Médecine traditionnelle. Comment le Minsanté a lâché les tradipraticiens

Il a invoqué l’absence de budget, pour ne pas prendre part à la commémoration de la 17e journée africaine.

Jusqu’au 30 août 2019 au soir, l’association des tradipraticiens du Cameroun avait espoir. Ses membres espéraient en effet, que le ministère de la Santé publique (Minsanté), leur ministère de tutelle, allait non seulement leur fournir certaines commodités pour la célébration le lendemain, de la 17eme journée africaine de la médecine traditionnelle, mais aussi et surtout, allait leur faire honneur par sa présence à l’évènement prévu le 31 août 2019 à Yaoundé. Ou tout au moins, envoyer un représentant en cas d’empêchement.

Surtout que pendant deux semaines, des réunions préparatoires ont eu lieu avec le ministre, Manaouda Malachie et que les années précédentes, ils avaient bénéficié de l’appui de ce ministère. A ceci, s’ajoute un élément majeur :  ces tradipraticiens ont suivi un séminaire de formation sur « Bonnes pratiques pour la sécurité des patients », suivi par ces tradipraticiens du 27-29 août, avec la Faculté de médecine et des Sciences biomédicales (Fmsb) de l’Université de Yaoundé I.

Mais seulement, cet espoir s’est révélé vain, le Minsanté n’ayant apporté aucune réponse à ces sollicitations. « Ils nous ont dit que le ministère n’avait pas prévu de budget cette année pour cela or le ministère est supposé avoir un budget y afférent. Normalement, cette journée mérite d’être célébrée comme il se doit parce que c’est le ministre même qui a signé l’invitation avec le chef des associations. Il nous a dit que c’est nous qui devons gérer nos affaires», explique M. Fai Fomena, président de l’association des tradipraticiens.

Pourtant, « Il a l’obligation d’organiser la médecine traditionnelle et ses journées. Il a décerné une invitation pour les différents présidents acteurs de l’association de la médecine traditionnelle et nous avons tenu des réunions », indique ce dernier. Bien plus. « Depuis deux semaines que la journée est préparée en collaboration avec le Minsanté, personne ne se doutait qu’on allait nous dire la veille que la lettre n’a pas été adressée à la Faculté de médecine pour la salle », dit M. Gidium Peliegho, tradi-thérapeute. Dépité. Et donc, « Nous sommes déçus parce que l’intérêt qu’il faut n’a pas été accordé à la médecine traditionnelle », conclu ce doctorant en politique publique de Santé à la Fmsb de Yaoundé.

Interprétations et craintes

En réalité, chacun y va de son interprétation face cette attitude du Minsanté. Pour M. Dewa, « Le ministre de la Santé ne nous prend pas assez au sérieux ». Ceci, « Parce que maintes fois, même après ses propres invitations à lui à l’endroit des chefs acteurs de la médecine traditionnelle au Cameroun, il (Manaouda Malachie : Ndlr) nous dit la veille que la salle qu’il devait nous donner pour la conférence est occupée. Ça démontre que le ministère de la santé publique ne voit pas l’importance de la médecine traditionnelle », poursuit ce dernier.

Selon lui toujours, « Même si de manière officielle l’administration publique camerounaise n’est pas ouverte le samedi, il (Manaouda Malachie : Ndlr) devait quand même comme c’est une journée connue par le Minsanté, déléguer ses collaborateurs pour nous assister. Mais il ne l’a pas fait. Donc, c’est à eux qu’il faut demander comment comprendre cela et pourquoi ils abandonnent la médecine traditionnelle à elle-même ». Néanmoins, il se veut réaliste. « D’après moi, ce qui empêche notre gouvernement de nous accompagner dans nos activités c’est parce que la médecine traditionnelle est assez vaste, avec plusieurs disciplines qui ne sont pas organisées. Et ce faisant, il y a un manque de coopération et le gouvernement ne saura pas organiser ».

M. Gidium Peliegho, tradi-thérapeute est partagé entre deux sentiments: la crainte et l’optimisme. D’abord ses craintes. « Nous avons peur parce que le ministère qui est notre tutelle risque ne pas remplir son cahier de charge. Nous avons peur parce que les autres pays comme le Ghana, le Benin sont entrain d’avancer plus que le Cameroun », argumente-t-il. Puis, l’optimisme. « Mais nous n’avons pas aussi peur parce que quelles que soient les différentes frustrations subies et intimidations reçues, nous allons continuer à avancer ; nous sommes un et indivisible », dit-il. Confiant.

Face à cette avalanche de critiques, toutes nos tentatives de joindre autant la Direction de la pharmacie, du médicament et des laboratoires que la cellule de Communication du Minsanté pour d’amples éclairages à ce sujet sont restées vaines.

Permanente quête de légitimité

L’Organisation Mondiale de la Santé (Oms) estime que 80% des populations rurales vivant dans les pays en développement dépendent de la médecine traditionnelle pour leur besoin de santé primaire. Raison pour laquelle cet organisme onusien avait demandé aux pays africains de reconnaître, de la valoriser et de la mettre dans leurs systèmes de santé. Mais, « Notre pays le Cameroun, peine à le faire jusqu’à ce jour », regrette le doctorant. Pourtant, « Un pays qui n’a pas intégré la médecine traditionnelle dans son système de santé va échouer », croit savoir Fai M. Fomena, par ailleurs président de Prometra.

« La médecine traditionnelle était dans l’ombre mais grâce à nous, elle est aujourd’hui dans la lumière », se vante M. Dewa.  Mais ce n’est pas pour autant qu’elle est acceptée et qu’elle a reussi à exorciser ses vieux démons. D’abord sur la légitimité, la qualité et le dosage de ses produits. « Pour être sûr que les médicaments que nous prescrivons à nos patients respectent la norme, il y a des institutions que l’Etat a mises en place comme Lancôme. Nous allons vers eux et ils font des différences cliniques puis, ça nous permet de prescrire le produit. Puis il y a l’expérience vécue. C’est-à-dire papa soignait, je soigne. Il soignait l’estomac avec telle plante, j’en fait aussi pareil», explique M. Damasus Vegah, spécialiste en gastroentérologie.

« L’intégration de la médecine traditionnelle dans les programmes d’enseignement pour les étudiants en science de la santé des universités dans la région africaine » est le thème ayant marqué la commémoration de cette journée. A noter que le Cameroun dispose de 240 ethno-pharmacopées et qu’un avant-projet de loi sur la médecine traditionnelle est sur la table du gouvernement.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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