Le PNLP et la Croix rouge empêtrés dans un détournement des médicaments subventionnés de près d’un milliard de FCFA

Olive Atangana
9 Min Read

(L’Urgentiste.com) – Le Fonds Mondial s’inquiète de la gestion des médicaments acquis grâce à sa subvention au profit de l’État du Cameroun. Le principal partenaire financier du pays dans la lutte contre le paludisme, la tuberculose et le sida, accuse le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP) d’être comptable du trafic de produits de santé.

Le scandale porte principalement sur l’Artesunate 60 mg injectable, un antipaludique prisé sur le marché camerounais. 444 228 ampoules de ce médicament sont sorties des magasins du Centre National d’Approvisionnement en Médicaments et Consommables Médicaux Essentiels (CENAME) à Yaoundé dans des circonstances suspectes entre janvier 2022 et mars 2023. Cette affaire est révélée dans un rapport d’une mission effectuée au Cameroun en mai 2023 par des auditeurs du Fonds Mondial.

« Des correspondances sont arrivées du GTC-PNLP pour ordonner les livraisons par la CENAME des intrants antipaludiques à certaines structures non connues dans le circuit officiel de distribution tel que recommandé dans le SYNAME (Système National d’Approvisionnement en Médicaments Essentiels) », lit-on dans le rapport.

Croix Rouge camerounaise

Trois bénéficiaires indélicats sont indexés par les auditeurs du Fonds Mondial : la Croix Rouge camerounaise (CRC), l’ONG Christson et un « individu » du nom de Mekongo Mbarga Gwladys. Pour l’année 2022, des correspondances émanant du PNLP ont autorisé la livraison de 120 000 ampoules d’Artesunate 60 mg injectable au dispensaire de la CRC à Yaoundé, constate l’équipe du Fonds Mondial. Entre le 1ᵉʳ janvier et le 31 mars 2023, cette formation sanitaire primaire a reçu un deuxième volume de 150 000 ampoules du même médicament. À travers les mêmes micmacs, l’ONG Christson a, pour sa part, reçu jusqu’à 100 400 ampoules d’Artesunate en 2022 et 70 200 ampoules au premier trimestre 2023. Pire encore, un stock important d’Artesunate 60 mg injectable (3 628 ampoules) a été livré en 2022 à un individu, Mekongo Mbarga Gwladys, et non à une structure sanitaire. Pour le Fonds mondial, ces volumes de médicament sont curieux pour de simples dispensaires. Tenez : pour l’exercice 2022, le dispensaire de la CRC a reçu à lui seul le quadruple du stock d’Artesunate que le PNLP a mis à la disposition de toutes les formations sanitaires de la région de l’Ouest (30 800 ampoules).

Ravitaillement du marché noir

Après analyse, le Fonds Mondial soupçonne le PNLP et les ONG incriminées d’avoir injecté ces médicaments détournés dans des circuits lucratifs et sur le marché noir. « Les produits antipaludiques livrés anormalement à des destinataires inappropriés pourraient se retrouver hors du circuit classique de distribution (par exemple des formations sanitaires à but lucratif ou alimenter tout autre marché parallèle du secteur informel afin d’être vendus aux populations) », avance-t-on au Fonds Mondial. Nos sources sont d’autant plus convaincues de cet état de fait, car, précise le rapport du FM, « selon l’information reçue de la CENAME, les deux structures (Croix Rouge et ONG Christson : Ndlr) sont venues aux entrepôts de la CENAME avec des camionnettes banalisées pour enlever leurs produits ». Un procédé contraire au circuit habituel de livraison des médicaments achetés par le FM, qui oblige la CENAME à livrer les produits directement sur le site du bénéficiaire.

Des gros bonnets dans le viseur du TCS

Selon des sources internes au Minsanté, plusieurs cadres du PNLP et de la Croix Rouge camerounaise sont déjà en détention provisoire à la prison de Kondengui à cause de leur implication dans ce réseau, une information confirmée par des sources carcérales. Depuis avril dernier, l’affaire est en cours au Tribunal criminel spécial (TCS). Interpellés début mai, les premiers suspects sont poursuivis pour « détournement de biens publics et blanchiment »« Nous sommes à la phase de l’information judiciaire. Les premiers interrogatoires ont commencé en août 2024. Une confrontation est également prévue au tribunal », informe une source judiciaire.

Des suspicions de complicité pèsent sur certains hauts responsables du pays, ciblés par le TCS. « Cette opération ne peut pas avoir été montée seulement par ces petits maillons de la chaîne. Des suspicions de complicité pèsent sur certains hauts responsables du pays. Certains de ces gros bonnets font l’objet d’une enquête préliminaire au Tribunal criminel spécial », commente une autorité ayant suivi l’enquête policière à la PJ. Contacté, le Dr Joël Marcelin Ateba, secrétaire permanent du PNLP, s’est montré peu disert sur le sujet : « C’est une affaire délicate », déclare-t-il sans en dire plus.

Manœuvres de Cécile Akame Mfoumou

Le sujet est embarrassant pour la Croix Rouge camerounaise, où le silence règne. Toutefois, Cécile Akame Mfoumou, présidente nationale de la CRC, a adressé une correspondance au Fonds Mondial. Elle tente de se dédouaner de cette affaire qui éclabousse l’organisation placée sous son magistère. « L’image de la Croix Rouge camerounaise, et du Mouvement international de la Croix Rouge et du Croissant Rouge, a été illicitement associée par des personnes sans qualité, agissant à des fins personnelles », écrit-elle dans la lettre du 27 juin, dont L’Urgentiste a obtenu copie. On apprend par ailleurs que la présidente de la CRC fait feu de tout bois pour que la Croix Rouge soit partie civile dans la procédure judiciaire en cours au Tribunal criminel spécial (TCS) à Yaoundé.

En attendant la communication officielle du ministère de la Santé publique, le Fonds Mondial demande au PNLP de fournir des explications documentées sur ces transactions « anormales » en faveur de la CRC, de l’ONG Christson et de Mekongo Mbarga Gwladys.

L’inévitable remboursement ?

Cette affaire pourrait coûter cher à l’État du Cameroun. En effet, le Fonds Mondial exige que le Cameroun rembourse la somme de 1 395 648,69 USD (plus de 852 millions de FCFA) suite à ce scandale. Pour Manaouda Malachie, ministre de la Santé publique (Minsanté), il ne s’agit nullement de dépenses à « rembourser » mais plutôt à « justifier » uniquement. Cependant, cette sortie du ministre ne convainc pas, car le montant revendiqué par le Fonds Mondial correspond à la valeur des stocks de médicaments subventionnés qui ont été frauduleusement sortis des magasins de la CENAME avant d’être injectés dans des circuits douteux.

Selon la notification adressée depuis le 11 juin 2024 au Minsanté par le bailleur de fonds, cet argent est considéré comme des « dépenses non conformes » effectuées par le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP). Dans le détail, ces dépenses comprennent 1 095 055,86 USD (668 914 000 FCFA) pour les médicaments (antipaludiques) détournés et 300 592,83 USD (183 617 000 FCFA) pour les coûts de gestion, d’approvisionnement et de stockage de ces médicaments à la CENAME ainsi que dans cinq Fonds Régionaux pour la Promotion de la Santé (FRPS) au Cameroun.

L’affaire est donc à suivre…

 

Lire aussi: 

Paludisme/VIH/Tuberculose : le Fonds mondial de nouveau en mission au Cameroun dès ce jour
Paludisme, sida, tuberculose : le Fonds mondial réduit son financement en raison de dépenses non justifiées par l’État
Paludisme : le Fonds Mondial exige au Cameroun de rembourser près d’un milliard FCFA de dépenses indélicates
Share This Article
Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
Leave a comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *