D’après les psychologues, cette maladie qui n’épargne aucune couche sociale est la plus répandue au pays.
Pour Jasmine, 30 ans, le déclic s’est fait à l’issue d’une conversation avec une amie. « Je traversais une période assez difficile de ma vie. J’avais tout perdue. Je suis arrivée à un stade où je me suis arrachée les cheveux sans même m’en rendre compte. Ce n’est qu’après qu’on m’a dit de quoi il était question », confie cette dernière. Pour cette employée d’une structure de la place, le verdict est sans appel : elle souffrait d’une dépression. « Une maladie mentale qui est caractérisée comme un trouble d’humeur ; l’humeur étant un peu l’état d’esprit surtout émotionnel dans lequel on se retrouve, qui peut être agréable ou pas. Et parmi les troubles de l’humeur, il y’a deux principales maladies que sont la dépression et la manie », explique Joel Djatche, psychologue-clinicien.
En clair, « La dépression c’est beaucoup plus quand on a l’humeur bas, on est triste. En langage courant on appelle aussi ça la maladie de la tristesse. Et la manie c’est beaucoup plus quand on est exalté, très content, très hyperactif. Ce sont ces deux caractéristiques qui se retrouvent dans le gros trouble de l’humeur. La dépression est donc cette maladie mentale qui est la plus répandue au monde », poursuit Joel Djatche. Steve non plus n’y a donc pas pu échapper. « J’ai coupé tout contact avec ma famille dans un premier temps. J’étais dans une sorte de trou noir, une spirale dans laquelle je me disais infernale. Je n’avais envie de rien », explique ce dernier.
Comme eux, beaucoup souffrent de cette maladie mentale au Cameroun. Mais, le constat fait état de ce que les préjugés et idées reçues créent des blocages chez ceux qui l’éprouvent. En effet, plusieurs personnes autour de nous sont dépressives et n’osent pas en parler. « On est dans le déni permanent de son mal-être; on veut se convaincre que tout va bien », dit Hermine, la mine sombre. Pourtant, « Au Cameroun, par ordre de fréquence, la dépression est la maladie mentale la plus fréquente. Le taux de prévalence varie entre 5% et 10% », déclare le Dr Jean Pierre Kamga Olen.
Selon les statistiques de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), environ 300 millions de personnes devraient en souffrir ou en ont souffert dans le monde entier. Au Cameroun en 2015, l’OMS a fait une évaluation et a conclu que 895 000 camerounais ont souffert de dépression cette année-là. « Ça fait près d’un million quand même. Voilà ce qui conforte dans l’idée que la dépression c’est la maladie la plus répandue y compris au Cameroun », tranche Joel Djatche.
Facteurs aggravants
Le constat fait état de ce que cette maladie reste une pathologie honteuse, encadrée d’idées reçues dans le contexte camerounais. En effet, l’on ne parle pas du tout ou pas assez de la dépression. Pour certains, c’est un sujet anodin voir même risible. « Toi et tes maladies des Blancs là…Tu es plus forte que ça », avait-on coutume de lâcher à Christine dans son entourage. Or, la surdité et les railleries des proches peuvent être des facteurs aggravants de la dépression. Ceci « Parce qu’un des éléments qui permet à la personne dépressive d’évoluer favorablement dans son traitement ou alors d’aller vers un rétablissement c’est le soutien qu’il peut avoir des personnes qui sont autour de lui. Donc si au lieu d’avoir ce soutien il est plutôt moqué, on est plutôt indifférent à ce qui lui arrive, c’est clair que ça aggravera beaucoup plus sa souffrance », éclaire notre psychologue-clinicien.
En gros, « Il aura du mal à en sortir s’il n’a pas les ressources internes assez importantes. Donc oui, les personnes autour de nous doivent nous soutenir, nous accompagner sinon si on souffre, on risque y rester beaucoup plus de temps que prévu », précise ce dernier. Il révèle par ailleurs que dans le cadre d’un programme de santé mentale maternelle où depuis plus de 4 ans son et lui évaluent et prennent en charge les mères adolescentes, le taux de prévalence de la dépression est de 61%.
« C’est-à-dire que sur 1365 mères adolescentes évaluées, on a 867 qui souffrent de dépression. Don c’est plus d’une mère adolescente sur deux. Vous n’en avez pas comme ça en Afrique. C’est un échantillon assez consistant », indique-t-il. Et de poursuivre : « Dans le cadre de notre programme, on reçoit en moyenne 300 mères par an et il y a plus de 160 qui souffrent de dépression. En clientèle privée, en moyenne par trimestre, on peut en recevoir une vingtaine et parmi la vingtaine là, pratiquement plus de la dizaine en souffre ».