Pr Anne Njom Nlend : « On peut espérer plus de représentativité des femmes dans la gestion de notre système de santé »

"On est encore loin de la parité genre".

Dans cette interview fleuve, la présidente de l’Association camerounaise des femmes médecins (Acafem), note « quelques avancées » dans la représentativité des femmes aux postes de décision du Minsanté mais aussi et surtout, les reculades. L’ex DG de l’hôpital de la Cnps à Yaoundé donne les raisons de cet état des choses, les responsabilités de chaque partie et prodigue des conseils aux femmes pour inverser la tendance.

Après 30 ans de service et dans le domaine de la santé, quel regard portez-vous sur la représentativité des femmes dans les instances de décision du secteur medical ?

C’est vrai, on a observé au cours des 30 dernières années une féminisation importante de la profession médicale dès la première année de médecine et même au niveau de la sortie. C’est sûr qu’au-delà de la sortie, comme docteur de médecin les profils de carrières sont encore différents notamment au détriment des femmes surtout lorsqu’on en vient aux questions d’implication dans la gestion du système de santé. Je crois que ces différences sont d’autant plus marquées selon qu’on soit au niveau élevé dans la pyramide sanitaire. Je n’ai pas les statistiques exactes mais au niveau des districts de santé vous allez observer qu’effectivement, il y a beaucoup de femmes qui sont médecins chefs de districts de santé tout comme beaucoup de femmes sont parfois chefs des hôpitaux de districts. Mais c’est vrai que lorsqu’on s’élève au-dessus du district de santé et que l’on arrive au niveau des régions, à ce niveau-là, le gradient au détriment des femmes est encore plus marqué puisque déjà au niveau des délégations régionales de la santé, on va observer une défaveur nette. En tout cas, on est loin de la parité à ce jour. Lorsqu’on va encore au niveau plus élevé notamment des services centraux, on va encore observer ce gradient. Il y a eu quelques avancées mais je pense qu’il faudrait faire davantage et voir comment suivre de manière plus aigüe l’acuité dans ce domaine. Cela va être valable lorsqu’on regarde la direction des hôpitaux. Même s’il y a des femmes directrices d’hôpitaux au niveau des districts, lorsqu’on arrive au niveau des régions, ou alors au niveau des hôpitaux de niveau un ou généraux, le gradient est encore en défaveur des femmes. Et donc, la différence justifie qu’on continue à agir justement pour apporter l’équité dans ce domaine. Il serait intéressant de mettre sans doute sur pied un observatoire pour suivre la présence des femmes dans les programmes. Un certain nombre de femmes sont présentes dans les programmes. Il y a des domaines où on voit les femmes apparaitre mais je pense qu’on peut effectivement espérer plus de représentativité des femmes dans la gestion de notre système de santé.

Quelles sont les avancées et les reculades que vous avez observées jusqu’ici ?

Dans les avancées, je les ai cités plus haut. Dans les reculades, on peut regretter qu’au niveau des hôpitaux de niveau élevé 1 et 2, y compris au niveau des hôpitaux généraux, on n’ait pas encore eu de femme directeur général. Quand on regarde le cas de l’hôpital gynéco obstétrique et pédiatrique de Yaoundé, je dois dire qu’il y a là quelque chose quoi s’apparente à de l’injustice. C’est d’autant plus difficile dans cette structure. Le DGA a été repositionné à l’hôpital Laquintinie pour remplacer celui qui a été nommé SG et après, le positionnement du DG lui-même sur la région du Nord-Ouest après les élections régionales avec la désignation des présidents de régions.  On pouvait s’attendre à ce que ce soit le 3e qui monte en l’occurrence le directeur médical qui est une femme, le Dr Bella. Mais tel n’a pas été le cas. C’est vrai que là particulièrement, c’est vécu comme une injustice. On ne comprend pas pourquoi le 2e parti, on ne monte pas le 3e au premier niveau. Que se passe-t-il ? Est-ce qu’il y a une stigmatisation particulière ? C’est vrai on a eu une femme directeur général adjoint à l’hôpital général de Douala ; nous avons eu deux femmes directeurs de l’hôpital Central mais qui sont parties. Elles ne sont pas revenues. Les postes n’ont pas été remplacés en équilibre de genre. Je pense que ce serait peut-être intéressant de faire un plaidoyer dans ce sens et de garder les positions acquises. Bien sûr il s’agit ici de garder celles acquises sur la base de la compétence ce d’autant plus qu’aujourd’hui, il y a eu un grand accès à la spécialisation autant des femmes que des hommes même s’il faut le dire, certaines spécialisations sont encore peu représentées par la gent féminine notamment la spécialité chirurgicale telle que la chirurgie traumatologique par exemple. Mais on a des avancées réelles et beaucoup de femmes s’engagent en santé publique. Ce qui veut dire qu’il y a la possibilité de les positionner dans les postes de gestion là où cela est nécessaire.

Comment comprendre la sous représentativité de ces femmes aux postes de décisions dans le secteur de la santé notamment le Minsanté, pourtant elles représentent 73% du secteur ?

La sous représentativité des femmes aux postes de décision peut être liée à un ensemble de facteurs qui peuvent être des facteurs personnels, familiaux, les facteurs peut-être de profils de carrière. Et la question pour ce qui concerne réellement les femmes médecins, les facteurs de valorisation et d’ambition personnelle sur le plan de la carrière y compris la gestion conjointe de la vie familiale et de la vie professionnelle qui parfois n’est pas aisée et qui peut faire que certains postes à fort risque de mobilité peuvent faire que des femmes n’ambitionnent pas de s’y positionner parce que ça va entraver le cours normal de leur vie familiale. Et pourtant parfois ces postes à fort taux de mobilité peuvent être un tremplin pour ensuite accéder à des positions au niveau Central.

Les femmes ne sont-elles pas en partie responsables de cet état des choses?

Il faut quand même dire que la fonction de maternité fait que les questions de mobilité doivent toujours être gérées avec ces questions clés. La mobilité d’une femme en maternité n’est pas la même qu’après la maternité. Donc tous ces éléments sont à prendre en compte et peuvent expliquer que certaines femmes, au moment où elles doivent gérer ces carrières vont parfois prioriser d’abord cette relative stabilité familiale ou la complétude de leur agenda familiale et peut être en termes de maternité avant de s’engager dans une option carriériste-carriériste. Mais au niveau de l’Acafem et de l’Association mondiale des femmes médecins, on tend à former des femmes pour qu’elles puissent justement bien gérer de manière équilibrée et balancer leur vie familiale et professionnelle tout en ayant les ambitions les plus élevées.

Peut-on conclure que c’est une volonté réelle de les marginaliser ?

Il y a un côté qui est marginalisation peut-être plus ou moins volontaire du système. On ne fait pas encore suffisamment confiance aux femmes mais nulle part les droits n’ont été cédées. Souvent, ce sont des combats. Il faut les arracher. Quand on regarde les carrières académiques des femmes on va se rendre compte que des femmes sont responsables des départements. Quand on regarde souvent des femmes en égalité lorsqu’elles sont dans l’enseignement, assistante ou chargée de cours, dès lors qu’on monte au niveau de maitre de conférences ou des professeurs titulaires, des professeurs émérites, il y a besoin de faire un suivi. Mais certaines études ont montré que plus on s’élève plus il y a tendance à voir effectivement une inégalité au détriment des femmes.

Comment peuvent-elles inverser la tendance ?

Je pense qu’il y a quelque chose à faire pour booster la gent féminine d’une part médicale et non médicale pour les amener à pouvoir mener de fond la bataille à la fois de leur vie personnelle, de leur carrière et celle justement de l’accession à des postes de décision. Je sors d’un hôpital dans lequel l’expérience était relativement bonne notamment dans les positions des chefs de service. Beaucoup de femmes étaient chefs de service dans un hôpital à peu près correct. Donc, je pense qu’il faut pouvoir suivre les femmes et les motiver à prendre le leadership.

Qu’est-ce qui peut justifier l’absence d’un leadership féminin affirmé et assume dans le domaine de la Santé au Cameroun ?

Le leadership féminin est souvent différent. Il faut pouvoir les positionner, les former, les capitaliser en leadership parce que c’est aussi d’une formation qu’il s’agit. Les former à l’influence et à la nécessité de prendre des risques pour pouvoir occuper des positions d’influence parce que les femmes ne seront pas seulement leader des femmes. Elles doivent être leaders de toute la communauté médicale. Si on regarde aujourd’hui même dans les ordres qui sont souvent mixte, en tout cas pour ce qui concerne l’Ordre national des médecins du Cameroun, jusqu’à présent il n’y a pas eu de femme présidente de l’Ordre même s’il y a eu des femmes vice-présidentes. Mais on a vu quand même dans les professions médicales, une femme qui a déjà été présidente de l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun. C’est une femme qui est présidente de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes. Donc il faut que les femmes prennent conscience de leur capital en matière de leadership et se positionnent d’abord sur les postes électifs et ensuite essayent de grandir dans le plaidoyer pour pouvoir être davantage visibles. Mais c’est un combat de longue haleine et je pense que particulièrement il faut pouvoir sans doute former les femmes davantage à pouvoir se défendre dans le champ du positionnement.

Quel peut être l’apport de l’Acafem dans la lutte pour plus de représentativité des femmes dans les sphères de décision ?

L’Acafem a réalisé il y a quelques années une conférence sur : « Femmes et leadership ». Je pense qu’il y a un travail à faire avec les femmes professionnelles de santé, les femmes médecins et toutes les autres professionnelles pour leur montrer leur capacité à pouvoir diriger, faire des propositions, à gagner confiance en elles-mêmes et parfois à se lancer dans le branding de ce qu’elles font pour pouvoir être plus visibles, connues. Il faut également que les femmes comprennent que le leadership demande des compétences. On n’y accède pas uniquement par une règle de parité. On ne va pas mettre les femmes en position juste parce qu’elles sont femmes. Il y a une préparation personnelle à faire, des sacrifices à faire et lorsqu’une femme veut être leader il faut qu’elle sache que cela requiert des sacrifices. C’est pourquoi elles doivent être capacitées dans ce que l’on appelle le fait de balancer leur vie professionnelle et leur carrière et savoir qu’effectivement être femme est un métier. On a beau dire, la femme joue sur plusieurs tableaux. Elle a la 3e journée après la 2e, et donc elle a besoin de beaucoup d’équilibre pour pouvoir mener de fond toutes ces batailles et parfois c’est une formation à la gestion optimale de son temps ; à la gestion conjuguée et équilibrée de sa vie personnelle et professionnelle. Et c’est une formation de pouvoir quand c’est possible se préparer à concourir et à vendre son image. Souvent, la culture féminine n’est pas habituée à cela. Nous devons pousser davantage les femmes médecins à justement se valoriser, à parler de leurs compétences et prendre le risque de formuler des propositions chaque fois que c’est nécessaire.

Le thème choisi cette année peut-il interpeller à une prise de conscience et un sursaut d’orgueil ?

Il est à espérer qu’effectivement, tenant compte du thème de cette année, qu’il y ait plus de représentation. Mais cela dit, il faut également à mon sens que la femme ne dénature pas la qualité de son leadership pour pouvoir se faire accepter. On sait que le modèle de leadership habituel de la femme est différent de celui des hommes. Je pense que c’est cela qu’il faut garder et être accepté avec cela, avec ses principes ; garder cette spécificité qui fait que la femme peut soigner avec un cœur de mère, qu’elle puisse également gérer avec un cœur de mère parce qu’il y a cette fonction qu’elle a dans l’imagerie et dans l’inconscient collectif de nos communautés, et on s’attend à ce qu’à tous les niveaux, cela se passe de cette manière. Nous espérons en tout cas, que ce monde égalitaire dans le champ de la santé et dans tous les domaines, les soins où elles sont davantage impliquées mais également la gestion du système de santé, la définition des politiques de santé, la formation des professionnels de santé et la recherche soient de plus en plus équitable et que les femmes y accèdent. Sur un certain nombre de point, il y aura lieu certainement de mettre en place un observatoire pour suivre l’évolution ces tendances et surtout, mettre en place des programmes qui boostent les femmes, les poussent à montrer leurs valeurs complètes.

 

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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