Lurgentiste.com – Le Comité national de transfusion sanguine (CNTS) devra fonctionner en 2025 avec une enveloppe budgétaire de seulement 01 milliard de FCFA. Soit moins de 30 FCFA par habitant pour couvrir les besoins d’une population camerounaise de 35 millions de personnes. Ce montant est jugé insuffisant par les experts du secteur. Le Pr Tetanye Ekoe, président du comité de gestion du CNTS, estime que « le minimum des subventions ne saurait être inférieur à 3,5 milliards de FCFA pour l’année 2025 ».
La situation est d’autant plus inquiétante que le Cameroun peine déjà à atteindre le taux minimal de 10 donneurs pour 1000 habitants recommandé par l’OMS. Actuellement, le pays compte à peine 4 donneurs pour 1000 habitants, obligeant de nombreux établissements à recourir à des dons familiaux rémunérés – une pratique pourtant reconnue comme à risque.
Des infrastructures à la traine
Le secteur transfusionnel camerounais souffre particulièrement du non-aboutissement des projets d’envergure. En 2018, un financement de la Banque islamique de développement (BID) avait pourtant laissé entrevoir une perspective d’amélioration. Ce projet ambitieux prévoyait la construction de 6 centres régionaux modernes, la mise en place d’un système informatique national de traçabilité et la formation de 200 techniciens spécialisés, pour un coût total de 15 milliards de FCFA.
Sept ans plus tard, le constat est accablant : aucun centre n’est pleinement opérationnel, les fonds ont été partiellement réaffectés à d’autres postes budgétaires, et du matériel médical d’une valeur de 2,3 milliards de FCFA dort dans des entrepôts à Douala. Ces retards considérables privent les populations d’un accès sécurisé aux produits sanguins, avec des conséquences dramatiques sur la santé publique.
Bataille foncière
La situation du CNTS se complique davantage avec la menace pesant sur son siège social. Le terrain de 5 hectares attribué en 2021 à Warda (Yaoundé) pour accueillir les nouvelles infrastructures fait désormais l’objet d’une âpre bataille administrative. Le projet d’une autoroute urbaine du « Grand Yaoundé », initié en 2023, empiète en effet sur ce site stratégique.
Le Pr Tetanye Ekoe dénonce avec véhémence cette situation : « Par une mathématique surprenante, ce site initial et stratégique de Warda est sous la menace, contre toute attente, depuis janvier 2025, d’être délocalisé au quartier Olembe ». Cette incertitude foncière bloque la concrétisation des plans déjà élaborés par un cabinet français d’architecture médicale, retardant d’autant l’amélioration du système transfusionnel national.
Contrôle défaillant des banques de sang
Malgré un décret du 12 février 2019 lui en donnant formellement le pouvoir, le CNTS ne parvient à superviser qu’une infime partie des 497 banques de sang recensées sur le territoire national. Les conséquences de cette carence de contrôle sont particulièrement alarmantes.
Selon des sources hospitalières concordantes, 37% des poches de sang échappent à tout dépistage systématique du VIH ou des hépatites. Par ailleurs, 56 hôpitaux publics continueraient d’utiliser des méthodes de conservation obsolètes, augmentant les risques pour les receveurs. Cette situation explique en partie la pénurie chronique estimée à 210 000 poches manquantes chaque année, comblée tant bien que mal par des importations informelles aux conditions sanitaires douteuses.
Des comparaisons régionales qui font honte
La faiblesse du système transfusionnel camerounais apparaît plus criante encore lorsqu’on la compare à celles d’autres pays africains. Le Bénin, avec un budget de fonctionnement et d’investissement dépassant cinq milliards de FCFA, propose des poches de sang à 2 000 FCFA sans obligation de présenter un donneur de remplacement.
Plus au nord, le Sénégal a carrément instauré la gratuité des produits sanguins grâce à un budget annuel de 7 milliards de FCFA. Ces disparités régionales soulignent le retard pris par le Cameroun dans ce secteur vital de la santé publique. Pourtant, le pays dispose d’un potentiel humain et technique qui pourrait lui permettre de devenir leader en la matière en Afrique centrale.
Urgence sanitaire… incontestable
Les conséquences de ces dysfonctionnements se mesurent en vies humaines. Les statistiques officieuses évoquent que 23% des décès maternels seraient liés à des défauts transfusionnels. L’année 2024 a déjà connu trois alertes épidémiques d’hépatite B post-transfusionnelle dans des hôpitaux de référence.
Dans les centres de santé, les patients et leurs familles subissent au quotidien les effets de cette crise. À l’hôpital central de Yaoundé, le délai d’attente moyen pour obtenir une poche de sang atteint fréquemment 72 heures, mettant en danger des vies dans les services d’urgence et de maternité.
Entre déni et promesses
Contacté pour réagir à ces révélations, le ministère de la Santé publique a reconnu « des retards dans la mise en œuvre » des projets transfusionnels. Une source ministérielle a évoqué « une révision du budget en cours » et promis « une solution alternative pour le site de Warda ».
Mais ces déclarations laissent sceptique le Pr Tetanye Ekoe, qui rappelle amèrement que « ces promesses datent de 2019. Pendant ce temps, des vies se perdent chaque jour dans le silence des couloirs ministériels ». Alors que le Cameroun s’achemine vers les élections d’octobre 2025, la question de la transfusion sanguine pourrait bien devenir un marqueur de l’efficacité – ou de l’inefficacité – des politiques publiques en matière de santé.
Piste de solution
Face à cette situation complexe, plusieurs pistes de solution émergent selon le patron du CNTS. La création d’un laboratoire national de référence en transfusion sanguine constitue une priorité absolue. Parallèlement, une meilleure coordination entre les différents acteurs du secteur (ministères, hôpitaux, partenaires techniques et financiers) s’avère indispensable.
Mais au-delà des mesures techniques, c’est d’une véritable volonté politique dont a besoin le système transfusionnel camerounais. Comme le souligne le Pr Ekoe, « il y va de l’honneur du Chef de l’État lui-même, à la veille du rendez-vous crucial d’octobre 2025 ». Reste à savoir si ce cri d’alarme sera entendu à temps et éviter au Cameroun de vivre de nouvelles tragédies sanitaires.
Lire aussi: