(Lurgentiste.com) – Au Cameroun, l’industrie pharmaceutique locale est « à la peine ». Le constat « malheureux » et « douloureux » fait l’unanimité des professionnels du médicament exerçant à l’intérieur du triangle national. « Les quelques unités industrielles que compte le pays menacent de mettre la clé sous le paillasson », alerte le Dr Franck Nana, Président de l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun (ONPC). Et pour cause, les producteurs locaux de médicament « sont asphyxiés par le poids de la dette, acculés par les charges fiscales et bousculés par la concurrence internationale avec les produits subventionnés », déplore-t-il.
Droit d’accise
Le Dr Myriam Ngounve, pharmacienne responsable à Afripharma Cameroun, une unité de production pharmaceutique, confirme cet état de choses. Au rang des difficultés liées à la fiscalité applicable aux industries pharmaceutiques, ces opérateurs pointent les droits d’accises sur les emballages non retournables, institué dans la loi de finances 2018. Son article 142-9 stipule qu’il est appliqué un droit d’accises spécifique de 5 FCFA par unité d’emballage non retournable. Pour comprendre cette dénonciation, il convient de préciser que les droits d’accises sont en principe appliqués aux marchandises considérées comme des produits de luxe, à l’instar des parfums, des voitures de luxe… Et dans une moindre mesure sur certains médicaments de confort.
En généralisant le champ d’application de la taxe d’accise sur presque tous les médicaments produits au Cameroun, l’Etat a handicapé la compétitivité des industriels locaux. « Cette taxe augmente considérablement les coûts finaux de certains produits et empêche le développement d’un pan important du secteur pharmaceutique. Il en est de même pour certains supports de communication qui sont considérés comme des produits de luxe », commente un industriel. Au sein de l’ONPC, le sujet préoccupe aussi. « L’État a créé des droits d’accises supplémentaires sur les médicaments or en tant qu’industriel, il ne doit pas le faire. Cette taxe peut même encore s’appliquer sur les exportateurs mais pas sur les industriels », fulmine une source proche du dossier à l’ONPC.
TVA sur les fluides industriels
L’autre problème sur le plan fiscal est la TVA sur les fluides industriels comme l’eau, le gaz, les taxes sur les emballages (CF Africure Pharmaceuticals Cameroun). Les fabricants locaux attendent des autorités principalement la mise en place d’un environnement concurrentiel fiscal, légal, favorable à la compétitivité et à l’investissement. Sur le plan fiscal, les fabricants locaux réunis au sein de l’AAIM (Association des Industries du Médicament) ont obtenu en 2012 l’exonération sur les intrants pharmaceutiques dans la loi des finances de 2012. Mais cette exonération n’a pas été à la hauteur de leurs attentes puisqu’elle n’a pas été obtenue sur l’énergie (électricité, gaz, fuel) et l’eau qui peuvent être considérées comme des intrants. Le problème du coût des facteurs de production demeure donc toujours d’actualité, plombant la compétitivité des producteurs.
Frilosité des banques
La mise sur pied d’une unité de production nécessite de gros capitaux. La majeure partie des producteurs affirment que leur principale difficulté à l’ouverture a été l’obtention des financements auprès des banques, selon une étude menée en 2019 par le Dr Rose Ngono Mballa. En effet les banques sont frileuses à octroyer des prêts. Ceci, en raison de « fortunes diverses des industries ayant existé, de l’instabilité du marché due à la VIM, d’absence de garantie, du délai de mise sur le marché des produits non standards », liste notre source. A tout ceci, s’ajoutent des conditions « assez lourdes » que les banques leur posent pour y avoir accès. Au rang de celles-ci, la garantie de crédit importante ; la garantie sur le marché, les délais de remboursement « assez courts ». Conséquence, « toutes les industries pharmaceutiques locales sont endettées », informe notre source industrielle. Des dettes qui peuvent parfois s’élever à plus de 500 millions de Fcfa pour certaines.
L’ultra domination des Importations
Autre difficulté et non pas des moindres : le marché des importations. Alors que le pays est engagé dans la politique d’import-substitution, le Cameroun dépend encore malheureusement à 95% des importations pour répondre aux besoins en médicaments de sa population. Ce qui veut dire que seulement près de 5% des produits pharmaceutiques consommés sur le marché national sont produits localement. Du point de vue financier, les ventes des médicaments issus de l’industrie locale représentent à peine 8 milliards FCFA, contre 132 milliards de FCFA pour les médicaments étrangers, selon les statistiques de 2018.
« Il y en a qui ne veulent même pas que l’industrie locale décolle, au profit de ces importations. Parce qu’ils savent ce qu’ils y gagnent », accuse d’emblée une source à Biotancy Genemark. A sa suite, le Dr Prosper Hiag, PCA d’Africure Pharmaceuticals Cameroon estime qu’« On ne peut pas développer l’industrie locale en autorisant une centaine d’importateurs de médicaments ». En d’autres termes, l’État ne fait pas assez pour soutenir l’industrie pharmaceutique locale.
Inflation, rupture d’intrants…
Les ruptures d’intrants et l’inflation ne sont pas en reste. « Concernant les intrants qui viennent de l’étranger, il y a souvent des ruptures. A ce moment, il y a inflation sur le marché. Par exemple le sucre. Vous pouvez arriver un mois on vous dit que le sac est à 24 000 Fcfa. Le mois suivant on vous dit qu’il est à 38 000 Fcfa. Ce qui fait une augmentation de 12 000 Fcfa or c’est pour un produit que vous vendez à 1000F. Il devient donc difficile de rattraper les pertes de 12 000 Fcfa là », explique ce responsable commercial.
Et ce n’est pas tout. « Trouver du personnel qualifié reste quelque chose d’assez difficile. C’est vrai au dans les facultés, ils essayent d’ouvrir des masters professionnels axés sur le contrôle qualité des produits pharmaceutiques. Mais ça reste difficile de trouver un personnel formé et qualifié », fait savoir le Dr Ngounve d’Afripharma. Dépitée. Au regard de tout ce qui précède, « C’est à se demander si l’Etat veut vraiment aider l’industrie pharmaceutique locale à décoller », s’insurge une source au sein de l’ONPC. Pour certains responsables de Biotancy Genemark, « ce qui plombe le développement de l’industrie pharmaceutique locale c’est un manque de volonté ».
L’indisponibilité du matériel de conditionnement figure aussi parmi ces maux qui minent le tissu industriel local camerounais. « Vous pouvez avoir une boîte et le mois prochain, elle n’est plus disponible ou que le conditionnement a changé. Or les clients savent déjà que c’est la boîte que vous utilisez. Il faut encore leur expliquer que c’est parce qu’on ne nous livre plus la même boîte. Donc le matériel de conditionnement est un véritable handicap », déplore M. Aboubakar, commercial au sein de Biotancy Genemark, spécialisé dans la production des médicaments et compléments alimentaires entre autres.
Plaidoyer
A la faveur de la tenue à Yaoundé du récent premier Salon international sur l’Industrie pharmaceutique, des Fournitures et Equipements médicaux dénommé « Pharma Expo Cameroun » dernier, le tocsin du plaidoyer en faveur du développement de l’industrie pharmaceutique locale a été sonné par les professionnels du médicament. Notamment, le Dr Patrick Eloundou, Président directeur général de Tebimosa Pharmaceuticals. Selon lui, il faut instituer la « Loi du quota de 30%, consistant en l’instauration d’un quota de 30% obligatoires de médicaments made in Cameroon vendus dans les pharmacies et par les grossistes répartiteurs distributeurs ». Ensuite, « Le part of manufacturing in Cameroon Law ». C’est-à-dire, « l’obligation que pour tout médicament vendu au Cameroun, une des opérations de fabrication ou de conditionnement doit être faite sur place au Cameroun, comme cela a été mis en place avec succès en Algérie », explique ce pharmacien industriel.
D’ailleurs, cela « a fait de ce pays le leader de l’industrie pharmaceutique du continent avec plus de 200 usines pharmaceutiques locales qui fournissent 80% des besoins du pays en médicaments et exportent aussi leur production », motive-t-il. L’ONPC à travers son président se joint à ce plaidoyer à l’endroit des plus hautes autorités de la République, le Chef de l’Etat en l’occurrence. Lequel plaide pour un certain nombre de mesures « énergétiques et courageuses qui pourraient sauver notre fragile tissu industriel pharmaceutique ».
Entre autres, « la diminution des impôts et taxes appliquées aux producteurs locaux de médicaments, la mise en œuvre d’un système fiscal incitatif à la préférence national ». Concrètement, il faut alléger les coûts de douanes des intrants de médicaments et des équipements de production ; alléger les procédures d’importation des intrants ; lutter contre le marché parallèle de faux médicaments via la production locale moins chère ; favoriser l’exportation de médicaments produits localement vers les marchés régionaux et internationaux en créant des partenariats avec les entreprises et les organisations internationales, en favorisant la mise en place de normes internationales de qualité et de sécurité, et en simplifiant les procédures d’exportation, précise le Dr Eloundou.
Redéfinition de la notion d’intrant
Pour les firmes industrielles basées au Cameroun, la définition d’intrant pharmaceutique au sens de la loi en vigueur pose problème. Pour Afripharma Cameroun, cette notion d’intrants mérite d’être mieux définie dans la loi sur l’exonération de taxes et droit de Douanes sur les intrants pharmaceutiques. « Il y a eu un plan d’action qui est entrain d’être mis en œuvre avec des objectifs à court, moyen et long terme. Ce serait mieux que ce soit accéléré. Mon souhait est que ça continue que ce soit au niveau des droits de Douanes, des droits d’assises qui posent certaines difficultés », sa responsable, par ailleurs cette pharmacienne ingénieur qualité.
Dans tous les cas, « pour sa souveraineté sanitaire et la meilleure gestion de son économie, le Cameroun gagnerait donc à aider l’industrie pharmaceutique locale pour la rendre plus compétitive », conclut le Dr Franck Nana. Et la principale attente des fabricants vis-à-vis des pouvoirs publics est la mise sur pied d’un environnement concurrentiel fiscal et légal favorable à la compétitivité et à l’investissement.
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