A la faveur de la 23e journée mondiale du bégaiement, le président de l’Association Voix-Paroles-Bégaiement du Cameroun (Avopabec) revient sur la prise en charge des personnes souffrants de bégaiement, le soutien social dont les bègues doivent bénéficier et les facteurs à l’origine de ce trouble de l’élocution qui aurait des origines génétiques et cérébrales d’après certaines études médicales.
Au Cameroun, a-t-on conscience que le bégaiement soit un handicap ?
Cette journée n’est même pas déjà reconnue dans les différents cahiers de charges des différentes journées célébrées au Cameroun. A notre niveau, nous essayons de faire entendre notre voix. Je suis moi-même un bègue et nous avons mis sur pied notre association pour sensibiliser les bègues personnes souffrants de cette pathologie. Il faut aller vers les populations et les pouvoir publics, les sensibiliser sur ce que c’est que cet handicap. Nous souhaitons que cette journée soit inscrite dans les cahiers de charges au Cameroun.
Quel regard porte-t-on sur ces personnes souffrants de bégaiement ?
C’est un regard qui ne peut être que néfaste puisque c’est un trouble vraiment touchant. Si vous n’êtes pas bègues nous ne saurez pas comment vivre au quotidien avec une personne souffrant de bégaiement. Mais, ce qu’il faut savoir c’est que le bégaiement ne constitue plus un tabou ni une fatalité. Il est possible de trouver des solutions. Il faut aussi qu’on arrête de penser que le bégaiement est un phénomène mystérieux. Il ne l’est que si l’on oublie de considérer que l’acte de parole présente des aspects multiples : Biologique puisqu’on parle avec son corps ; psychologique puisqu’on parle avec son esprit ; linguistique c’est-à-dire on parle conformément aux lois du langage et sociologique c’est-à-dire qu’on parle pour communiquer avec les autres.
Comment s’explique ce trouble de la parole ?
Nous avons un ensemble de facteurs qui concourent à la propagation du bégaiement et qui participent à sa chronisation. On parle de facteurs favorisants. Ici, on peut avoir le retard de parole, le climat familial tendu, la souffrance de la petite enfance, un problème qui vient du système nerveux central. Parfois, c’est un caractère de volontarisme. On peut avoir des facteurs déclenchants c’est-à-dire ça peut parfois être comme une curiosité, la naissance d’un enfant, le déménagement, changement d’école, séparation ou tout traumatisme affectif. Parfois, les réactions du sujet à son entourage et à ces difficultés viennent alors fixer son trouble. Les facteurs psychologiques peuvent aussi parfois entrer en jeu. On peut aussi avoir des facteurs qui sont liés à l’environnement. Parfois, tous ces troubles sont à la base du bégaiement chez ces personnes.
Est-ce un trouble héréditaire ?
C’est une question qui revient chaque fois que l’on parle du bégaiement. Je peux dire oui à 10% parce que les facteurs génétiques peuvent entrer en jeu dans une certaine fragilité. Mais ces facteurs dit favorisants ne sont pas à l’origine du bégaiement. Il est important de comprendre que cette fragilité n’entraine pas de façon mécanique un bégaiement. C’est pour cela que vous allez voire que dans une famille, on va dire que le grand père avait bégayé et deux générations plus tard, le bégaiement peut revenir. Donc le facteur génétique entre toujours en jeu. C’est pourquoi nous mettons beaucoup l’accent sur la prévention.
De quel soutien doit bénéficier une personne souffrant de bégaiement ?
Le soutien ne pourra être que personnel. Mais beaucoup plus au niveau de l’accompagnement, au sein de notre association, nous avons des personnes qui nous accompagnent. Des psychologues, psychomotriciens, des médecins ORL et neurologues. On essaie de passer la parole et recueillir des témoignages. C’est à partir de ceux-ci que nous voyons ce qu’il y a lieu de faire. Si c’est l’accompagnement psychologique ou orthophonique, ou neurologique. Mais l’action est beaucoup plus personnelle.
Quelles prises en charge existent ?
Elles ne peuvent être qu’uniforme parce que c’est une thérapie qui est conventionnelle. Donc nous ne pouvons pas aller dans la médecine traditionnelle comme avant on disait par exemple de boire l’eau dans les calebasses. Et ça variait en fonction de chaque région. Aujourd’hui, on a des thérapies conventionnelles que nous mettons en avant. Travailler d’abord les pastilles au niveau de l’articulation parce que pour travailler le bégaiement, il faut que la personne articule très bien ; passer à l’acte respiratoire c’est-à-dire travailler le diaphragme pour permettre au niveau de respiration phonatoire inspiration-expiration. Enfin, travailler au niveau de la tonicité pour permettre à cette personne d’avoir une parole fluide. Comprendre le bégaiement est important pour que la thérapie réussisse. C’est pourquoi nous étudions les phénomènes qui entourent cet handicap et les désagréments qu’il cause auprès des populations. A l’occasion de cette journée, nous voulons vaincre cette pathologie par des actions ciblées comme le conseil, l’éducation, l’entretien et la thérapie par des exercices qui permettront de contrôler durablement le bégaiement. Quelques-uns de ces exercices visent directement le mécanisme de la parole alors que les autres s’attaquent aux mécanismes cachés qui sont à l’origine de ce trouble. Nous voulons que le maximum de personnes rejoignent notre combat pour permettre à tout le monde de s’exprimer.
Pourquoi les orthophonistes ne courent pas les rues au Cameroun ?
Nous déplorons cela et nous encourageons les jeunes à s’intéresser à ce métier très noble et qui est très bénéfiques pour les générations futures parce que c’est un métier qui fait gagner la vie. On compte seulement cinq orthophonistes au Cameroun voir même en Afrique Centrale. Yaoundé a deux orthophoniques et trois à peine à Douala. C’est tellement très peu. Pour le moment, nous n’avons pas d’écoles de formations au Cameroun mais on a une école au Togo uniquement qui forment les orthophonistes. J’encourage ces personnes à s’intéresser à ce métier.
En quoi se résume votre travail au quotidien ?
C’est un spécialiste paramédical de la médecine qui s’occupe de différentes pathologies de la voix, de la parole et du langage. Il dépiste, diagnostique et oriente les patients. Les différentes pathologies dont il s’occupe sont le retard de parole dès deux ans, des enfants qui ont des troubles d’articulation des sons, des troubles de langage, de bégaiement et bredouillement. Perte de la parole après un traumatisme crânien ou un AVC, perte de voix, les enfants qui ont les troubles d’écriture et de lecture, psychomoteurs, de mémoire sans oublier la surdité qui est devenu un problème majeur dans notre société. Il vit au quotidien avec les médecins, ORL, pédiatres, neurologues, cardiologues, psychologue.