Extrême-Nord. Les factures à problème du projet « chèque santé »

 Des formations sanitaires affiliées à ce projet sont plongées dans le désarroi et attendent d’être régularisées depuis plus de sept mois.

L’administrateur du CMAO de Meskine à Maroua 1er est formel. Si sa facture de 11 millions de Fcfa n’est pas réglée d’ici la fin du mois d’avril, il va résilier son contrat avec le projet « chèque santé », antenne de l’Extrême-Nord. « Ça fait sept mois que nous n’avons pas été payé. C’est lourd pour nous qui sommes un hôpital privé ; nous fonctionnons avec nos ressources propres. C’est une dette de 11 millions de Fcfa et quand c’est une forte somme comme c’est le cas, ça pénalise l’hôpital. C’est un réel problème. Nous sommes déjà pénalisés par les affres de la guerre contre Boko Haram et le chèque santé qui vient encore s’ajouter à cette situation met l’hôpital à mal », s’insurge M. WAGA, l’administrateur de cette formation hospitalière privée. En guise d’ultimatum, le patron du CMAO de Meskine a d’ailleurs adressé une correspondance au chef du projet « chèque santé » à Maroua, avec ampliation à la Délégation régionale de la santé pour l’Extrême-Nord (Drsp-EN).

Menaces de retrait du projet

Dans la région de l’Extrême-Nord, l’insolvabilité des factures du chèque santé pose problème à certaines structures. La situation embarrasse les autorités sanitaires de la région qui craignent que ce malaise finisse par plomber tout le processus. « Le mal est perceptible partout et il faut les comprendre. Ces formations sanitaires prennent les médicaments où ? Comment prennent-elles les femmes en charges si leurs factures ne sont pas payées pendant 6-7 mois ? », s’interroge une source proche du dossier. Pour celle-ci, ces retards de payements pourraient créer l’asphyxie. Pis, le non payement des factures entraine une dégradation des soins de santé administrés aux patients, dans ces structures de santé. D’où ces menaces de retrait brandis par certains hôpitaux impliqués dans le projet.

Contacté, le Dr Dama, chef d’antenne « chèque santé » pour cette région, basé à Maroua, se veut rassurant. « Ce n’est pas un problème alarmant. Une formation sanitaire privée a posé problème. Ce qui est normal parce que le privé n’est pas comme le public. Nous avons soumis le problème à la hiérarchie. Nous leur avons rassuré que d’ici le début de cette semaine, il y aura un début de solution et ils ont compris », relativise le Dr Dama. D’après lui, seules les formations sanitaires du privé ont exprimé ce problème de factures impayées. Une version des faits défendue par le directeur de l’hôpital de district de Moutourwa. « On ne veut pas se retirer du projet. Il y a juste un problème de factures impayées », explique ce dernier. Pour le Dr Dama, « Nous du public n’avons aucun problème ». Dans la région de l’Extrême-Nord, le projet « chèque santé » concerne 27 formations sanitaires : 20 du publiques et 7 privées confessionnelles. Soit neuf à Maroua 1er, six à Maroua 2è, cinq à Maroua 3è, quatre à Bogo et trois à Moutourwa. « Le mal est perceptible partout », affirme notre source proche du dossier. Ce d’autant plus que des trois régions, l’Extrême-Nord est celle ayant le plus grand nombre de factures impayées, devant celle du Nord et de l’Adamaoua, avec quatre mois chacune.

 Lenteurs administratives

Le 05 mai 2018, au lendemain de la fin de la phase pilote du projet le 4 mai, la gestion du « chèque santé » assurée jusque-là par le Centre international de développement et de recherche (CIDR), avait été transféré aux trois Fonds régionaux pour la promotion de la santé (FRPS) des régions du Nord, de l’Extrême-Nord et de l’Adamaoua. Le 29 octobre 2019, en raison de leur rôle clé, une convention de collaboration entre le Minsanté et leurs administrateurs avait ainsi été signée. Les enjeux majeurs ici, était l’appropriation du mécanisme et sa pérennisation. D’où le choix du gouvernement, de transmettre la gestion de ce chèque à des structures nationales déjà en activité dans les dix régions du pays. Seulement, cinq mois plus tard, des lenteurs administratives et procédurales plombent le projet. « Comme à tout début d’un transfert de compétences, il y a toujours des problèmes. Il faut donc d’abord que les chosent soient huilées, que les FRPS s’imprègnent du dossier. Vous savez qu’il était géré avant par le CIDR. Donc le temps que les fonds régionaux s’imprègnent des dossiers et tout va rentrer dans l’ordre », justifie le Dr Dama.

Du côté du FRPS Extrême-Nord, des sources expliquent que ces problèmes ne sont un secret pour personne. « Le chèque santé qui était géré par le CIDR nous a été transféré en l’état. Le système est tel que, les chefs d’antenne de ce projet font les états de leurs factures. Nous les collectons et les envoyons à l’UCPC (Unité de coordination du programme conjoint AFD/KFW : Ndlr), qui les envoie à son tour à la CAA (Caisse autonome d’amortissement : Ndlr). C’est vrai que ces procédures prenaient déjà du temps, mais elles prennent un peu plus de temps cette fois-ci », précise notre source. Initié par le gouvernement, le « Chèque santé », s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la mortalité maternelle et infantile à travers une subvention de plus 11 milliards de Fcfa de l’AFD et de la Banque de développement allemande.

Les FRPS à qui revient cette somme, couvre le suivi de la femme enceinte, la prise en charge de l’accouchement et la prise en charge des soins de la mère et du bébé pendant les 42 jours suivant l’accouchement. Concrètement, alors que le coût moyen de la prise en charge de la femme enceinte s’élève à 60 000 Fcfa, les femmes ne contribuent qu’à hauteur de 10 %, soit 6 000 Fcfa. La méthode semble avoir porté ses fruits. En effet, entre juin 2015 et mai 2018, le bilan de ce projet affichait plus de 100 000 femmes sauvées dans le cadre de la lutte contre la mortalité maternelle et infantile dans 11 districts de santé et 81 formations sanitaires. Des bons résultats que pourrait compromettre ces retards de payement des factures.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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