Extrême-Nord. Conflit ouvert entre le Rotary Club et le directeur de l’hôpital régional de Maroua
Les deux institutions se battent pour la gestion du service ophtalmologie de cette formation hospitalière publique.
L’hôpital régional de Maroua (HRM) et le Rotary Club de Maroua se livrent un duel à fleurets mouchetés. Par correspondances interposées, les deux parties bataillent pour le contrôle de la gestion du service ophtalmologique de la plus grande formation sanitaire publique de la région de l’Extrême-Nord. Particulièrement productif en recettes, ce service est géré depuis 1999 par l’ONG Ophtalmo sans frontières (OSF), une organisation partenaire du Rotary Club de Maroua (qui est en effet à l’origine de son installation et le principal fournisseur du matériel collecté à travers le monde).
Mais depuis l’arrivée de Dr Fetse à la direction de l’Hôpital régional de Maroua, la collaboration entre les deux parties s’est dégradée. Tout part du 30 septembre 2019. Ce jour-là, le directeur de l’hôpital régional de Maroua adresse une lettre aux responsables de OSF. Dans cette missive, le Dr Fetse enjoint à l’ONG de libérer les locaux du service d’ophtalmologie de l’hôpital « et d’abandonner tout le matériel lui appartenant ».
Pour contrattaquer cette décision du Dr Fetse, le président du Rotary Club de Maroua, Norbert Stede, a saisi le ministre de la Santé publique en date du 2 octobre 2019. Dans cette correspondance de cinq pages dont l’objet est « Contentieux avec le directeur de l’hôpital régional de Maroua au sujet des ONG Ophtalmo Sans frontières (OSF) et Ophtalmo Lunetiers sans Frontières (Olsf), le Rotary Club dénonce l’attitude du nouveau patron du HRM.
« Peut-être à moyen terme il [Dr Fetse] a une autre vision nous n’en disconvenons pas. Mais la façon dont il s’y prend – alors qu’il n’a à peine fait un mois à son poste dans une région, avec pour première action de chasser les partenaires en place- est étrange. C’est pourquoi nous avons voulu porter cette affaire aux instances », explique M. Stede. Pour celui que nous avons rencontré au Relais Porte Mayo de Maroua, la démarche du nouveau patron de l’hôpital régional de Maroua revêt un caractère « inélégant, imprévu, inexpliqué, et nuisible pour l’image du Cameroun ».
Ce que la direction de l’hôpital réfute. « Ophtalmo sans frontières utilise le personnel de l’hôpital pour faire ses recettes. Nous leur avons dit que l’argent qui sort de ce service doit aller dans les caisses de l’hôpital. Ce qu’ils ne veulent pas. Nous avons donc révisé les termes de la collaboration », précise notre source. En fait, voilà comment ce service fonctionne. Les consultations coûtent 1000 Fcfa par patient.
Cette somme est répartie ainsi qu’il suit : 700 Fcfa sont reversés dans les caisses de l’ONG et 300 Fcfa dans ceux de l’hôpital. Cette clé de répartition jugée « léonine » n‘est pas du goût du nouveau manager de l’hôpital. Ainsi, a-t-il proposé de revoir le partage des recettes de consultation d’une part et d’autres part, de faire partir de ses locaux, Opticiens Lunetiers Sans Frontières (Olsf), une association partenaire de OSF à qui incombait la vente des lunettes prescrites aux patients par les ophtalmologues de OSF.
36 millions de Fcfa de consultations par an
Autant le dire, le service ophtalmologie de l’Hôpital régional de Maroua est une bonne affaire sur le plan financier. Dans son rapport d’activités 2018, l’ONG OSF revendique un quota moyen d’environ 3000 consultations par mois, en raison de 1000 Fcfa par malade. Calculette en main, à eux seuls, les frais de consultations déboursés par les patients génèrent en moyenne une somme de trois millions de Fcfa de recette mensuelle, soit 36 millions de Fcfa sur l’année.
A cette somme, s’ajoutent les fonds engrangés par la vente des lunettes dont les recettes sont reversées « exclusivement » à l’organisation non gouvernementale. « Dans un contexte de rareté des ressources financières que connaissent les hôpitaux publics dans les régions, on peut comprendre que l’hôpital veuille garder la main sur ces recettes. Ce d’autant plus qu’il s’agit de l’argent liquide », commente un médecin proche du dossier.
D’ailleurs, après la mise à l’écart de OSF, une équipe de l’hôpital a été immédiatement déployée dans l’optique d’assurer les consultations. « Le service d’ophtalmologie de l’hôpital est fonctionnel. Nous consultons les patients », confirme notre source à la direction. Mais pour OSF, « On trompe les malades en faisant semblant de les consulter et de les soigner pour juste encaisser les frais de consultation alors que le directeur de l’hôpital refuse de fournir les consommables », fulmine un responsable.
L’arbitrage de Manaouda Malachie attendu
Dans tous les cas, au sein de OSF et Olsf, les choix du nouveau directeur sont « une action directement dirigée contre les populations autochtones ». Pour Norbert Stede du Rotary Club de Maroua, le ministre de la Santé publique devrait faire un « rappel à l’ordre » au directeur pour mettre un terme à cette situation défavorable pour les patients. Car, « même si le ministère voulait créer ses propres activités, ce n’est pas de cette manière qu’on devrait s’y prendre. On aurait dû organiser une discussion avec les différentes parties concernées et procéder à un changement de grade progressif. Et non de donner un coup de pied aux gens qui, pendant 20 ans, ont œuvré à la santé des populations », explique le président du Club.
A noter que le dernier contrat de collaboration entre le ministère des Relations Extérieures (Minrex) et OSF signé le 27 décembre 2017, court jusqu’en 2021. « Normalement le directeur devait au moins s’en tenir au protocole d’accord signé avec le ministre délégué Dion Ngute », se plaint Norbert Stede. Non sans mettre en avant le caractère social, caritatif du Club qu’il dirige.
Depuis son installation au Cameroun (1987), l’ONG OSF a réalisé 886 030 activités (cataractes, glaucomes ; etc.) et 737 257 consultations. Basé à Luçon (Vendée), l’objet de cet organisme est la lutte contre la cécité et la malvoyance en Afrique francophone. OSF dispose actuellement de huit centres ophtalmologiques fonctionnels dans le Grand-Nord et intervient essentiellement en zone rurale. « Notre activité consiste à dépister les malades, les soigner, les opérer et à leur fournir des lunettes ».