Pour l’épidémiologiste et directeur d’Epicentre Afrique (MSF), la rareté des anti-venins au Cameroun est une opportunité pour une production locale qui s’appuierait sur les capacités de type Lanavet et l’IMPM. Il revient aussi sur les dangers des morsures de serpent sur la santé des populations.
Nos informations font état de ce que les morsures de serpents sévissent dans le Grand-Nord, entraînant des décès dans certains cas. Quelle est l’ampleur de la situation sur le terrain ?
Sur les sites où nous sommes présents nous observons près d’une morsure de serpent par jour surtout du côté de Tokombere et Poli. C’est l’arbre qui cache la forêt car la majorité des cas de morsures ne se rendent malheureusement pas à l’hôpital et restent en communauté où sont utilisés des outils tels que la pierre noire dont l’effet n’a toujours pas été prouvé.
Peut-on considérer ce phénomène qui sévit dans la partie septentrionale du pays comme un problème de santé publique ?
En effet les morsures de serpent sont un problème de santé publique qui fait partie du groupe des maladies tropicales négligées. Ceci sous-entend qu’il n’y a pas suffisamment de ressources déployées à l’échelle mondiale pour lutter contre ce fléau qui entre dans le concept « Une Santé ». En effet, la proximité des serpents et des humains créée ce problème de santé publique dont les solutions doivent être développées avec les différents personnalités de la communauté qui incluent les populations dont l’engagement doit être stimulé par la sensibilisation mais aussi les personnels de santé, les vétérinaires, les entreprises comme CotCo qui contribuent à la lutte contre les morsures et enfin les politiques qui sont au cœur de toutes les solutions.
A quoi s’exposent ces populations si rien n’est fait ?
Si rien n’est fait les populations s’exposent à une augmentation des morsures de serpents dont les plus sévères entraînent la mort. Au-delà de la mort, je suis toujours outragé comme récemment de voir des enfants mordus par les serpents car ces morsures peuvent entraîner des handicaps à vies et d’autres séquelles. Ils sont de fait mis hors du système d’éducation pour certains et stigmatisés pour d’autre. Il est vraiment indispensable que la communauté toute entière face front à ce problème de santé publique.
Quel est justement le pourcentage des personnes mordues par un serpent qui ont accès à un traitement de qualité au Cameroun en général et dans cette partie du pays en particulier ?
Il est impossible d’avoir cette information sans réaliser une véritable enquête dans les communautés et voir la proportion des personnes mordues par les serpents qui sont prises en charge dans la communauté et celle qui se rend à l’hôpital. Toujours est-il que le coût d’une dose de sérum avoisinant les 50 000fcfa est une barrière infranchissable pour la majorité des camerounais tant est que le salaire minimum mensuel est de 30 000fcfa et que certains patients que nous avons dans notre étude ont eu recours gratuitement à 4 voire 6 doses pour certains. Les travaux de notre expert national, Dr Nkwescheu, montrent que près de 9 personnes sur 10 ayant une morsure de serpent utilisent des pratiques traditionnelles tandis que 4 sur 10 sont pris en charge par des tradipraticiens. Seul 1 patient sur 2 se rend à l’hôpital. Ce qui retarde la prise en charge et entraîne des risques plus graves de décès et de séquelles. Les principaux dangers sont bien sûr le risque de décès comme ça a été le cas de Dr Faycal à qui nous rendrons toujours hommage. Un médecin décède à 34 ans par amour pour ses malades. Cela ne devrait pas arriver ni pour les personnels de santé ni pour les personnes en communautés. Au-delà du décès il y a aussi des risques d’amputation de membres ou la morsure s’est produit ou encore des traumatismes psychologiques en plus de la douleur chronique liée à la morsure.
Pourquoi les anti-venins sont rares ?
La production des sérums était principalement réalisée par SANOFI qui a malheureusement arrêté sa production il y a quelques années du fait d’un marché peu intéressant sur le plan financier. Ceci du fait que les morsures de serpent soient une maladie négligée. Il y a donc peu d’industriels pharmaceutiques qui produisent ces sérums du fait de leur faible rentabilité. C’est donc une opportunité pour une production locale qui s’appuierait sur les capacités de type Lanavet et l’IMPM qui pourraient évaluer dans des essais cliniques les différents outils issus de notre pharmacopée et en faire des médicaments traditionnels améliorés.
Qu’est ce qui justifie le fait que les morsures de serpents soient les maladies les plus négligées ?
Les morsures de serpent sont finalement assez rares dans le monde pour avoir le retour sur investissement recherché par les industries. Ceci malgré le fait qu’il y a 5 millions de victimes dans le monde et que nous ayons près de 7 victimes sur 1000 habitants au Cameroun chaque année.
Quelles sont les dangers des morsures de serpents sur la santé des populations ?
Les principaux dangers sont bien sûr le risque de décès comme ça a été le cas de Dr Faycal à qui nous rendrons toujours hommage. Un médecin décède à 34 ans par amour pour ses maladies. Cela ne devrait pas arriver ni pour les personnels de santé ni pour les personnes en communautés. Au-delà du décès il y a aussi des risques d’amputation de membres ou la morsure s’est produit ou encore des traumatismes psychologiques en plus de la douleur chronique liée à la morsure.
Quels sont les bons réflexes à adopter en cas de morsure d’un serpent ?
En cas de morsures de serpent il faut tout d’abord garder son calme et éviter de bouger afin de limiter la circulation du venin dans notre organisme. Cela permet aussi au serpent de s’échapper et de ne pas nous mordre à nouveau. Si possible l’identifier afin de permettre aux soignants d’adapter la prise en charge en fonction du type de serpent. Surtout pas de garrot qui peut être dangereux pour la personne mordue. Il faut se rendre aussitôt que possible dans la structure de santé la plus proche pour être prise en charge.
Vous menez une étude en ce moment dans 11 districts de Santé de la partie septentrionale, avec l’appui de l’Institut pasteur de Paris. En quoi consiste-t-elle et quel est son but ?
Le but de cette d’étude qui se met en place sur toute l’étendue du territoire sur 14 sites est d’évaluer la tolérance clinique du sérum antivenimeux Inoserp PAN Africa actuellement utilisé au Cameroun. Cet essai a aussi pour objectif de renforcer les capacités nationales en termes de prise en charge des morsures de serpent comme nous le voyons depuis le début de l’étude. Cette une opportunité pour nous de renforcer les collaborations Nord-Sud permettant tant à nos collaborateurs d’apprendre des experts internationaux mais aussi à ces experts de renforcer leurs compétences en mise en place de recherche dans des situations complexes comme c’est le cas dans les régions de l’Extrême-Nord et celles du NoSo où la situation sécuritaire est complexe.