Dr Mbella Maurice Rocher: « 8,4% des personnes vivants avec le VIH ont une hépatite B et 10% une hépatite C »
A la faveur de la journée mondiale contre l’hépatite célébrée le 28 juillet 2020, le Chef de service de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et les hépatiques virales au Minsanté, revient entre autres, sur les régions les plus touchées par cette maladie au Cameroun, la séroprevalence et les facteurs associés au VIH et aux hépatites B et C, et la politique gouvernementale en matière d’hépatites. Lire ses éclairages.
D’après une étude menée par Épicentre Afrique (MSF), 750 000 personnes sont atteintes par les hépatites virales A, B et C, 10 000 décès par an et un taux de prévalence national de 12% pour l’hépatite B. Ces chiffres des hépatites virales au Cameroun ne sont-ils pas alarmants ?
Les données actuellement disponibles montrent une prévalence élevée des hépatites virales, en particulier des virus de l’hépatite B et C qui sont des hépatites virales chroniques. Au Cameroun, la prévalence des hépatites virales B, C est respectivement de 11,9% et 1,03% pour les tranches d’âge de 15 à 59 ans. Malgré les stratégies mises en œuvre par le gouvernement, notre pays continue d’enregistrer un grand nombre de décès liés aux hépatites virales en particuliers B et C, à travers les complications à type de cirrhose ou de cancer du foie qu’elles entraînent. Les hépatites virales représentent un véritable problème de santé publique dans notre pays au vue du lourd tribut qu’elles font payer à nos communautés et à notre système de santé. Néanmoins, les stratégies mises en place par l’Etat, en particulier la décentralisation de la prise en charge des Hépatites virales, la réduction des prix des médicaments des hépatites virales, l’introduction du vaccin contre le virus de l’hépatite B dans le Programme élargi de vaccination (PEV : Ndlr) et l’amélioration de l’offre de service de prévention ; ont permis de réduire la transmission des hépatites virales B et C surtout de la mère à l’enfant, et du nombre de décès aux hépatites virales. Ces efforts doivent être renforcés et encouragés à travers une prise de conscience sur ces maladies, l’adhésion des populations aux stratégies mise en place et le renforcement du partenariat public-privé dans la lutte contre les hépatites virales au Cameroun.
Quelles sont les régions les plus touchées ?
Plusieurs études menées au Cameroun montrent que la prévalence des hépatites virales varie en fonction de la zone géographique, des tranches d’âge et des groupes spécifiques de population. En ce qui concerne les zones géographiques, la variation régionale de la prévalence de l’hépatite virale B permet de classer le Cameroun en trois groupes : les régions à forte prévalence sont l’Extrême- Nord et le Nord, les régions à prévalence modérée que sont le Centre, le Littoral, le Sud, l’Est, le Sud-Ouest, l’Adamaoua et l’Ouest ; et enfin une région à faible prévalence, celle du Nord-Ouest selon l’Enquête Démographique de Santé de 2011. Cette situation peut ne plus être la même de nos jours. Mais d’une façon générale pour les hépatites B et C, les populations rurales sont plus affectées que celles des zones urbaines d’après certaines études. Certaines régions du pays du fait de leur situation sécuritaire sont exposées au risque d’épidémie d’hépatite virale A et E liée à la présence de zones de déplacés internes, de réfugiés où les populations vivent le plus souvent dans des conditions précaires d’approvisionnement en eau et d’assainissement de base.
Comment comprendre ce nombre élevé des hépatites virales dans notre pays ?
En ce qui concerne les hépatites virales B et C, le Cameroun est un pays à forte endémicité pour l’hépatite virale B et à faible endémicité pour l’hépatite virale C. La transmission mère-enfant du virus de l’hépatite B est un mode de transmission majeur dans notre contexte car la plupart des personnes sont infectées au cours de l’enfance. Le nombre élevé de l’hépatite virale B est en grande partie due à la faible performance des programmes de prévention chez les femmes enceintes et de vaccination chez les nourrissons et les femmes en âge de procréer. En effet, un nombre important de femmes enceintes ne se font pas dépister contre l’hépatite B pendant leurs consultations prénatales et ceci, pour plusieurs raisons. Ce sont entre autres, le coût du test de dépistage, l’insouciance. Le Cameroun a introduit le vaccin contre l’hépatite B dans le Programme élargi de vaccination depuis 2005 en trois doses associées au DTCoq pour les enfants de 0-11 mois. Mais, beaucoup de parents ne font pas vacciner leur enfant selon le calendrier de vaccination. Cela s’est d’autant plus aggravé avec le contexte actuel de pandémie à COVID-19 où l’on enregistre de plus en plus de faibles performances au niveau de la couverture vaccinale de nos enfants. La faible adhésion des jeunes et surtout des femmes en âge de procréer au service de dépistage et de prévention (vaccination et planification familiale) explique aussi en partie la fréquence élevée des hépatites virales B et C surtout dans les populations clés et vulnérables telles que les travailleurs de sexe, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, les professionnels de santé et les personnes utilisant les drogues injectables.
D’après la même étude, les hépatites virales ont connu une hausse de 5% ces 10 dernières années. Qu’est-ce qui peut justifier cette hausse ?
L’utilisation généralisée du vaccin contre l’hépatite B chez les nourrissons a considérablement réduit l’incidence des nouvelles infections chroniques au Virus de l’hépatite B ces dernières années. En effet, la prévalence de l’hépatite B chez les enfants de moins de 5 ans est passée de 5.8% avant l’introduction du vaccin, à 3.1% en 2015 dans notre pays. On note également une amélioration des conditions d’asepsie lors des actes médicaux dans nos formations sanitaires et de la sécurisation des produits dérivés du sang notamment à travers le renforcement du plateau technique des formations sanitaires et la mise en œuvre d’un programme national de transfusion sanguine. Il existe également des protocoles pour la prise en charge des accidents d’exposition aux liquides biologiques. Beaucoup d’effort ont également été entreprisent pour faciliter l’accès financière de vaccin contre l’hépatite B notamment chez les personnels de santé et les agents de l’Etat ainsi que l’organisation de campagne de vaccination à coût très réduit voir gratuit. Une hausse dans les chiffres peut être justifié par l’accroissement de la population, l’augmentation de la consommation de drogues injectables et l’augmentation des comportements à risque au sein de la population. D’où l’importance de renforcer la sensibilisation et de lutter contre la stigmatisation des personnes atteintes d’hépatites virales.
Quelle est la séroprevalence et les facteurs associés au VIH et aux hépatites B et C au Cameroun ?
Les facteurs associés au VIH et aux hépatites B et C sont principalement : l’utilisation des objets souillés tranchants, l’utilisation des seringues usées, les rapports sexuels non protégés surtout avec un partenaire dont le statut sérologique est inconnu, la multiplicité des partenaires sexuels, le non-respect des conditions d’asepsie pendant les soins médicaux ou corporels (soins de beauté). Les populations les plus à risque de ces maladies sont les femmes enceintes, les enfants et les adolescents, le personnel de santé, les prisonniers, les travailleuses de sexe, les populations mobiles (chauffeurs, réfugiés, déplacés internes etc), les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes et les personnes adeptes aux modifications corporelles (tatouages, piercing etc) et pratiques traditionnelles (circoncision, scarification).
Combien de personnes sont touchées par les deux maladies ?
Bon nombre de personnes vivant avec le VIH sont également atteintes d’hépatites virales. On estime que 8,4% des personnes vivants avec la VIH ont une hépatite B et 10% une hépatite C.
De quelle prise en charge bénéficie cette catégorie de personnes ?
Il existe des protocoles de traitement adaptés pour les personnes vivant avec le VIH co-infectées aux hépatites virales ainsi que des services intégrés de prise en charge de ces coinfections. En effet, les patients infectés par le VIH doivent faire l’objet d’un dépistage de l’infection par le virus de l’hépatite B et C, de préférence avant le début du traitement antirétroviral. En cas de coïnfection, le traitement contre l’hépatite est intégré à celui du VIH en prenant en compte un certain nombre de considération. Il faut tout de même signaler que le traitement de l’hépatite B chez les patients infectés par le VIH est gratuit alors que ce n’est pas le cas pour le traitement de l’hépatite C. Ceci est tout simplement dû au fait que certains ARV utilisés dans le traitement du VIH/SIDA sont les mêmes utilisés pour traiter l’hépatite B.
Comment se passe la prise en charge des malades des hépatites en général ?
D’une manière générale, après avoir fait le dépistage et en fonction du résultat du dépistage, la personne doit être orientée vers un service de vaccination et/ou de planification familiale si son test est négatif. Si le test de dépistage est positif, la personne doit être orientée vers un centre de traitement agrée où il sera amené à faire un certain nombre d’examens pour confirmer l’infection et évaluer son éligibilité au traitement. Si le patient est éligible au traitement, il se doit de s’acquitter de ses frais de traitement, en effectuant un dépôt/virement dans un compte spécial mis en place par le ministère de la Santé publique, avant de bénéficier des médicaments contre les hépatites virales subventionnés par l’Etat. Il est à noter que le traitement de l’infection chronique au virus de l’hépatite B est à vie et celui du virus de l’hépatite C varie de 3 à 6 mois en fonction de l’évolution de la maladie. Le Cameroun dispose actuellement des 13 centres de traitement agréés opérationnels répartis sur toute l’étendue du territoire.
Pourquoi le traitement des hépatites demeurent onéreux pour de nombreux camerounais ?
Contrairement aux ARV des patients atteints du VIH qui sont gratuits, les médicaments des hépatites virales ne le sont pas et ne sont pas à la portée de tout le monde. Néanmoins beaucoup d’effort ont déjà été fourni par l’Etat pour rendre plus accessible les médicaments des hépatites virales par la subvention de l’état pour ces médicaments. En effet, les médicaments des hépatites B, C et D ont déjà subi deux phases de réduction de leur prix en deux ans. Si l’on prend le traitement de l’hépatite virale C par exemple, le protocole d’un mois à base de Sofosbuvir+Ledipasvir est passé de 280 000 Fcfa à 120 000 Fcfa en 2018 puis à 50 000 Fcfa en 2019 soit une réduction totale de 82% ce qui est très considérable étant donné que le traitement de l’hépatite C dure entre 3 et 6 mois. Pour le traitement de l’hépatite B, le protocole d’un mois à base de Ténofovir est passé de 5000 Fcfa à 3000 Fcfa en 2018 puis à 2000 Fcfa en 2019 soit une réduction totale de 60%. D’une manière général le traitement des hépatites virales est accessible pour une grande partie de la population. Un renforcement du partenariat public-privée et de la subvention de l’Etat pourrait d’avantage réduire considérablement le coût de ces médicaments.
Quelle est la politique gouvernementale en matière d’hépatites ?
La politique de santé en matière de lutte contre les hépatites virales est actuellement axée sur le renforcement de la coordination des activités de lutte contre les hépatites virales à travers l’accélération de la décentralisation de la prise en charge, l’intégration de la lutte contre les hépatites virales dans les autres programmes de santé, la prise en compte des hépatites virales dans la mise en œuvre de la couverture santé universelle, le renforcement du partenariat public privé et la réduction du coût des tests de dépistage et des médicaments des hépatites virales. La stratégie sectorielle de la santé 2016-2027 met plus d’emphase sur l’amélioration de la prévention des hépatites virales à travers le renforcement de la communication pour le changement de comportement en ciblant les populations à risque, le renforcement de la sécurité transfusionnel, l’intégration de la prévention de la transmission mère-enfant dans les consultations prénatales et la promotion de la vaccination contre l’hépatite B.
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