FCFA, parfois 40 000 FCFA ou 50 000 FCFA. Ce qu’on supportait. Avant ils donnaient les frais de transport mais depuis ils n’en donnent plus », confie un de ces volontaires.
Les choses se sont davantage détériorées le lundi 13 avril dernier lorsque les volontaires et les médecins ont été informés de ce que leur prime sera revue à la baisse. Passant ainsi de 10 000 Fcfa à 5000 Fcfa. « Un responsable nous a dit hier (lundi 13 : Ndlr) que ce n’est écrit nulle part qu’on devait nous payer », indique une source au Cousp. « Certains de nos collègues ont même rédigé une lettre de grève. Ils se plaignaient de ce que leurs primes ne sont pas payées », informe un médecin en service au Cousp.
Selon une source interne au Cousp, il est désormais question de décentraliser les équipes et faire partir certains. « Le système des urgences est fait tel que les 30 premiers jours sont centralisés et les autres sont décentralisés », explique notre contact. Une autre source médicale proche du dossier précise que « Le problème de prime est lié au fait qu’il y a eu un souci dans la transmission des données des équipes qui ont l’habitude de travailler. Le montant était plus élevé. C’est tout cela qu’on veut tirer au clair ».
Risque de démobilisation
Selon des syndicats, de nombreux infirmiers ont fait part de leur envie d’abandonner le « combat contre le coronavirus » à cause de ces « mauvaises » conditions de travail. « La situation des personnels de santé est faite d’anxiété au regard du manque de tests, et de tout ce que vous avez déjà évoquer lors de votre reportage », selon Sylvain Nga Onana.
Dans une formation sanitaire de la ville de Yaoundé, des infirmières répudiées par leurs proches par crainte d’être infectés, squattent dans l’enceinte de l’hôpital. « Leur inquiétude est fondée. C’est un phénomène inédit. Aucun pays au monde n’était préparé à cela », explique l’un des responsables de l’Association des Infirmiers et Infirmières du Cameroun. Le 5 avril dernier, Manaouda Malachie a par un tweet, eu « Une pensée pour le personnel soignant », après les avoir remerciés pour leur sacrifice et leur dévouement.
Toujours est-il que ledit personnel de santé demande à être rassuré sur leur protection. Et savoir que leurs primes de risque seront versées. Ce d’autant plus que depuis de nombreuses années, ils multiplient des grèves dans les hôpitaux publics pour dénoncer le manque de matériels, les plateaux techniques défectueux ou inexistants et le non-paiement des primes.
L’inquiétude de l’ONMC
Pour le président de l’Ordre national des médecins du Cameroun (ONMC), la situation du personnel soignant en service dans les centres d’isolement et les hôpitaux est préoccupante. D’abord parce que le système de santé du Cameroun est moins performant. Ensuite, parce que cette nouvelle grippe virale est une « maladie hyper contagieuse qui sature le système sanitaire partout où elle passe ». Il faut donc faire quelque chose pour que la situation vécue par les Occidentaux ne se reproduise pas en terres camerounaises.
En guise de contribution à l’amélioration des conditions blouses blanches, l’ONMC s’est engagé à fournir au moins un millier de masques, des cartons de savon, d’eau de Javel et de gel hydroalcoolique aux soignants, « pour les protéger ». « C’est un geste symbolique, un geste d’encouragement et de solidarité qui j’espère va en appeler d’autres. Le gouvernement ne peut pas tout faire seul », déclare Dr Guy Sandjon.
En tout cas, au Minsanté, un plan de recrutement des infirmiers et anesthésistes-réanimateurs est en cours d’élaboration, pour faire face à une éventuelle une flambée de cas de Covid -19. Mais pour l’heure « nous maîtrisons la situation et depuis quelques jours, nous assistons à une accalmie et diminution du nombre de cas testés positifs. Les choses se stabilisent », informe une source médicale au Minsanté.
Super!!
A l’hôpital Jamot aussi parfois les masques sont disponibles et pas redistribués aux médecins. Je ne sais pas pourquoi certains chefs ont la culture du stock de matériel.