Paludisme, sida, tuberculose : le Fonds mondial réduit son financement en raison de dépenses non justifiées par l’État
(Lurgentiste.com) — Pour le cycle 2023-2025, le Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme (FM) a revu à la baisse le montant alloué au Cameroun pour la lutte contre ces trois maladies. Il passe ainsi de 123,3 millions d’euros (80,94 milliards de FCFA) à 75,3 millions d’euros (49,47 milliards de FCFA). Soit une diminution de 29 % en valeur relative et de 48 millions d’euros (31,47 milliards de FCFA) en valeur monétaire. Les raisons de cette réduction de financement sont multiples.
Non-respect des engagements financiers
Tout d’abord, il y a le non-respect des engagements financiers de l’État en termes de contrepartie. En effet, pour la période 2021-2023, l’institution financière attendait du Cameroun 123,3 millions d’euros de cofinancements pour ces trois maladies. Malheureusement, le pays n’a versé que 28 % de ses engagements, soit 34,6 millions d’euros (environ 22,71 milliards de FCFA), ce qui n’a pas permis de « satisfaire aux exigences minimales », déplore Ibrahim Faria, chef d’équipe régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Dans un mémo du rapport de la mission effectué par ce dernier du 26 février au 6 mars 2024, dont nous avons obtenu une copie, il est noté que le Cameroun n’a pas transmis les rapports de 2022 et 2023.
Dépenses suspectes
De plus, le Fonds mondial reproche au ministère de la Santé publique (Minsanté) d’avoir effectué des dépenses indélicates lors du cycle précédent. L’un des cas les plus flagrants de ces dépenses concerne l’achat de congélateurs de seconde main pour lequel le Cameroun a déboursé environ 350 millions de FCFA. « Lors d’une vérification récente de 249 congélateurs de laboratoire achetés par l’UNOPS d’une valeur de 652 125,84 dollars US et distribués aux établissements de santé, il a été constaté que (i) les congélateurs distribués sur place étaient des congélateurs d’occasion d’une marque différente de celle que l’UNOPS prétend avoir achetés sur la base de la documentation mise à disposition ; (ii) sur les sites visités, 32 congélateurs sur 33 étaient non fonctionnels. Un seul congélateur fonctionnel a été réparé par la direction du site avant d’être utilisé ; (iii) il a également été signalé le non-respect des obligations contractuelles concernant la livraison, l’installation et la formation du personnel sur les équipements de santé achetés », dénonce le rapport du FM (Cf. page 5).
D’après ce bailleur, le Cameroun doit rembourser les fonds injectés dans ces dépenses douteuses. Aussi exige-t-il les rapports de financement des années 2022 et 2023. C’est ce qui permettra de savoir qui a donné combien (FM, gouvernement, bailleurs bilatéraux ou multilatéraux) pour la lutte contre ces maladies, et à quoi cet argent a servi.
D’autres coupes de fonds en perspective
Le Fonds Mondial reproche par ailleurs au Minsanté le manque de preuves des dépenses nationales liées aux engagements de cofinancement énoncés dans la lettre d’engagement. En l’absence de ces documents, « le Fonds mondial se réserve le droit de réduire le montant des subventions existantes de 20 % de la somme accordée pour la prochaine période (cf. lettre d’allocation 2023-2025) », menace Ibrahim Faria. Il ajoute que cette réduction pourrait intervenir à la fin de chaque année fiscale si les engagements ne sont pas respectés.
« Cette décision de réduction et le problème des algorithmes de dépistage du VIH sont des sujets qui étaient au cœur de la mission », confie une source proche du dossier au Minsanté.
Gestion approximative des stocks de médicaments
Ce n’est pas tout. Le FM est également agacé par les tensions importantes et les ruptures de stock de médicaments « vitaux » dues aux versements tardifs ou aux déficits de financements nationaux. La qualité de la gestion des médicaments par le Cameroun est par ailleurs critiquée. En réalité, il n’existe pas d’outil permettant de faire le suivi en temps réel ou semi-réel de la chaîne d’approvisionnement et des stocks. D’énormes quantités de médicaments sont par exemple arrivées à expiration dans les magasins de la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments et consommables médicaux essentiels (Cename) et des Fonds régionaux pour la promotion de la santé (FRPS).
Ce qui revient à dire que, quand les médicaments sont dans les formations sanitaires, personne ne sait quel stock y est disponible. Il est donc impossible de faire des prévisions et de réaffecter des médicaments là où on en a besoin. « C’est pour ça qu’on peut retrouver d’énormes quantités de médicaments à la Cename ou bien aux FRPS et ne pas être surpris du vol des médicaments contre la tuberculose et du trafic des ARV camerounais dans les pays limitrophes », explique une source interne au Minsanté.
Défense du Minsanté
En défense, le ministère de la Santé a justifié ces retards par « une variété de problèmes », notamment les taux de change des devises. Cependant, cet argument a été rejeté par le bailleur de fonds qui, après des réunions avec la BEAC (Banque des États de l’Afrique centrale) et la CAA (Caisse autonome d’amortissement), a conclu qu’il n’y avait pas de retard ou d’obstacles aux transferts de devises. Dans tous les cas, cette situation aura des conséquences pour le pays.
Conséquences inévitables
Premièrement, le non-respect des engagements de cofinancement gouvernementaux entraînera des ruptures de stock de médicaments, mettant la vie des patients en danger, étant donné qu’il n’y a plus de marge de manœuvre sur le budget des subventions du Fonds mondial. Ensuite, le non-respect de ces engagements aura un impact direct sur le montant de la prochaine allocation. Cette dernière sera basée sur les résultats programmatiques de l’année 2024 et sur la concrétisation des engagements de cofinancement des années 2024 et 2025, informe le FM.
Nouvelles exigences
C’est pourquoi plusieurs actions urgentes sont proposées. Parmi celles-ci, le Minsanté est invité à planifier « bien à l’avance et à prioriser les paiements et les transferts de fonds pertinents pour l’achat de produits de santé ». Il est également demandé de garantir l’achat de produits de santé avec les fonds nationaux au moins six mois avant la date de livraison prévue.
De plus, il est demandé à Manaouda Malachie, le ministre, de fournir « en temps utile » un rapport annuel sur les dépenses de cofinancement national, au plus tard 90 jours après l’année concernée. À noter qu’environ 67 millions d’euros (43,89 milliards de FCFA) de ce cycle seront consacrés à l’achat de produits de santé, notamment les antirétroviraux, antituberculeux, antipaludéens et moustiquaires, identifiés avec les programmes nationaux distincts du Minsanté lors des négociations de subvention.