Dr Patrick Eloundou : « Nous militons pour des lois qui vont soutenir et protéger l’industrie pharmaceutique locale »

Que gagnerait le Cameroun à développer son industrie pharmaceutique locale ?

La production locale de médicaments peut offrir de nombreux avantages. Notamment :

La réduction de la dépendance aux importations :  Le Cameroun dépend actuellement largement des importations à près de 98% pour répondre aux besoins en médicaments de sa population. Ce qui est franchement dommage. Le développement de l’industrie pharmaceutique locale peut aider à réduire cette dépendance et à renforcer l’autosuffisance du pays en matière de médicaments. On ne connaîtra plus forcément de pénuries…

La valorisation de la production locale et l’accélération du processus d’import substitution voulus par le Gouvernement du Cameroun sous l’impulsion du Président de la République, son Excellence Paul Biya. TEBIMOSA Pharmaceuticals veut y contribuer non seulement en fabriquant localement les médicaments génériques de masse et les médicaments ciblés de haute technologie. Mais aussi, en développant au Cameroun la production de phytomédicaments/médicaments traditionnels améliorés (MTA) conformément aux exigences de qualité internationales (en matière de sécurité et efficacité thérapeutique/bien être des personnes), ceci constituant une possibilité de valoriser la connaissance/le patrimoine ancestral local en matière de thérapie médicinale et une offre alternative aux patients qui préfèrent de plus en plus se soigner par des médicaments dits de « médecine douce » avec des avantages d’une offre à prix avantageux moins chers parfois que les médicaments de produits chimiques souvent importés.

-Le renforcement de la compétitivité du Cameroun à l’échelle sous-régionale CEMAC et au niveau Afrique Subsaharienne. En effet, le développement de l’industrie pharmaceutique peut également renforcer la compétitivité du Cameroun sur les marchés régionaux et internationaux d’Afrique subsaharienne, en créant des opportunités pour les exportations de médicaments fabriqués localement. Cela aura un impact positif sur la balance commerciale via l’exportation entraînant le rapatriement/la disponibilité des devises. Et aujourd’hui, avec le développement du label Made in Cameroun, nous avons besoin de nous affirmer sur tous les segments.

La souveraineté pharmaceutique rentre aussi dans ces avantages. Produire localement nous confère une certaine souveraineté. La crise du Covid-19 avec la fermeture des frontières nous a montré combien de fois il était désormais urgent de promouvoir et favoriser la mise en place d’une industrie pharmaceutique locale performante et fonctionnelle en routine sur la durée avec une réelle satisfaction des malades et tous les maillons de la chaîne (médecins, pharmaciens, grossistes répartiteurs, distributeurs, hôpitaux, instances réglementaires). Il est urgent qu’il y ait une vraie prise de conscience collective. Nous avons du potentiel dans tous les domaines, il faut le réaliser. Le Cameroun peut entrer dans le groupe des 7 plus grands producteurs de médicaments du continent africain avec l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Nigéria, le Maroc et la Tunisie.

La Création d’emplois : Le développement de l’industrie pharmaceutique locale peut offrir de nombreuses opportunités d’emploi. A moyen terme chez TEBIMOSA par exemple, nous projetons de créer 500 emplois directs. A cela il faut ajouter les chaînes de valeurs autour qui seront développées. Par exemple, nous qui voulons produire des phytomédicaments  à moyen terme, à partir d’intrants locaux, nous serons contraints de collaborer avec des coopératives chargées de nous fournir des essences de plantes médicinales à très grands volumes  ; nous serons obligés d’enrôler des agriculteurs et botanistes pour créer des plantations, des zoologistes pour reproduire des écosystèmes forestiers. Avec tout cela, des milliers d’emplois créés seront multipliés.

-Augmentation des recettes fiscales : L’industrie pharmaceutique peut également générer des revenus pour le gouvernement, sous forme de taxes et de redevances sur les ventes de médicaments. En résumé, le développement de l’industrie pharmaceutique locale peut offrir de nombreux avantages économiques et sociaux pour le Cameroun, en renforçant l’autosuffisance du pays en matière de médicaments, en créant des emplois, en augmentant les recettes fiscales, en améliorant la santé publique et en renforçant la compétitivité du pays sur les marchés internationaux. Produire en local nous confère aussi une souveraineté pharmaceutique.

Justement, vous évoquez l’Algérie qui a réussi ce pari…

Effectivement. Nous avons vécu la crise du Covid-19 où les frontières étaient fermées. On s’est retrouvé sans médicaments. Là, on a compris que c’est important que le Cameroun soit indépendant pharmaceutiquement. Et là, il faut que nous ayons une production locale. Il y a un pays qui a réussi ce pari mais de manière magnifique. C’est l’Algérie. Ils ont mis en place des lois qui font qu’aucun médicament en Algérie ne peut entrer sur le territoire algérien sans qu’une partie de la production soit faite par une entité qui est située sur le territoire Algérien. Ça a contribué à ce qu’aujourd’hui, l’Algérie a 200 unités pharmaceutiques de production de médicaments ; l’Algérie produit localement 70% de la consommation de tous ses médicaments et l’Algérie a réduit de 800 millions de dollars sa facture d’importation c’est-à-dire 450 milliards de Fcfa. Ça s’appliquerait bien au Cameroun et c’est la raison pour laquelle nous les industriels du médicament, parce que je ne suis pas seul, on est un groupe d’industriels, plusieurs laboratoires pharmaceutiques qui faisons déjà la production locale. Nous militons aujourd’hui et nous implorons toute l’opinion publique mais également, bien évidemment, le Président de la République et le gouvernement à aller vers ces lois qui vont soutenir et protéger l’industrie pharmaceutique locale de manière à vraiment créer cette émergence. Et avec ces deux lois qui sont simples. La première c’est la loi du 30% Made in Cameroun c’est-à-dire que pour tout médicament vendu en pharmacie, il faut qu’il y ait 30% de ces produits qui soient fabriqués au Cameroun. Et la deuxième loi c’est vraiment celle qui s’inspire de l’Algérie que j’appelle le Part in manufacturing in Cameroon law. C’est-à-dire que tous les produits qui vont arriver chez nous, qu’une partie de la production soit faite par l’industrie locale. Et comme ça, on aura le transfert de technologie, la création d’emplois, la formation des jeunes. Et on va participer à l’émergence du Cameroun parce qu’on aura des infrastructures.

Quelles sont les actions stratégiques qui peuvent être mise sur pied à cet effet ?

Pour booster l’industrie pharmaceutique locale au Cameroun il est important de mettre en actions plusieurs mesures stratégiques parmi lesquelles :

  • Mettre en place les deux lois fondamentales suivantes pour développer l’industrie pharmaceutique locale: Pour nous, l’Etat du Cameroun doit absolument mettre  en place les deux lois fondamentales suivantes pour aider au développement de l’industrie pharmaceutique locale . Ces deux lois entrent en droite ligne avec les objectifs du Président de la République,  mon vœu le plus cher est qu’elles puissent être mises en place durant son actuel « septennat des grandes opportunités », à savoir avant fin 2025. Il s’agit des deux lois suivantes:

1/ La « Loi du quota de 30% » :  consistant en l’instauration d’un quota de 30% obligatoire de médicaments made in Cameroon vendus dans les pharmacies et par les grossistes répartiteurs distributeurs.

2/ Le « part of manufacturing in Cameroon Law » : l’obligation que pour tout médicament vendu au Cameroun, une des opérations de fabrication ou de conditionnement doit être faite sur place au Cameroun, comme cela a été mis en place avec succès en Algérie et a fait de ce pays le leader de l’industrie pharmaceutique du continent avec plus de 200 usines pharmaceutiques locales qui fournissent 80% des besoins du pays en médicaments et exportent aussi leur production.

  • Alléger les coûts de douanes des intrants de médicaments et des équipements de production : Nous souhaitons un allègement systématique des conditions et des prix de douanes pour l’industrie pharmaceutique locale. Nous n’en bénéficions pas sur le terrain en tant que producteurs locaux. Nous payons très cher la douane et c’est un blocage pour être compétitif par rapport à la concurrence indienne et chinoise très agressive qui fait un dumping sur les prix. Le médicaments produit fini est exonéré de douanes lorsqu’il est importé par les grossistes distributeurs mais nous en tant que producteurs locaux, nous payons des droits de douanes très élevés sur les matières premières et les articles de conditionnement qui rentrent dans la composition de ces mêmes médicaments produits finis fabriqués localement. Ce qui est une contradiction. Par exemple, récemment nous avons acheté de l’aluminium et du PVC qui entre dans la fabrication de nos blisters en comprimés à 1,2 millions de FCFA et nous avons payé des droits de douanes dessus à 1,8 millions de FCFA. Ce qui est très handicapant car ces articles de conditionnement primaire constituent les intrants du médicament produit fini fabriqué localement dans notre usine et doivent être exonérés de douane. De même, nous devons bénéficier des exonérations systématiques de douanes sur les équipements de production et contrôle qualité pour les 10 premières années d’existence par exemple.
  • Alléger les procédures d’importation des intrants : Nous avons aussi besoin que le gouvernement puisse alléger les procédures aujourd’hui trop lourdes pour les autorisations d’importations des intrants pour la production de nos médicaments et les procédures pour le paiement de nos fournisseurs. Nous perdons parfois 2-3 mois (de la commande auprès des fournisseurs à la réception des intrants dans nos usines en passant par les déclarations d’importations et les transferts bancaires) à cause des procédures trop lourdes : les producteurs locaux de médicaments devraient bénéficier d’un processus plus rapide tout en respectant la réglementation
  • Lutter contre le marché parallèle de faux médicaments via la production locale moins chère : Afin de lutter contre le marché parallèle de faux médicaments, un des leviers serait l’encouragement d’une production pharmaceutique locale moins chère (appui des gouvernements au niveau législatif, réglementaire, douanier, financier, fiscal) qui fera diminuer les prix des médicaments vendus en pharmacie tout en maintenant les marges bénéficiaires des différents maillons de la chaîne. Ainsi les populations ne trouveront plus d’utilité à aller sur le marché parallèle des médicaments de la rue qui paraissent moins chers mais qui peuvent être toxiques et sont souvent inefficaces.
  • Favoriser l’exportation de médicaments : Il est important d’encourager l’exportation de médicaments produits localement vers les marchés régionaux et internationaux en créant des partenariats avec les entreprises et les organisations internationales, en favorisant la mise en place de normes internationales de qualité et de sécurité, et en simplifiant les procédures d’exportation. Ici l’objectif est de permettre aux producteurs locaux de trouver des débouchés pour leurs produits et corollairement de ramener des devises dans le pays.
  • Créer un environnement favorable à l’innovation : Pour encourager l’innovation dans l’industrie pharmaceutique locale, il est important de créer un environnement favorable à la recherche et à l’innovation en renforçant les liens entre l’industrie, les universités et les centres de recherche.

 

 

 

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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1 réponse

  1. 3 octobre 2023

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