Rétrospective : Tops et flops du secteur sanitaire en 2021
12 autres mois viennent de s’écouler pour Manaouda Malachie à la tête du ministère de la Santé publique (Minsanté). Une autre année marquée par quelques avancées dans le secteur comme le renforcement du système de santé, mais aussi et surtout, par des scandales et ratés. Notamment l’affaire Hilaire Ayissi Mengue, la gestion des fonds du Covid-19, l’échec de la mise en œuvre effective de la CSU, l’hésitation vaccinale, la résurgence des épidémies de choléra, rougeole, variole du singe, poliomyélite… en sont quelques-uns. Sous cet ancien pensionnaire de l’ENA de Paris, le secteur de la santé aura donc été marqué en 2021, par des avancées et ratés regroupés en 9 repères.
1_Première transplantation rénale : L’exploit de l’espoir
Bertrand Balogog, 34 ans, a bénéficié de la toute première transplantation rénale effectuée dans un hôpital public camerounais. Insufisant rénal chronique depuis l’âge de 23 ans, cette transplantation est venue mettre un terme au calvaire d’une vie de personne dialysée qui a duré 11 ans. Pour la communauté médicale camerounaise, le cas Balogog est héroïque et surtout historique ! Il constitue un signe d’espoir pour les près de 500 insuffisants rénaux condamnés à l’hémodialyse au Cameroun. Toujours est-il que, si le 10 novembre 2021, jour de réalisation de cette opération, a permis de mettre en exergue les capacités des médecins camerounais, l’essor de la transplantation au pays reste confronté à une limite majeure : son cadre légal. En cours d’élaboration depuis 2020, le projet de loi sur la transplantation d’organes devait être soumis par le gouvernement au Parlement. Malheureusement, tel n’a toujours pas été le cas. Or, ce cadre légal est la clé de voûte de la régulation de la transplantation d’organes. Il s’impose donc déjà comme une urgence, au regard de l’importante demande née après la première réussie. Un chantier ouvert certainement pour l’année 2022.
2_Centre hospitaliers régionaux : Ouf… à Ebolowa et Bafoussam
La carte sanitaire du Cameroun s’est enrichie en 2021 de deux Centres hospitaliers régionaux. Le premier, construis à Ebolowa au sud du pays, a été inauguré le 3 décembre par le Premier ministre, chef du gouvernement. Après 6 années de travaux (au lieu de trois), l’infrastructure offre une capacité de 118 lits et 11 unités de médecine : cardiologie, radiologie, service obstétrical, néonatalogie, bloc opératoire, les urgences et un service de réanimation. Bâti sur 12 400 m², le plateau technique du Centre hospitalier régional d’Ebolowa est constitué d’un ensemble de plus de 4000 appareils connectés à un système d’Alimentation sans interruption (ASI). Il se présente d’ailleurs comme un centre de référence dans la sous-région Afrique centrale et a coûté 150 milliards de FCFA.
Celui de Bafoussam dispose également de 11 unités de médecine toutes dotées d’équipements de dernière génération et d’une capacité de 120 lits. Il est implanté sur 4800 m², avec 14 bâtiments et quatre annexes offrant toutes les prestations parmi les plus pointues. L’on y retrouve ainsi les services de neurologie, cardiologie, néphrologie et gastro-entérite ; les blocs opératoires, les urgences, la maternité, la néonatalogie, l’ophtalmologie, l’urologie et la pneumonie. Cette Fosa d’un coût de 13 milliards de FCFA dispose de tous les appareils biomédicaux nécessaires pour les diagnostics précoces de cancers, la réanimation des nouveau-nés, etc. Pour les officiels Camerounais de la Santé, la quête permanente de l’amélioration de l’offre en soins de santé va se poursuivre. Le Premier Ministre a ainsi annoncé l’inauguration prochaine des CHR de Bertoua, Garoua, Maroua et Ngaoundere. Les travaux de construction de ceux de Maroua, Buea et Bamenda, se poursuivent toujours.
3 _ Plateaux techniques : relèvement au petit trot
Ce n’est pas la révolution, mais le Cameroun a marqué quelques points sur le chantier de relèvement du plateau technique de son système sanitaire. Notamment pour ce qui est de l’hôpital Central de Yaoundé, des hôpitaux régionaux de Garoua et Maroua, tous été dotés de scanners de 64 barrettes (parce qu’ils effectuent 64 coupes en rotation) de nouvelle génération. « Ces scanner sont capables d’effectuer 128 images en moins de 0,3 seconde », explique-t-on. Ce sont des images en 3D, de très hautes définition, délivrées en moins de 10 secondes. A Maroua, outre ce scanner, un appareil de radiologie numérique a aussi été acquis. L’hôpital régional annexe d’Edéa a reçu lui aussi, son tout premier scanner depuis sa création en 2011. Des équipements d’échographie et de radiologie y ont aussi été installés au service de radiologie
L’hôpital Général de Douala a été doté en octobre, d’une salle de traitement des eaux et 8 nouveaux générateurs de dialyse fonctionnels. L’hôpital général de Yaoundé lui, a également été doté en septembre, de 10 nouveaux générateurs de dialyse automatiques et digitaux qui permettent de dialyser un patient en 30 minutes. Ceux-ci sont trois fois plus rapides que les anciens générateurs manuels. La mise en service officielle de ces équipements a permis d’améliorer la prise en charge des malades souffrant d’insuffisance rénale. Cet hôpital public a désormais la capacité de recevoir plus de 20 patients par jour au lieu de 10. « Nous poursuivons le relèvement des plateaux techniques de nos hôpitaux » et « en tant qu’ouvrier dévoué, la transformation de notre système de santé », assure Malachie Manaouda. D’autres scanners seront ainsi installés dans les prochains mois à Ngaoundéré, Bertoua.
Le Cameroun a aussi acquis des scanners et appareils de radiographie mobile ou encore des équipements de monitoring des paramètres fonctionnels et de gestion des urgences à l’instar des appareils ECG, des moniteurs de surveillance multiparamétrique. Les équipements médicaux de réanimation de prise en charge des cas de Covid-19 ne sont pas en reste. A ce jour, le Cameroun pays dispose de 5896 lits d’hospitalisation avec matelas, 1278 lits de réanimation avec matelas orthopédique, de 304 respirateurs de réanimation (ICU), 6 151 tensiomètres électrique, 70 défibrillateurs, 1000 stéthoscopes et 1000 glucomètres ; six scanners de 16 barrettes, 30 radios mobiles, 10 000 cylindres d’oxygène, 47 ambulances médicales et 63 véhicules pick-up viennent quelques peu compléter ce dispositif. « Le système de santé en sort gagnant avec 2294 lits installés et dédiés à la riposte contre le coronavirus et les pathologies posts Covid-19 », a souligné Ousmane Diaby. Mais à côté de ces bons points, des scandales ont émaillé l’année sanitaire 2021. Au rang de ceux-ci, figure en bonne place l’esclandre Hilaire Ayissi Mengue.
4_Affaire Hilaire Ayissi Mengue : le scandale
Le 24 septembre dernier, l’affaire Hilaire Ayissi Mengue éclate au sein de l’opinion. Au cœur du scandale, la mort suspecte d’un jeune de 22 ans survenue à l’hôpital Central de Yaoundé (HCY), après deux opérations chirurgicales. Faute d’explications justifiant les circonstances de ce décès et les nombreuses mutilations constatées sur la dépouille du défunt, les membres de sa famille ont débarqué à la direction de l’hôpital Central muni de la dépouille, pour exiger la vérité. Depuis lors, c’est l’opacité autour de cette affaire, malgré les promesses faites par Manaouda Malachie, ministre de la Santé publique. Pourtant, l’enquête administrative instruite par ce dernier a été bouclée depuis des mois et le rapport rendu à qui de droit. Idem pour le rapport d’autopsie réalisée sur la dépouille. Précisons que l’enquête commanditée par Manaouda Malachie visait, disait-il, à « établir les responsabilités » dans cette funeste affaire et déterminer les causes réelles du décès.
Que s’est-il donc réellement passé au sein de cette structure médicale entre le 10, 14, 17 et 18 septembre 2021 et qui a conduit au décès du jeune Hilaire Ayissi le 19 septembre ? Bien malin qui peut répondre à cette question près de quatre mois après. Les seuls éléments dont dispose l’opinion de cette affaire sont ceux du médecin légiste, commis par la famille pendant l’autopsie du 8 octobre. Dans son rapport, il conclut « que ce n’est pas ce coup de poignard (qu’avait reçu le défunt : Ndlr) qui a perforé le colon. Le colon a donc été perforé par un second objet contondant, probablement lors de la première intervention (celle du 14 septembre) ». Affaire à suivre.
5_Covidgate : le boulet
Le 16 novembre, la direction générale du budget a rendu public le rapport d’audit de la Chambre des comptes de la Cour suprême du Cameroun (CCC) sur la gestion des fonds alloués à la lutte contre le Covid-19. Le document confirme que la gestion de ces fonds a été entachée d’irrégularités. Il épingle de nombreux responsables gouvernementaux et administratifs issus du Minsanté, du Minresi et du Minat. Entre autres griefs, le gendarme des comptes publics au Cameroun relève des cas de conflits d’intérêt dans l’attribution des marchés au Minsanté, des doubles paiements des marchés, des détournements de fonds et surtout des cas de surfacturation. Le cas le plus illustratif de cette surfacturation porte sur les opérations d’achat de 1 400 000 tests de Covid-19 à hauteur de 15,3 milliards de FCFA, réalisés par l’entreprise Mediline Medical Cameroon SA, principal attributaire des marchés des tests de dépistage. A ce propos l’audit de la CCC va jusqu’à engager la responsabilité du ministre Manaouda Malachie dans cette affaire. « Bien qu’il ne soit pas signataire des marchés d’acquisition des tests de dépistage, et eu égard aux montants en jeu, il est peu vraisemblable que le ministre de la Santé publique ait pu être tenu dans l’ignorance et à l’écart des manœuvres tendant à facturer les tests de dépistage à un prix déconnecté de la réalité du marché », soutient le rapport.
6_ Couverture santé universelle : le rendez-vous manqué
Pour 2021, la Couverture Santé universelle (CSU) est restée un vœu pieux. Son lancement prévu n’a pas eu lieu. Les enrôlements qui devaient démarrer fin 2021 selon Manaouda Malachie, accusent un retard. Même le projet de loi sur la CSU et ses sept textes d’application, n’ont pas été soumis en 2021 au Parlement. Pourtant, ce projet de loi que le gouvernement peine à boucler depuis 2018, est déterminant pour le déploiement de la CSU car, c’est la loi qui doit fixer le cadre législatif sur lequel va s’appuyer ce projet.
Comme lot de consolation, le 16 septembre dernier, des équipements informatiques, des véhicules et engins à deux roues qui serviront à cet enrôlement des populations ont été présentés à Yaoundé par la Société santé universelle Cameroun (Sucam), le prestataire retenu par l’État en août 2020. Quoi qu’il en soit, cette promesse du président de la République est l’un des piliers du septennat des Grandes opportunités ouvert le 6 novembre 2018. Sa mise en œuvre avait été présentée comme un engagement et une option du chef de l’État, afin de garantir la santé pour tous, « gage de développement pour une nation ».
7_ Vaccin anti Covid-19 : l’hésitation au bout de la seringue
En 9 mois, le Cameroun a fait vacciner 662 241 personnes sur l’ensemble du territoire national selon les chiffres officiels du 3 janvier 2022. Ce chiffre est en deçà de l’objectif de couvrir 20% de la population camerounaise et 10 % de celle cible, fixé par les officiels de la Santé. « Malheureusement, on n’a pas atteint l’objectif ambitieux qu’on s’était fixé », avoue le Dr Tchokfe Shalom Ndoula, secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV). En effet, depuis l’introduction du vaccin contre le Covid-19 en avril dernier, le compteur n’affiche que 2,3% de la population totale et 4,7% de la population cible vaccinée. Trois campagnes de vaccination ont pourtant déjà été organisées depuis le 12 avril 2021 à hauteur d’1 milliard 192 millions de FCFA. Mais, force est de constater que malgré les moyens consentis et les stratégies déployées sur le terrain pour susciter plus d’adhésion, les populations se montrent toujours réticentes à se faire vacciner contre le Covid-19. L’opération continue de susciter le doute et le scepticisme. D’où l’hésitation vaccinale qui plombe le déroulement de la lutte contre le virus mortel.
8_ Grève des insuffisants rénaux : le sempiternel problème
2021 a aussi été rythmé par les pénuries des kits de dialyse et dysfonctionnement des centres d’hémodialyse de Bamenda, Yaoundé et Maroua. Dans ces deux dernières villes, des insuffisants rénaux ont organisé des grèves pour revendiquer une prise en charge adéquate. Les Centres d’hémodialyse de Yaoundé et Maroua ont tout de même été dotés en nouvelles machines et approvisionnés en kits de dialyse. Mais l’offre de service reste largement en deçà de la demande. Idem pour Garoua où, selon des sources crédibles, à peine 4 machines sur 8 fonctionnent de manière optimale. Ce qui fait que les insuffisants rénaux ont eu une autre année difficile. Le gouvernement camerounais consacre pourtant annuellement 4 milliards de FCFA pour la prise en charge des personnes souffrant d’insuffisance rénale. Mais, les hôpitaux du pays font régulièrement face à une carence des kits de dialyse.
9_ Alim Hayatou : Adieu l’inamovible SETAT
Des acteurs de poids du secteur médical ont quitté la scène en 2021. Nombre d’entre eux ont été fauchés par le Covid-19. C’est le cas du secrétaire d’État (SETAT) auprès du ministère de la Santé publique chargé de la lutte contre les épidémies et pandémies, Alim Hayatou (75 ans), décédé le 5 avril dernier. Une ironie du sort pour celui qui « ne manquait jamais une occasion de sensibiliser à chaque fois sur le danger que représente le Covid-19 et la nécessité de respecter les mesures barrières ». Après 25 années passées à ce poste, ce haut commis de l’État était considéré comme un inamovible au ministère de la Santé. Son rôle a été essentiel dans le dispositif de riposte contre le choléra, la poliomyélite, la rougeole, le paludisme, la méningite, etc.
Comme le SETAT, le Pr Lemogoum fait partie des victimes du nouveau virus. Cette icône de la cardiologie est passée de vie à trépas à seulement 58 ans. Une grande perte pour le milieu médical camerounais. L’enseignant de Cardiologie à l’Université de Douala et cardiologue interventionnel à l’hôpital Érasme de Bruxelles, était en effet une figure de proue voire incontournable dans la lutte contre les maladies cardiovasculaires (MCV), tant sur le plan national qu’international. Notamment à travers la Fondation camerounaise du Cœur (FCC) dont il a fait sortir des fonts baptismaux, avant d’en faire un instrument décisif dans le combat contre les MCV.
D’autres personnalités du milieu médical camerounais ont aussi tiré la révérence en 2021. Il s’agit notamment du Dr Ze Jean Jacques, conseiller technique au Minsanté, (Covid-19 aussi) et du Dr Joseph Vaillam, ancien directeur général de la Cename.