Manaouda Malachie. Un ministre aux urgences
Entre scandales et décisions controversées, le ministre de la Santé publique au Cameroun n’a pas beaucoup chômé. Diagnostic de ses 100 premiers jours.
Le 7 janvier 2019, Manaouda Malachie prenait officiellement les rênes du « grand ministère » de la Santé publique (Minsanté) au Cameroun. A seulement 46 ans, il est le plus jeune ministre de l’ère Dion Ngute. Juché depuis 100 jours sur ce strapontin, le natif du Mayo-Tsanaga veut y apporter sa touche. Envers et contre tous ? A chacun d’apprécier. Toujours est-il que le successeur d’André Mama Fouda n’a pas eu d’état de grâce, très tôt confronté à une avalanche événements inattendus.
De scandale en scandale
D’abord le scandale chlorhexidine 7,1% flacon de 10 ml, un antiseptique pour soins ombilicaux dont l’utilisation a provoqué des cas de cécité secondaire chez 15 nourrissons. A peine trouvait-il solution à cette affaire héritée de son prédécesseur, que la bombe du préavis de grève dans les hôpitaux publics, a été actionnée sous son fauteuil par les syndicats. Dans cet enchaînement des dossiers brûlants, figurent en bonne place : l’impasse due aux batailles de positionnement au sein de l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun, l’insolvabilité du Cameroun à l’OMS pour la période allant de 2015-2018, la pression de cet organisme onusien sur le Cameroun pour la mise en place effective de la Couverture santé universelle, le retour de l’épidémie de choléra au Nord, le scandale des prématurés morts de suite de négligences médicales à l’hôpital régional de Garoua, le phénomène de séquestrations des malades dans les hôpitaux, le scandale des vidéos de l’hôpital de district de Deïdo et des sanctions infligées au personnel médical… La liste est loin d’être exhaustive. Autant dire que pour ses 100 premiers jours au gouvernement, Manaouda Malachie a été un ministre aux urgences. Face à ces situations, l’ancien pensionnaire de l’Ecole nationale d’administration (ENA) de Paris a, presqu’à chaque fois, fait preuve de célérité, usant du bâton et de la carotte.
Actions et polémiques
Entre l’interdiction de la Chlorehxidine 7,1 % flacon de 10 ml, la gratuité de traitement en faveurs des patients indigents dans les Formation sanitaire (FOSA) publiques, ou les sanctions en cascades des personnels sanitaires, les premières décisions du Minsanté ont un trait commun : elles font jaser. « Il surréagit. Il essaie de gérer les urgences mais qu’il ne pense pas que la santé c’est des urgences », critique un cadre du ministère de la Santé publique. La remarque trouve justification aux yeux de ses collaborateurs qui, en grande partie voient en lui, « un homme courageux », déterminé à faire bouger les lignes. « Le secteur avait soif de gouvernance, des normes et des réformes dans l’urgence et avait besoin d’un rappel au respect des procédures. De ce point de vue, les premières actions correspondent au contexte dans lequel il s’inscrit. C’étaient des décisions appropriées, dans un environnement où on avait besoin d’un rappel à l’ordre. D’ici quelque mois ou années, beaucoup de chose vont changer », soutient, optimiste, un haut responsable et proche du ministre.
A l’analyse, les actions du Minsanté laissent entrevoir une volonté de remettre de l’ordre dans ce secteur aux urgences et du personnel qui brille par un renoncement de leurs missions. Selon une source proche du dossier, l’objectif est de voir ces personnels de santé reconsidérer leur rapport à la vie humaine pour humaniser davantage l’hôpital, les soins et l’environnement du patient. Tout ceci, associé aux efforts fournis pour les motiver et relever les plateaux techniques. A ce sujet, l’Etat recherche à travers le Minsanté, d’autres moyens pour le relever. Ce qui devrait s’accommoder d’une gouvernance irréprochable de l’hôpital.
Critiques des caciques
En 100 jours, Mananouda Malachie s’est bâti une réputation de rigueur, de sérieux et de dynamisme. N’empêche que son magistère essuie de vives critiques, du fait de certaines décisions et sanctions prises par l’autorité tutélaire du secteur de la Santé publique. Notamment, la polémique relative à sa demande de libération des malades indigents séquestrés dans les hôpitaux publics. Cette décision transitoire, a viré à l’incompréhension au sein du corps médical et de l’opinion publique. « Il a pris des décisions que l’on pourrait qualifier de maladroite mais seul l’avenir nous le dira », avance un cadre du Minsanté. A l’issue par exemple de la réunion avec tous les acteurs concernés par la question des indigents le mercredi 3 avril à Yaoundé, des indiscrétions mentionnent quelques résolutions au rang desquelles, la mise sur pied dans les jours à venir, d’une procédure de prise en charge de l’indigent standardisée pour tous les hôpitaux ; la sensibilisation des CTD sur leurs responsabilités en matière de prise en charge des indigents. Nos sources révèlent aussi qu’il a été décidé que les hôpitaux doivent aussi redynamiser leurs services sociaux et le Minsanté interviendra pour des cas nécessitant une péréquation. « Toutes ces décisions sont le symptôme de ce qu’il faut repenser l’hôpital ; il ne se passe pas une journée sans un scandale dans nos hôpitaux. Il faut donc qu’il consulte large sur l’hôpital d’aujourd’hui et de demain », soutient un spécialiste de la santé publique. Un autre médecin en service dans la région de l’Extrême-Nord pense que « c’est très courageux de sa part. Il y a au sein de ce corps de métier, trop de brebis galeuses qui ternissent l’image du personnel de santé ».
Leader, autoritaire, solitaire
Du point de vue du management, « le style Manaouda » fait également des gorges chaudes. Certains cadres du Minsanté le trouvent autoritaire. « Notre ministre se comporte comme un capitaine seul dans un bateau. Il décide sans tenir compte de l’avis des autres », souffle un de ses collaborateurs. « Nous ne sommes pas toujours consultés, même sur des questions qui relèvent de nos compétences », se plaint un directeur. En effet, dans ce département ministériel, le nouveau patron s’est entouré d’une équipe restreinte de fonctionnaires associés aux décisions stratégiques. Mais dans l’entourage du ministre, cette posture est défendue. « Dans le contexte actuel, ce tempérament est justifié. Nous avons soif dans ce secteur sensible et hautement important, de sanctions, de rigueur, d’un rappel à l’ordre mais aussi, des félicitations et primes », explique une source. Selon elle, « Il était nécessaire que le nouveau ministre prenne le leadership ; qu’il imprime ses marques de manière rapide et claire ; qu’il impulse et trace sa ligne. Même si ça passe par un leadership solitaire et directif. Evidemment, c’est une forme de gouvernance qui va évoluer et s’adapter à l’environnement ». Néanmoins, « qu’il consulte un peu plus ses collaborateurs », suggère notre interlocuteur.
Ministre 2. 0
Ministre up to date, ultra connecté et réactif, Manaouda Malachie évolue avec son temps. En matière de communication, ce membre du gouvernement s’est ouvert aux codes de la communication moderne. Sur les réseaux sociaux, son compte tweeter est animé par lui-même. Dans cette tweetosphère où les internautes ne lui passent pas toujours le baume, le Minsanté n’hésite pas à répondre à certaines sollicitations dont il fait l’objet. Morceaux choisis : « Y a-t-il un de vos tweets où vous ne ramenez pas tout à vous ? » ; « Parfois, le silence est un grand allié. Répondre à tout sur les réseaux sociaux est dangereux » … Quoi qu’il en soit, pour l’administrateur civil ; arrêter de Tweeter est inenvisageable. Surtout que cela lui vaut aussi la sympathie de l’opinion.
Doléances venues du Nord
A plus d’un titre, l’arrivée de Manaouda Malachie à la tête du Minsanté constitue un motif d’espoirs. C’est en tout cas la perception qu’on fait de son action au sein des formations sanitaires, surtout en région. « Nous avons vu des actions concrètes depuis la prise de fonction de notre ministre. D’abord en termes d’humanisation des soins, d’amélioration de l’accueil dans les formations sanitaires où nous observons de plus en plus de propreté grâce aux multiples descentes inopinées », commente un médecin à Garoua, chef-lieu de la Région du Nord. Pour ce dernier, les mesures du Minsanté sont salutaires et efficaces car « les choses changent » avec l’ère Manaouda. « Il faut qu’il continue dans ce sens car nous voulons les meilleurs soins, la Couverture santé universelle, l’accès aux soins pour les plus démunis », s’exprime un autre médecin toujours à Garoua.
Mais le major de sa promotion à l’Enam est également attendu sur la question d’équipement des FOSA située dans des zones prioritaires comme le Grand-Nord. « Le Minsanté doit songer à équiper les formations sanitaires du Septentrion et affecter du personnel parce que l’accessibilité aux soins est non seulement financière mais aussi et surtout géographique. De nombreux postes sont abandonnés par le personnel affecté. Du coup, dans la plupart des structures de soins du Septentrion, le personnel est en nombre insuffisant », formule un responsable régional et élite du Grand-Nord. A Velé par exemple, les plaintes sur les conditions de travail du personnel de santé sont nombreuses. Précarité des salaires, nouveaux affectés sans salaires, primes et autres indemnités, rien ne doit être laissé pour compte. Le plateau technique et la répartition équitable de la logistique sur l’étendue du territoire national (ambulance, voiture de service, moto, infrastructures, réfrigérateurs) ne sont pas en reste. « Nous souhaitons aussi qu’il prête une attention particulière aux personnels qui se battent de jour comme de nuit dans les zones reculées ou difficiles d’accès pour s’occuper des Camerounais de l’arrière-pays », dit-il.
Si ses visites de contrôle inopinées sont saluées, il n’en demeure pas moins que le souhait de voir ces approches s’étendre et se déployer aussi dans le vrai arrière-pays en termes de prochaines étapes est émis. « Il faut aussi une communication plus appropriée des actions de manière systématique, rapide, qui permettent d’éclairer sur les mesures et les stratégies dans leur contexte parce les polémiques et les mauvaises interprétations ont failli prendre le pas sur le sens », suggère un cadre du ministère.