Kaélé.  Une femme enceinte décède faute de césarienne

Les deux médecins habilités à pratiquer une césarienne étaient absents de la structure hospitalière.

Dame Widiba n’avait sans doute pas imaginée une fin aussi tragique autant pour elle que pour le bébé qu’elle attendait. Tous les deux ont été brutalement arrachés à la vie par cette mi-journée du samedi 03 août 2019. Ce jour-là, cette femme âgée de 38 ans, enceinte et à terme, en provenance de Kolara, débarque à l’hôpital de district de Kaélé dans le département du Mayo-Kani, pour accoucher. Il est 14h environ. Après des examens effectués par des infirmiers de garde, ceux-ci délivrent le diagnostic selon lequel la patiente doit subir une césarienne, son cas étant délicat. Sauf qu’il se pose un problème: l’hôpital ne dispose que de deux médecins habilités à mener ce type d’opération. Il s’agit du Dr Amah et du Dr Djongmo Daissala, le directeur de cette Formation sanitaire publique.

Malheureusement, aucun ne se trouve à l’hôpital au moment des faits. Le Dr Amah dont le dévouement et la disponibilité sont salués par ses collègues, est injoignable. « En réalité, il est d’un apport important à l’hôpital. C’est d’ailleurs lui qui est toujours disponible quand de telles interventions se présentent. Le Directeur de l’hôpital est presque toujours à Maroua où il réside », explique l’une de nos sources hospitalières. Un  autre de ses confrères décrit cet originaire de Bamenda dans le Nord-Ouest comme « un gars très respectueux, calme et toujours au chevet de ses patients ».

Soit. Injoignable, la seule option salvatrice face à cette situation reste donc celle du Directeur de l’hôpital, le Dr Djongmo Daissala. Par chance, il est lui, joignable. Mais, il indique se trouver à Maroua où il réside permanemment et propose à ses collaborateurs d’insister pour joindre le Dr Amah. A noter que la distance entre Kaélé et Maroua est évaluée à 150 km, pour environ deux heures de route. Quoi qu’il en soit, c’est dans ces atermoiements que la patiente à terme finira par rendre l’âme avec son bébé, sous le regard impuissant de ses proches venu l’assister. Ceci, près de deux heures après son arrivée dans cette Fosa.

 Dessous de l’affaire

En fait, le torchon brule entre les deux responsables de cet hôpital depuis quelques semaines, indiquent des sources internes à l’hôpital. « Il y a eu un incident au cours d’une réunion entre le Dr Djongmo et le Dr Amah. Ce dernier n’est pas encore intégré à la fonction publique et ne dispose pas d’un salaire à la fin du mois. Au cours d’une réunion de travail tenue il y a quelques semaines, le jeune Dr Amah a exposé une situation à l’attention de tous. Il se trouve que pendant cette période, il y a eu 18 opérations de césarienne. Le Dr Amah en avait réalisé 17 tandis que le Dr Djongmo n’avait réalisé qu’une seule », poursuit l’une de nos sources hospitalières.

Quote-part de la discorde

A en croire une autre source, le partage de la quote-part recouvrée dans le cadre du kit obstétrical de césarienne est à l’origine de la discorde. En effet, dans le cadre dudit kit qui concerne la prise en charge des femmes enceintes dans un établissement hospitalier pour une patiente qui a souscrit à cette forme d’assurance, il y a une prime qui revient à l’hôpital par patiente et l’ensemble de cette prime est partagée à la fin du mois entre le personnel. « Le Dr Amah au cours de cette réunion, a simplement demandé au Dr Djongmo qu’il souhaitait avoir aussi quelque chose dans cet argent qui revient à l’hôpital puisqu’il est pratiquement le seul à effectuer les césariennes. Une revendication qui a suscité l’ire du Directeur qui l’a vertement repris devant le personnel et lançant dans ses propos, “tu n’es pas obligé de faire ça, ne fais même plus si tu veux” », rapporte notre source.

Travail minimum

D’après d’autres sources, c’est ce à quoi s’est résolu le Dr Amah, à l’issue de cette volée de bois verre de son patron. Frustré et n’étant plus couvert par la Direction de l’hôpital, le jeune médecin aurait décidé de revenir au service minimum, tout en se focalisant uniquement désormais sur les instructions reçues par sa hiérarchie. « Un de ses proches nous a fait comprendre que comme une note avait désigné un responsable pour la garde le samedi, il a naturellement pensé à jouir de son week-end et ne souhaitait pas se mêler des affaires de l’hôpital. Surtout se sachant dans le viseur du Directeur. Malheureusement, le responsable de garde ce jour-là se trouvait être un pharmacien, Dr Benjamin Ndamb, donc inapte à pratiquer une césarienne », regrette une de nos sources.

Laquelle informe néanmoins que malgré le décès de cette patiente, une équipe s’est rendue au domicile du Dr Amah pour l’informer de la situation et implorer son aide. Ce d’autant plus qu’un autre cas de césarienne s’est présenté le même jour, aux environs de 18h, « Le Dr Amah a alors cédé aux supplications des uns et des autres et s’est rendu à l’hôpital pour pratiquer l’opération qui va bien se terminer. C’est dommage que pour la dispute des prébendes, on laisse mourir des gens. Le boss veut tout manger seul mais n’est pas tout le temps-là pour travailler», dit notre source, sarcastique.

Mise au point

Joint au téléphone, le Dr Amah confie qu’il était souffrant. « On a essayé de me joindre mais je n’étais pas attentif au moment des appels. Il pleuvait, j’étais couché, souffrant et éloigné de mon téléphone qui était sous silencieux. C’est pour ça que je n’ai pas entendu sonner. Il faut aussi dire que le réseau est très perturbé ici chez nous », explique le jeune médecin. Ce dernier poursuit que « J’ai demandé à ceux qui sont venus m’appeler pourquoi ne pas m’avoir prévenu qu’il y avait un patient en mauvais état. Ils m’ont dit avoir essayé de m’appeler. C’est quand je regarde le téléphone que je m’aperçois qu’effectivement, j’ai reçu des appels. Donc c’est juste les circonstances qui ne m’ont pas permis de décrocher».

Sur le fond du problème, le Dr Amah indique qu’«En vérité, je ne crois pas que les gens maîtrisent très bien ce qui s’est passé. Au cours de cette réunion, il y a certes eu des plaintes par rapport à certaines conditions de travail. On a certes mentionné le kit obstétrical mais c’était juste un point parmi ces problèmes présentés dans un échange formel au cours d’une réunion administrative. Mais comme ça concerne l’argent, chacun prend ça différemment ». Toutes tentatives de joindre également le Directeur de cet hôpital sont restées vaines.

En rappel, au Cameroun, le ministère de la Santé publique (Minsanté) a mis en place un mécanisme pour que le prix de l’accouchement soit revu à la baisse et harmonisé dans les hôpitaux de district et les centres de santé. Il s’agit des kits obstétricaux (kits d’accouchement et kits de césarienne). Ils contiennent tout le nécessaire pour un accouchement normal ou pour une césarienne. Celui d’accouchement coûte 6000 Fcfa et celui de la césarienne revient à 40 000 Fcfa.

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
1 Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *