(Lurgentiste.com) – Le Partenariat public-privé (PPP) entre l’État du Cameroun et la société Sucam SA pour la mise en œuvre de la Couverture santé universelle (CSU) au Cameroun bat de l’aile. La communication entre le ministère de la Santé publique (Minsanté) et cette entreprise est en panne. «Depuis le 2 décembre 2022, nous sommes à trois correspondances (adressées au Minsanté) sans réponses», informe un cadre de Santé universelle Cameroun (Sucam).

Les deux partenaires ne sont plus sur la même longueur d’onde au sujet du lancement de la phase pilote encore appelée « Phase UNE » de ce projet annoncé pour ce mois d’avril. De fait, le Minsanté semble avoir opté pour une mise en touche de Sucam, comme l’atteste une des correspondances adressées au ministre de la Santé le 29 mars dernier, mais restée sans suite. «Nous constatons une mise à l’écart de Sucam, sans raison», se plaint Eulalie Jacqueline Mekongo Noah, la directrice générale Sucam.

La pilule est d’autant plus amère pour Sucam, jadis présenté comme partenaire stratégique de la mise en œuvre de la CSU, qu’elle n’a jamais été notifiée de l’intention du Minsanté. «C’est à travers les médias que nous apprenons l’état d’avancement des préparatifs menés par vos services et le lancement prochain de la phase pilote à laquelle nous avons été jusqu’alors associés », déplore la DG dans la même lettre.

Violation du contrat?

Au Minsanté, le processus de lancement de cette opération avance malgré les récriminations de son partenaire. «Pour cette phase pilote, c’est le personnel du Minsanté qui a été mobilisé. Dès le 12 avril prochain, un système d’enrôlement électronique (application, Site web, Plateforme) sera mis sur pied par le ministère », explique-t-on à la Direction de la promotion de la Santé (DPS).

Mais ce déploiement du Minsanté est vu d’un mauvais œil par Sucam. L’entreprise assimile même cette démarche à une violation du contrat de PPP qui le lie à l’État du Cameroun depuis le 27 août 2020 pour une période de 17 ans. «Le dossier avance unilatéralement. Tout se passe comme si la Sucam était incapable de mener à bien cette phase pilote», se plaint-on au sein de la structure.

Plus grave, après avoir investi un peu plus d’un milliard de FCFA dans le projet, Sucam soupçonne le ministère de lui faire un bébé dans le dos, confie une source. «Ils ont commencé à développer des applications liées à la CSU avec d’autres prestataires. En menant notre enquête, nous nous sommes rendu compte que ce sont les mêmes partenaires que les nôtres », révèle une autre cadre. Pourtant, «Après de lourds investissements, la phase pilote était une opportunité pour Sucam de tester tout ou une partie du système informatique. Notamment le module enrôlement et immatriculation, consultation, hospitalisation, pharmacie et facturation», précise l’une de nos sources.

Data Center

Pour la défense du Minsanté, on explique que l’option de procéder aux enrôlements électroniques a été choisie parce que «les datas centers (de Sucam : NDLR) ne sont pas encore prêts », avance une source autorisée. Mais dans le camp d’en face, cette raison est un prétexte sans fondement. Le problème de data center ne se pose pas dans la mesure où «dans les locaux du siège de Sucam, nous avons des serveurs dont la capacité permet de sauvegarder les informations de 4 millions d’assureurs et de les rebasculer dans les serveurs du data center de Yaoundé ou Douala le moment venu», contrattaque un cadre de l’entreprise.

De plus, le data center de Yaoundé est réalisé à 93 %. N’eût été cette crise, les travaux auraient été achevés. Le data center de Douala, lui, affiche 70 % de taux de réalisation et ses travaux sont en arrêt à cause de « l’incertitude de notre participation à la phase pilote», justifie-t-on à Sucam.

Mort de Mohamadou Dabo

En réalité, les choses se compliquent pour Sucam depuis la mort du milliardaire Mohamadou Dabo. Il en était l’actionnaire majoritaire à travers GK Engineering & Development, une société de droit coréen. «Les principaux financements de la CSU, les logiciels, l’expertise technologique, le matériel roulant et informatique, les cartes biométriques dont le processus de fabrication avait déjà été lancé, venaient par exemple de lui», confie un proche du défunt homme d’affaires. Du fait de son entregent dans les milieux politiques, d’affaires et de la haute Finance coréens, la seule présence de Mohamadou Dabo au côté de l’État camerounais était une caution morale qui garantissait la mobilisation des principaux financements nécessaires à la réalisation de la CSU.

Mais après la mort subite de cet ancien Consul honoraire de la Corée du Sud au Cameroun survenue le 18 décembre dernier, certains conseillers officieux du ministre Manaouda Malachie émettent désormais (à tort ou à raison) des réserves sur les capacités financières de Sucam à poursuivre le projet. D’où un plan B envisagé.

Nouveau partenaire… sur orbite ?

Pourtant au Minsanté, le discours officiel se veut rassurant sur le cas Sucam. «Ils (Sucam : NDLR) n’ont pas été écartés. On leur a juste demandé de renforcer leur data center», déclare un directeur proche du dossier. La même source allègue que pour cette phase pilote, l’entreprise a reçu comme mission de «développer et déployer les datas centers dans tout le pays». Ce que l’entreprise conteste.

Selon certaines indiscrétions, d’autres partenaires qui flairent la bonne affaire arpentent les couloirs du Minsanté pour financer et implémenter la CSU. Parmi eux, le nom d’une autre filière coréenne revient. Elle proposerait une enveloppe financière conséquente, mais aux taux d’intérêt supérieurs à ceux du deal conclu sous le couvert de la Sucam. «Néanmoins, les négociations se poursuivent. Nous allons voir si le gouvernement va accepter», commente une source proche du dossier.

Congés techniques

Quoi qu’il en soit, cette situation affecte la vie de l’entreprise. La sérénité et la motivation des équipes sont entamées depuis que l’entreprise envisage de placer son personnel en congé technique si la crise persiste. En tout, c’est à peu près 200 emplois (directs et indirects) qui sont menacés, confient des sources internes.

La société Sucam est une joint-venture entre investisseurs camerounais et coréens à savoir : GK Engineering Development (société de droit coréen), High-Tech Telesoft Cameroun SA et New Tech Management Malta. Selon le mandat reçu de l’État en 2020, Sucam est chargée d’assurer la mise en œuvre de la CSU pendant 17 ans avant de passer le relais à l’État.

Ses missions consistent d’une part à mobiliser le financement, la conception, la construction, l’exploitation et la nomenclature des prestations ; et d’autre part à réaliser toutes les opérations commerciales et financières afférentes à la CSU. À ceci s’ajoutent la collecte des contributions sociales du secteur informel et la mise en commun des fonds dédiés à la gestion de la CSU.

Polémique

Le choix porté sur cette société à l’expertise coréenne pour piloter la CSU en terres camerounaises a souvent été critiqué au sein de l’opinion publique. Notamment à cause du flou qui a entouré le processus de sélection de ce partenaire technique dont les états de services en matière de CSU sont pour le moins inconnus. Aussi, une frange de l’opinion estime que la procédure a été inversée dans la mesure où la sélection du prestataire technique ne devait intervenir qu’après l’adoption de la loi sur la CSU.

 

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