Covid-19. Le confinement pour éviter l’hécatombe au Grand-Nord

La faiblesse du plateau technique et le niveau de pauvreté des populations avancés comme principales raisons.

Au Cameroun, cinq régions sur 10 sont encore épargnées par le coronavirus qui se propage de façon exponentielle depuis le 6 mars 2020. Ce sont le Nord-Ouest, l’Est et les trois régions septentrionales. Ici, au regard de la propagation rapide de l’épidémie en terres camerounaises, la question du confinement du Grand-Nord agite l’opinion nationale. Surtout que le nombre des cas va croissant et que les populations perdent peu à peu de leur sérénité, à cause d’un récent communiqué du gouvernement tchadien. Lequel faisait état d’un cas testé positif au Coronavirus passé par Touboro et décédé. Néanmoins, « A ce stade, c’est un peu aller à l’extrême. Notre économie en dépend », soutient une autorité sanitaire de l’Adamaoua.

Pourtant, « Si ce virus arrive ici, ce sera l’hécatombe parce que le risque de propagation est plus élevé que dans le reste du pays », argue un médecin en service dans le Mayo-Sava. Un autre médecin en service dans le Logone et Chari est aussi favorable à un confinement mais, milite pour la libre circulation des camions marchandises. « Je pense que c’est la meilleure solution pour nous. En confinant le Grand-Nord du Grand-Sud à partir de l’Est, on pourra éviter que l’épidémie se propage », fait savoir un membre de Cœur du Septentrion (Association qui regroupe les médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes du Septentrion).

Seulement, « Est-ce possible du point de vue social et économique ? », s’interroge notre source. Là, réside l’équation à plusieurs inconnues. En effet, si la question d’un confinement du Septentrion apparaît nécessaire pour les médecins consultés, ces derniers s’inquiètent de la difficulté à respecter la distanciation sociale, des mouvements des populations qui vont bon train, de la promiscuité dans les ménages, des grands regroupements lors des marchés mais aussi, de la pauvreté ambiante.

Selon les enquêtes camerounaises auprès des ménages (Ecam) 2, 3 et 4, 63% des nordistes sont pauvres. La région de l’Extrême-Nord, (la plus peuplée du Cameroun avec cinq millions d’habitants), caracole en tête. 74,3% de personnes y vivent dans la pauvreté, contre 65,9 en 2007 et 56,3 en 2001. Le Nord lui emboîte le pas avec 50,1 en 2001 ; 63,7 en 2007 et 67, 9% en 2014. La région de l’Adamaoua n’est pas épargnée, bien qu’elle a connu une petite baisse en 2014. De 52,9% en 2007, le  pourcentage de la frange de la population pauvre est descendu à 47,1% en 2014.

Capacité de riposte

Autre motif d’inquiétudes du corps médical et pas des moindres, celui de la capacité de riposte réelle des Formations sanitaires (Fosa) du Septentrion. Les médecins interviewés sont unanimes : les Fosa du Grand-Nord en grande partie ne disposent pas d’un plateau technique adéquat, du matériel de protection du personnel et de réanimation (respirateurs artificiels, oxygénateurs) pour la riposte. C’est le cas de la région de l’Extrême-Nord où, « le seul hôpital qui peut essayer de prendre en charge les cas c’est l’hôpital régional de Maroua », indique une source médicale. A en croire nos informateurs, la salle d’isolement de cette structure sanitaire compte quatre lits, deux oxygénateurs et deux condensateurs. L’hôpital régional annexe de Kousseri lui, dispose de six masques à oxygène.

Pour l’heure, cette formation sanitaire n’a pas d’équipements de protection individuelle (EPI), encore moins de tests de dépistage. « Nous nous sommes investis dans la sensibilisation. C’est la seule arme que nous possédons pour l’instant », confie une source médicale. Situation également préoccupante au Nord. « Ce sera difficile pour nous. Nous ne sommes pas équipés d’un plateau technique qui nous permet de répondre de manière efficiente à la pandémie. Si nous avons par exemple cinq malades qui ont besoin d’oxygène, nous ne pourrons pas la leur apporter », s’alarme un autre médecin en service à Garoua.

En effet, de sources officielles, la région du Nord ne dispose que de quatre lits de réanimation à l’hôpital régional de Garoua, d’un appareil respirateur portatif, de trois thermo flashs et de 93 kits de dépistage. En ce qui concerne les masques et EPI, « Pour une moyenne de 10 alertes par jour, notre stock permet de tenir pendant un mois », rassure le Dr Djamilatou Leila, déléguée régionale de la Santé publique pour le Nord. D’elle, nous apprendrons qu’une nouvelle demande de matériels a été faite auprès du ministère de la Santé publique. « Surtout que les thermo flashs ne suffisent pas. Nous en avons vraiment besoin. A l’entrée de Garoua, nous avons une équipe au poste de santé. Elle filtre les arrivées et prend la température des passagers », explique l’autorité sanitaire régionale.

Dans l’Adamaoua, l’hôpital régional de Ngaoundéré ne dispose pas d’appareils respirateurs mais compte cinq lits en réanimation et une salle d’isolement. « Nous sommes quand même outillé mais pas dans le sens propre du terme », regrette un médecin généraliste en service au sein de cette structure sanitaire. Ce que le directeur balaie du revers de la main. « Nous avons une organisation dynamique », tranche le Dr Mamoudou.

Et ce dernier de préciser que les masques de protection, ont été fourni par le Minsanté. Difficile toutefois d’avoir la quantité de stock disponible. « Ça dépendra des cas que nous allons recevoir. S’il y a une flambée, ça va de soi que nous ne tiendrons que quelques jours », indique le médecin sous anonymat. Coté médicament, l’hôpital ne peut pour l’instant que compter sur l’azithromicine qui peut tenir plusieurs mois encore. Mais tout dépendra aussi de la file active des cas.

Ressources humaines

Coté ressources humaines, la situation n’est guère plus reluisante. A Ngaoundéré, en cas de la survenue et de l’hospitalisation des cas, l’hôpital pourra entre autres compter sur quatre anesthésistes-réanimateurs infirmiers. Au Nord, quatre équipes d’intervention et d’investigation sont sur le terrain. Elles sont composées de cinq personnels de santé : un médecin, un épidémiologiste, un biologiste, un pharmacien et une infirmière. D’après les données de la Direction des ressources humaines de 2019, l’Extrême-Nord compte sept infirmiers anesthésistes. Contacté, le délégué régional n’a pas souhaité s’exprimer sur la question sans l’aval de sa hiérarchie.

Mais de manière générale, selon les chiffres officiels, le nombre de personnel de santé au Cameroun est de 27 978. Soit une densité calculée de 11,53 pour 10 000 habitants (soit 1,5 médecin pour 10 000 habitants et 9,9 infirmiers pour 10 000 habitants). Selon le rapport 2019 de l’enquête SDI/HFA/DQR sur les indicateurs de prestations des services de santé, le taux de médecins et médecins spécialistes du public était de 41% dans l’Adamaoua, 28% à l’Extrême-Nord et 30% au Nord. Ceux du personnel de laboratoire et de pharmacie est respectivement de 13%, 25% et 20%.

Quoi qu’il en soit, la « Protection obligatoire pour tous (masque), le dépistage massif autant que possible par nos moyens, le confinement sélectif en fonction des résultats sans toutefois oublier toutes les autres mesures de prévention recommandées depuis des semaines », reste l’une des meilleures solutions tel que le soutient un épidémiologiste au Minsanté. Si de manière générale, la situation sanitaire du Cameroun inquiète au plus haut point l’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle l’est donc davantage dans le Grand-Nord.

Déjà logé à la mauvaise enseigne, le système de santé s’y est ainsi considérablement affaibli du fait entre autres, des exactions de la secte terroriste Boko Haram, de la crise des déplacés, de la pauvreté et de la faiblesse du plateau technique. S’y ajoutent, la résurgence des épidémies de rougeole, la détection de cas de maladies d’origine inconnue, la flambée de cas suspects de Pian et l’enregistrement de nombreux blessés civils lors des attentats terroristes perpétrés dans la région de l’Extrême Nord du pays. Raison pour laquelle la nécessité d’un confinement total du Grand-Nord apparaît capitale.

 

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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