Coronavirus. La classe médicale émet des réserves sur les consultations du Minsanté
Si pour elle l’idée est appréciable, la méthode et le jeu sont faussés.
Défilé d’acteurs institutionnels et experts indépendants au ministère de la Santé publique depuis le 24 août 2020. L’occupant des lieux, Manaouda Malachie, y organise et ce jusqu’au 28 août, une série de consultations et concertations relatives à l’évaluation du plan de riposte sanitaire au nouveau coronavirus du Cameroun depuis sa mise en œuvre. Ainsi, responsables des services centraux dudit ministère, directeurs généraux des structures et organismes sous tutelle, directeurs des hôpitaux de 2e catégorie, Conseil Scientifique des Urgences de Santé publique, Syndicats, Ordres professionnels, partenaires techniques et financiers bilatéraux et multilatéraux du secteur de la santé, sont entre autres conviés à ce banquet intellectuel d’échanges.
« Le profil de ces acteurs est appréciable car ils avaient un rôle à jouer dans la riposte. Mais on ne peut pas les appeler pour évaluer la riposte. Ceci devait se faire au niveau de l’élaboration du plan de riposte », critique d’emblée un médecin de santé publique en service à l’administration Centrale. Comme lui, ses confrères interrogés y voient davantage « une opération de relations publiques, de communication ; un effet d’annonce disproportionné par rapport à ce qui doit se faire ».
Pour un directeur d’hôpital de District du Sud, le coût, l’efficacité de la prise en charge médicale, l’efficacité de la décentralisation, les spécificités camerounaises (immunologiques, sociologiques, scientifiques), l’impact global sur le système de santé, l’apport du personnel de santé et les perspectives devaient être au cœur des échanges. En d’autres termes, questionner « la méthodologie des dépenses et la qualité de ces dépenses; dire si elle ont été pertinentes ; comment s’est fait la passation des marchés, a quoi a principalement servi l’argent mis à la disposition », explique un autre médecin sous anonymat.
Conflit d’intérêt
D’après les professionnels de la santé interrogés, si dans le principe l’idée de la consultation est appréciable, la méthode et le jeu sont faussés dès la base. « Une évaluation comme celle-là ne se fait pas par les acteurs qui ont bénéficié des largesses dont nous connaissons. Dans les techniques de gestion, ce type d’évaluation est nulle parce qu’elle ne sera pas objective. Le conseil scientifique par exemple ne peut pas dire que la riposte était mauvaise vu les privilèges qu’ils ont tiré. Il y a un réel manque d’objectivité », critique un cadre au Minsanté.
Le satisfecit affiché par cette équipe lors de son passage devant Manaouda Malachie le 25 août dernier semble l’en attester. En effet, dans la note de synthèse rendue publique par la cellule de Communication du Minsanté, le maître de céans n’a pas manqué de relever « la contribution plus qu’efficace du Conseil Scientifique des Urgences de Santé publiques ». Il en veut pour preuve, les protocoles de prise en charge des patients atteints Covid-19 élaboré par l’équipe composé entre autres, du Pr Eugene Sobgnwi, directeur médical de l’hôpital Central de Yaoundé. « Ce qui a permis d’avoir une maîtrise plus qu’encourageante de l’épidémie. Pour preuve, le taux de guérison est rapidement passé de 45% à 75% puis à 91% », peut-on lire en guise de satisfecit. Sauf qu’« Il faut rester modeste et vigilant », argue le médecin en service à l’administration centrale par ailleurs médecin de santé publique.
« Enjeux cachés »
Derrière ces consultations, le Dr Albert Ze y voit des « enjeux cachés ». Ces consultations à en croire ce dernier, « visent à justifier le déménagement du dispositif installé dans les stades de football à Douala et produire un rapport démontrant que la crise est maîtrisée au Cameroun ». Le but ici est « d’engager les négociations pour que le pays soit à nouveau éligible pour les entrées à l’UE (Union Européenne : Ndlr). C’est le plus gros résultat négatif de la riposte et il faut bien qu’on justifie ce résultat au président qui a donné tous les moyens pour que la lutte se déroule bien », poursuit ce dernier.
Et le verdict ne se fait pas attendre : « Le rapport sera un rapport de complaisance. Une évaluation est un processus scientifique. C’est-à-dire on apprécie la Stratégie si elle a existé, les moyens et les résultats, s’ils sont sincères parce qu’on ne peut pas attendre grand-chose des gens à qui ont donné des millions y a peu de temps pour venir évaluer », assène le médecin de santé publique.
Espoirs et attentes
En tout cas, une frange de médecins et professionnels de la santé fonde en ces consultations et concertations des espoirs certains. Certains prédisent même déjà qu’elles vont « peut-être tendre vers une amélioration de la décentralisation de la riposte, à la création d’un programme national de lutte contre le Covid afin que cette maladie ne ponctionne plus à elle seule les ressources du gouvernement en général et celles dédiées à la santé en particulier », dit l’un d’eux, directeur d’hôpital de District.
Bien plus. « J’espère que sur le plan scientifique on aura un raisonnement, un protocole, une pensée scientifique qui correspond à notre réalité face à cette maladie. On peut aussi s’attendre à ce que le Covid ait révélé des priorités à régler pour l’amélioration de notre système sanitaire. Au-delà de tout, espérons que ce qui en sortira sera effectivement mis en œuvre », indique ce dernier.
Côté syndicat, des attentes ont d’ores et déjà été formulées. Elles vont de la protection et de prise en charge des personnels de santé de motivation des personnels au relèvement des salaires des personnels de santé du Cameroun, en passant par la mise à jour des plateaux techniques, la maîtrise de la pandémie. Le soutien des formations sanitaires victimes de la baisse de fréquentation des malades et la contractualisation des personnels de santé occasionnels ou temporaires ne sont pas en reste. Notons que le Cameroun totalise désormais 18 662 cas confirmés et 408 décès.