Joël Djatche : « Les idées suicidaires seraient en hausse au Cameroun »

En tant que professionnel de la santé mentale, pensez-vous que la tendance au suicide est-elle en hausse ou en baisse au Cameroun ?

Pour l’instant, nous n’avons pas de données connues concernant le phénomène du suicide pour comparer si elle est en baisse ou pas. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a pas mal de difficultés sur le plan social et familial par exemple. De par les crises, les moments difficiles et évènements que traverse le Cameroun, on est tenté de penser qu’on peut se retrouver dans une hausse des conduites suicidaires étant entendu comme comportements et idées suicidaires, des projets suicidaires, des tentatives de suicide, comportements à risque. C’est à dire des personnes se comportent de manière à mourir ou à mettre en danger leur vie, sans forcément s’en rendre compte, etc. Donc, on peut imaginer que cette tendance est en hausse pour le Cameroun qui passe par plusieurs crises : sociales, économiques, politiques. Parce qu’il y a le trouble mental qui est souvent sous-jacent à la conduite suicidaire. Donc si les gens souffrent de plus en plus de troubles psychologiques, on peut imaginer que derrière ça, il y a aussi une augmentation de ce qui est souvent considéré comme un symptôme de ces maladies. Je prends le cas de la dépression par exemple sévère caractérisée par des idées suicidaires. S’il y a plus de dépressifs, on est tenté de penser qu’il y a plus des personnes qui ont des idées suicidaires. Je peux dire que ça a augmenté en restant sur cette logique-là.

Qu’est ce qui peut pousser une personne au suicide ?

L’état psychologique de la personne. Parce qu’il y a des gens qui ont grandi et se sont développés avec un bon sentiment d’estime en soi, de confiance en soi, de soutien que ce soit de la part des personnes directes, de la famille, de l’environnement. Ces personnes-là lorsqu’elles sont confrontées à l’adversité, elles ont beaucoup plus de chance de résister et de s’en sortir que les personnes qui ont été fragilisées depuis la base ou ont vécu dans des contextes poli-traumatiques par exemple et qui ont été maltraitées, abusées ; ont vécu avec des personnes qui souffraient de maladies mentales comme des dépressions chroniques, etc. Donc ces personnes qui ont grandi dans ces contextes-là évoluent avec une sorte de fragilité, peuvent avoir beaucoup plus de chance d’avoir une conduite suicidaire. L’histoire, la trajectoire, le développement, la personnalité de la personne sont un facteur de risque. Comme élément interne, il y a que les personnes qui peuvent souffrir de troubles mentaux ont plus de chance de développer une conduite suicidaire. D’ailleurs, dans la prise en charge, ce qu’on essaie de faire, c’est qu’on traite la personne en deux temps. On traite d’abord la période de crise qui est vraiment de travailler avec la personne pour que les conduites suicidaires puissent disparaitre. Puis, on attaque la 2e phase du traitement qui est souvent de pouvoir identifier la pathologie psychologique qui était sous-jacente et de pouvoir la traiter. Donc, les choses qui peuvent pousser les individus à se suicider c’est souffrir d’une pathologie mentale. Ça peut être la dépression, schizophrénie, addiction, troubles anxieux. Un autre élément c’est le contexte traumatique ou poli traumatique dans lequel un individu a grandi. Ça peut aussi être la famille. C’est-à-dire s’il y a une histoire de suicide dans la famille, ou des antécédents familiaux de suicide, il y a de fortes chances plus que d’autres, que la personne qui fait partie de cette famille-là se suicide ou passe à l’acte. Il y a de nombreuses choses aussi comme les difficultés financières, les personnes qui sont isolées, qui manquent de soutien social ; des personnes qui sont peut-être en période de transition entre l’enfance et l’âge adulte qui est l’adolescence… On peut être sujet à beaucoup de conduite suicidaire. D’ailleurs, c’est une des populations dans laquelle où on retrouve beaucoup de suicides. C’est dû sur le plan interne à la fragilité psychologique. Il y a aussi qu’on ait un accès facile aux moyens de suicide. Ça peut être une arme, du poison, une lame, etc. Sans oublier ceux qui traversent des situations extrêmement difficiles comme les crises politiques c’est-à-dire quelqu’un qui est en contexte de guerre, qui a vécu au Nord-Ouest ; à l’Extrême-Nord pendant la période des exactions de Boko Haram… L’idée c’est d’arrêter de souffrir.

Comment reconnaitre qu’un proche veut se suicider ?

Il y a des facteurs de risque et aussi d’autres éléments qu’on peut classer en trois catégories : primaires, secondaires et tertiaires, qui n’ont pas réellement de valeur qui prédisent mais qui ne sont pas à négliger. Le sexe et l’âge par exemple beaucoup plus chez les personnes âgées et les adolescents. Il y a aussi les périodes de crise par lesquelles les gens passent généralement : la crise de la quarantaine, les crises sociales qui peuvent être des facteurs de risque de niveau trois. Ceux de niveau deux sont comment on a vécu. Donc si très tôt on a été maltraité, si on a vécu une enfance difficile, plusieurs séparations ; si on a été isolé sur le plan social, humain ; si on a vécu dans une famille où les parents ont été divorcés ou si on a été dans des problèmes financiers très très importants, au chômage… A ce moment, on peut parler de facteurs de risque de niveau 2. Ici, thérapeutiquement, on ne peut pas faire grand-chose parce qu’en fait, ce sont des réalités qui sont déjà là et il faut faire avec. Mais si on améliore un peu les choses, ça peut aller. Maintenant, pour les facteurs de risque primaires, ça peut être les antécédents de problématique du suicide dans la famille où chez l’individu, des troubles mentaux, le fait qu’on soit perturbé sur le plan émotionnel, le fait qu’on communique aux gens qu’on veut déjà mourir, le fait qu’on soit impulsif, agité… Ceux-là par contre, sont décisifs dans la mesure où on peut très vite passer à l’acte.

Quels sont les signes précurseurs ou d’alerte au suicide ?

Les facteurs de risque sont aussi des signes d’alerte. Mais au quotidien, si on veut reconnaitre ça chez la personne lamda, c’est qu’il faut faire attention à ce que les gens disent. Quelqu’un qui vous dit que j’en ai assez ; ça ne vaut pas la peine que je continue à vivre ; je pense que si je mourrais même les choses seraient meilleures ; la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, etc. Il faut faire attention à ce type de discours et comprendre qu’il peut avoir un problème de fond, une idée de mort qui commence à germer. Pas encore au niveau du suicide c’est-à-dire : « je veux me tuer ». Mais des idées de morts qui commencent à s’installer. On peut remarquer aussi que quelqu’un préfère rester tout seul, s’isoler, est un peu plus renfermé ; qu’il tient aussi les discours qu’on a mentionné… On peut aussi remarquer qu’il commence à avoir des troubles du sommeil, de l’appétit, il commence à se négliger, il ne s’habille plus bien. Il est découragé complètement, désespéré ; il se sent dans l’impasse. Là, il faut faire attention. Des personnes qui commencent à se comporter de façon risquée c’est-à-dire adopter ce qu’elles ne faisaient pas avant. Il commence par exemple à consommer l’alcool, parfois de manière excessive ; des médicaments ; il commence à partager des objets importants ; à faire de l’ordre dans ses affaires ; à rédiger son testament ; à s’organiser de manière à ce que quand je ne suis pas là les choses ne soient pas mal organisées… Tous ces aspects peuvent être des signes d’alertes surtout quand à côté de ça, il y a de la tristesse, le découragement, manque de motivation, la perte de plaisir, l’agressivité ou l’irritabilité, la faible estime de soi… On a un peu le sentiment d’être perdu. Donc c’est un ensemble de chose qu’il faut pouvoir remarquer et si c’est le cas, il faut rapidement se rapprocher de la personne et lui poser la question. Ça lui permet de s’exprimer.

Quelles astuces pour prévenir le suicide dans notre environnement ?

La prévention du suicide devrait se faire à plusieurs niveaux. D’abord au niveau individuel. Il faut promouvoir la santé mentale. C’est-à-dire il faut avoir une bonne hygiène, respecter et promouvoir les règles d’hygiène mentale. Ça veut dire chercher de l’aider auprès d’un professionnel en cas de problème ; faire le sport ; avoir une bonne alimentation. Il faut que l’individu promeuve sa propre santé mentale de manière générale. A côté, il faut qu’il sache aussi reconnaitre ses moments de faiblesse et que si à un moment donné il développe une souffrance d’ordre psychologique, il faut qu’il puisse s’orienter vers des personnes qui peuvent lui apporter une aide. Ça veut dire lorsqu’on ne va pas bien, sur le plan psychologique, on peut se rapprocher d’une formation sanitaire qui peut soit nous référer chez un professionnel de santé mentale ou alors si on en connait se diriger vers eux. Ou alors savoir demander de l’aide. Au niveau familial, pour prévenir le suicide, il faudrait que les membres puissent connaitre quels sont les signes précurseurs du suicide. Des gens peuvent dire des mots qu’on peut négliger. Il faudrait que la famille puisse s’informer sur les signes précurseurs, les facteurs de risque du suicide et avoir un rôle de veille sur les membres. Au-delà de ça, il faut faire la promotion de la santé mentale dans les familles, quelles se soutiennent, que les conflits soient gérés plutôt de manière productive. Une famille qui ne dysfonctionne pas beaucoup peut être une sorte d’élément de prévention contre le suicide. Sur le plan national, cela implique beaucoup plus les politiques de santé. La première chose c’est qu’il faut promouvoir la santé mentale. La 2e, il faut parler du suicide et des mesures doivent être prise au niveau des formations sanitaires, des communautés pour que s’il y a une difficulté liée au suicide, que cela soit prise en charge de manière très rapide. Il faut mettre en place des ressources nécessaires tant au plan infrastructurel qu’humain, financier pour que la question du suicide soit abordée.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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