Cameroun. Polémiques sur les nouvelles règles d’établissement des ordonnances médicales
(Lurgentiste.com) — Au Cameroun, les nouvelles règles d’établissement des ordonnances médicales, qui entreront en vigueur dès le 1ᵉʳ juillet prochain, ne font pas l’unanimité au sein des professionnels de santé. Édictées par l’Ordre national des médecins du Cameroun pour la communauté médicale, elles sont critiquées autant par les pharmaciens que par les médecins. C’est d’ailleurs au sein du Conseil de l’Ordre que les premiers sons discordants se sont fait entendre. Certains membres interrogés se sont montrés perplexes quant à l’existence de ces règles, leur date de signature, leur utilité et leurs motivations.
Critiques des médecins
Pour plusieurs médecins, ces nouvelles règles sont « un coup d’épée dans l’eau » et surtout, une note « inapplicable » à plusieurs égards. D’abord, ils estiment que l’Ordre a généralisé l’achat de tout médicament. « Il aurait dû spécifier les groupes de médicaments nécessitant une ordonnance signée par un médecin », soutient un gynécologue-obstétricien.
En effet, « en officine, il existe des médicaments conseils (avec un rectangle vert) peu dangereux et vendus sans ordonnance… Il y a aussi le conseil officinal que le pharmacien donne à certains patients et qui peut s’accompagner d’un médicament », ajoute un pharmacien hospitalier.
Nécessité de concertation
Ensuite, il était « utile et nécessaire » d’impliquer l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun (ONPC). Concrètement, il fallait mener une « réflexion approfondie » avec des concertations entre l’Ordre des médecins et celui des pharmaciens, pour aboutir à « une décision réglementaire émanant du Minsanté (ministère de la Santé publique) », avance un médecin de santé publique au Minsanté. Cela inclurait, entre autres, la production d’un communiqué commun à l’issue de leurs concertations.
Autre point, les médecins n’ont pas de revenus suffisants pour produire eux-mêmes un ordonnancier, et l’ONPC n’a pas encore demandé à ses membres de ne pas servir les patients sans ordonnance. « L’Ordre n’a pas non plus pris en compte le fait que dans les pharmacies, ce ne sont pas toujours les pharmaciens ou les commis de pharmacie qui s’y trouvent », rappelle un autre médecin de santé publique.
Impacts sur l’accès aux médicaments
En outre, les populations ayant pris l’habitude de se procurer des médicaments sans ordonnance formelle, certains plaident pour la révision complète du système de commercialisation et de prescription des médicaments. De plus, l’Ordre n’a pas tenu compte des prescriptions effectuées par des non-médecins comme les infirmiers, les étudiants en médecine et parfois même les médecins traditionnels. L’absence de sensibilisation des patients sur la nécessité de passer par un médecin pour obtenir une ordonnance est également un problème.
Mais au-delà de ces arguments, des médecins craignent qu’à travers cette restriction, l’Ordre alimente le marché des médicaments de la rue. En effet, « la plus grande conséquence, si cela venait à être respecté, serait une ruée massive de la population vers les médicaments de la rue, longtemps combattus par le gouvernement », s’inquiète le gynécologue-obstétricien précité. « La vente illicite des médicaments (VIM) s’impose sur le terrain, les officines ne respecteront pas cette note et continueront à vendre sans ordonnances », affirme un pharmacien d’officine.
Réactions de l’ONPC
Au plus fort de la polémique, l’ONPC a tenu à rappeler les textes réglementaires sur la dispensation et la distribution des produits en officine. Le Dr Franck Nana, président de l’ONPC, insiste: « tout médicament inscrit sur la liste I et II (médicaments soumis à prescription médicale et obtenus seulement sur présentation d’une ordonnance) et les stupéfiants ne doivent être dispensés qu’avec une ordonnance d’un prescripteur ». Les prescripteurs incluent les médecins, chirurgiens-dentistes, infirmiers, IDE, sages-femmes et maïeuticiens.
Cette note élargit donc le champ des prescripteurs, ce qui contredit quelque peu l’Ordre des médecins. « Il y a beaucoup de manquements chez les professionnels de santé pour les actes médicaux de prescription et ceux pharmaceutiques », reconnaît un responsable de l’ONPC. Pour certains pharmaciens, la note de l’Ordre des pharmaciens au plus fort de la polémique démontre un manque de coordination et de réflexion. « Les pharmaciens sont formés avec des textes et les appliquent naturellement. S’il y a eu des écarts, ils doivent être signalés et les contrevenants sanctionnés », argue l’un d’eux.
Arguments en faveur de la mesure
Dans l’entourage du Président de l’ONMC, l’on est conscient des insuffisances telles que les déserts médicaux et la situation des médecins de garde, de districts, de santé publique, ou travaillant pour les ONG et l’industrie pharmaceutique. Toutefois, l’on reste convaincu du bien-fondé de la démarche. Elle devrait contribuer à réduire le nombre de prescripteurs non autorisés. « Beaucoup d’infirmiers ne pourront plus faire des consultations et des prescriptions », car personne n’ira « voir un praticien dont l’ordonnance ne peut être servie », affirme l’un des fidèles du Dr Fonkoua.
Plus important encore à leurs yeux, « le médecin doit redevenir propriétaire de la consultation et de la prescription. Il est inadmissible qu’un infirmier ou un aide-soignant prescrive pendant que les médecins sont au chômage », poursuit-il. En un mot, « le principe d’ordonnance ne doit pas être galvaudé », renchérit un autre membre du Conseil.
Objectif de la mesure
Rendue publique le 30 mai dernier, la mesure « vise essentiellement à lutter contre l’exercice illégal de la médecine et à revaloriser la profession médicale ». Son président, le Dr Rodolphe Fonkoua, invite par conséquent tous les médecins régulièrement inscrits au tableau de l’Ordre à se procurer un ordonnancier « qui obéit aux canons universellement connus de la profession ».
Concrètement, seules les ordonnances établies sur un papier en-tête contenant des informations spécifiques seront désormais acceptées dans les pharmacies au Cameroun. Ces ordonnances comporteront la dénomination de la formation sanitaire, les noms et prénoms du médecin, sa spécialité et son adresse complète. Les médecins devront également apposer un cachet nominatif accompagné du numéro d’inscription à l’ONMC.
Alors que les Ordres médicaux se réuniront du 10 au 14 juin prochain pour finaliser les travaux débutés il y a quatre mois sur ces questions, la polémique reste vive. Les discussions à venir s’annoncent cruciales pour déterminer si les nouvelles règles pourront être mises en œuvre de manière harmonieuse et efficace, tout en répondant aux préoccupations des différentes parties prenantes.