Dr Elhadj Zakari Yaou Alhadji: « Nous souhaiterions que notre laboratoire soit renforcé pour tester nos malades sur place »

Dans un entretien fleuve publié au Journal L’œil du Sahel et dont nous avons sélectionnés les extraits, le délégué régional de la Santé publique pour l’Adamaoua revient notamment sur le plateau technique dont dispose cette région et les difficultés auxquelles il fait face dans la lutte contre le Coronavirus.

Au 28 mai 2020, la région de l’Adamoua enregistrait 13 cas testés positifs, sept guérisons et aucun décès. Quels sont les différents cas que vous enregistrez jusqu’ici pour un tel bilan ?

Il y a des positifs asymptomatiques et des positifs symptomatiques ; il y a des positifs qui sont dans des cas sévères. Lorsque vous êtes asymptomatique, la première des choses c’est de vous confiner dans un site de confinement bien répertorié dans la ville. Par la suite, nous vous soumettons sous traitement et nous suivons au jour le jour votre évolution. Si vous êtes positif avec un cas sévère, nous allons vous rapprocher de l’hôpital et on vous suit de telle manière que, s’il y a des complications qu’on peut utiliser des équipements tels que des starters à oxygène, un aspirateur assistance respiratoire. Mais Dieu merci jusqu’à ce jour nous n’avons pas encore eu des cas avec complications. Tous les cas que nous avons eu sont des cas asymptomatiques, ou avec des symptômes légers que nous confinons soit au site de confinement retenu dans la ville. Il y a d’autres qui demandent la prise en charge à domicile. Pour ceux-là, nous étudions d’abord leur environnement ; s’il est adéquat, bien acceptable, nous faisons signer au malade une autorisation de prise en charge à domicile qui précise qu’il a accepté qu’il soit confiné à domicile. C’est ce que nous appelons un protocole d’accord. Voilà les deux méthodes que nous utilisons à présent à savoir les malades qui sont suivis dans le site de confinement et ceux qui sont suivis à domicile. Pour le moment, tous évoluent très bien et nous n’avons pas encore eu des cas sévères pour les conduire à l’hôpital.

De quel plateau technique disposez-vous pour faire face à cette pandémie ?

Avant de vous le présenter, je voudrais tout d’abord dire que, nous suivons nos malades Covid-19 positifs de près et tous sont sous traitement. Une équipe médicale effectue les visites chaque jour et au fur et à mesure, nous prélevons l’évolution de leur état de santé. Tous les cas contacts de ces cas positifs ont été répertoriés et sont suivis. Ils sont confinés comme il le faut soit à domicile où nous faisons un bon suivi pour arrêter la propagation du virus. Si jamais il y a des cas contacts qui sont à risque, on les suit et on les dépiste ainsi que leur environnement qui est désinfecté. La prise en charge est optimale et nous suivons cela de près. Il faut souligner que cette prise en charge est totalement gratuite.

Est-ce à dire que vous disposez d’un plateau technique à même de résoudre les éventuels cas sévères qui pourraient arriver ?

On ne peut pas dire que notre plateau technique est optimum pour répondre totalement à des besoins. Mais nous avons l’essentiel c’est-à-dire une assistance respiratoire, les bonbonnes d’oxygène qu’on peut quand même assister le malade avec. Depuis le début de cette semaine, nous avons pensé à installer dans la salle d’isolement toutes ces bonbonnes d’assistance d’oxygène pour que, si jamais nous avons des cas avec difficultés respiratoires, qu’on puisse les assister très rapidement. Néanmoins, nous attendons des équipements de pointe, car ce que je disais plus haut sont des moyens locaux que nous avons sur place. Mais nous attendons toujours de notre hiérarchie qui a promis nous envoyer ces équipements de dernière génération. Nous avons déjà été notifié à propos de cet approvisionnement qui viendra appuyer ce que l’on a ici sur place. Et c’est à ce moment que nous pouvons dire qu’on pourra répondre à toutes les éventualités qui se présenteront à nous.

Depuis un certain temps, nous constatons un relâchement du côté des agences de voyage où vous avez pourtant fait des descentes avec les autorités administratives. N’y a-t-il pas moyen pour les réprimander ?

Nous déplorons cette attitude depuis l’assouplissement des mesures barrières. Il semble que la population a mal apprécié le principe de cet assouplissement en croyant peut-être à la fin du Covid-19. Les gens se sont dit que c’était la fin ; ils ont commencé à relâcher. Nous disons que c’est une grosse erreur d’appréciation. Il faut comprendre que si le gouvernement a décidé d’assouplir c’est parce qu’il voudrait aussi soutenir l’économie du pays en relançant les activités socioéconomiques. Mais cette fois-ci c’est une responsabilité qu’on remet à tout un chacun d’être responsable. L’Etat a pris sa responsabilité, il faut que de manière individuelle, que chacun prenne ses responsabilités. La lutte contre la Covid-19 est une lutte collective, mais plus individuelle. Les gens doivent adhérer à ce principe. Nous déplorons le fait qu’il y ait un laisser aller dans les agences de voyage. Nous allons retourner encore vers eux pour leur faire comprendre que ce n’est pas bon ce relâchement qu’on observe dans leur secteur d’activité. Et nous pensons que si après cela ces agences de voyage continuent à se comporter ainsi, nous allons passer à la répression. Car ce sera une règle naturelle. Après des explications, le plaidoyer, la sensibilisation, si on est récalcitrant, il faut passer par une autre méthode. Je pense que ce serait juste si les autorités administratives passent à la répression. Il faut qu’on fasse très attention parce qu’on risque d’aller vers une flambée si nous nous négligeons. L’Adamaoua a eu son premier cas avant le Nord et l’Extrême-Nord. Mais aujourd’hui, chacune de ces deux régions présente des chiffres très largement au-dessus de nos chiffres. C’est juste parce que la population est indisciplinée. Nous ne souhaitons pas que cela se passe ici chez nous. Et je suis d’avis que ceux qui ne veulent pas être disciplinés, que des sanctions soient prises à leur encontre afin qu’ils commencent à se protéger parce qu’en se protégeant, ils protègent aussi les autres.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

Sur le terrain, lorsque nous partons en sensibilisation par exemple, il y en a toujours qui ne croient pas que la Covid-19 existe. Ils pensent que ce sont des imaginations, c’est une invention pour faire entrer de l’argent. Il y a cette incompréhension ou cette ignorance ou encore ce manque de prise de conscience qui existe. Plus nous mettons nos efforts sur le terrain pour faire comprendre aux gens la gravité de cette pandémie, mais il y a ceux qui veulent nous décourager notamment ceux qui sont là dans l’incivisme, la désobéissance. Voilà une difficulté qui peut nous amener vers une flambée des cas. Les gens ne se dérangent pas pour respecter les mesures barrières. La distanciation sociale n’est pas respectée, car les gens continuent à rester cote à cote. J’ai eu à voir certaines mosquées où les gens prient sans respecter la distanciation. Cela peut nous apporter des situations d’une flambée.

L’autre problème que nous avons c’est que, pour ce qui entre dans le cadre de la prise en charge, nous voudrions tester aussi nos patients sur place. Pour le moment nous prélevons et nous amenons cela au centre pasteur de Garoua. Ça nous prend du temps et ça nous affaiblie pour répondre du tic au tac. Nous souhaiterions que notre laboratoire dont on a l’équipement soit renforcé avec les réactifs et un peu de moyen pour que nous puissions tester sur place nos malades. Nous attendons aussi de notre hiérarchie les tests rapides qui peuvent nous situer en temps réel sur des cas urgents ou pas.

Une autre difficulté que nous avons c’est que nous voulons renforcer notre site d’isolement de prise en charge du Covid-19 avec complication. Depuis mercredi dernier, le gouverneur nous a remis de manière officielle les clés des logements sociaux de Ngaoundéré pour que nous puissions les équiper afin de les utiliser comme site de confinement. C’était l’une des difficultés que nous avions et de ce côté, nous nous sentons un peu soulagé.  Nous avons une autre difficulté qui se situe sur le plan organisationnel. Nous voulons créer au sein de nos formations sanitaires, un centre de tri des malades. Ça veut dire que, lorsque vous arrivez dans une formation sanitaire, on ne vous prend pas directement en charge sauf si le cas est vraiment grave. Il y aura une fiche que chaque patient va remplir et ceux qui sont soupçonnés du Covid-19 sont mis à côté et amenés à l’isolement. Et ceux qui ne le sont pas, sont orientés vers les secteurs concernant leur cas de maladie. Donc nous sommes en train de réfléchir pour mettre un dispositif pareil au niveau de l’hôpital régional. Ceci va nous permettre d’éviter les contaminations à l’intérieur de nos formations sanitaires. Mais il faut retenir que la plus grande difficulté reste l’incivisme de la population qui a observé un relâchement dans le cadre des observations des mesures barrières.

Nous avons l’impression qu’il n’existe plus d’autres maladies en dehors du Covid-19. Est-ce que les autres malades continuent de fréquenter vos formations sanitaires ?

Pour vous prendre seulement le cas de l’hôpital régional de Ngaoundéré, les activités marchent très bien. Ce n’est que dès le début lorsque nous avons aménagé une salle pour les cas du Covid-19 à l’intérieur de l’hôpital, nous avons constaté un relâchement ou une hésitation de la population à fréquenter l’hôpital. Dès lors que nous avons pris des dispositions de recevoir les cas positifs au Covid-19 uniquement dans les centres de confinement et à domicile pour certains, nous avons constaté que la fréquentation est vraiment de retour. Je pense que notre hôpital est sécurisé.

Lundi 1er juin 2020 ce sera jour de rentrée scolaire pour le compte du troisième trimestre de l’année académique 2019 – 2010. Que comptez-vous faire pour réduire les contaminations chez les étudiants et élèves ?

Je peux dire que, le 1er juin prochain est une date qui nous amène à beaucoup réfléchir en ce qui concerne l’accueil des élèves et étudiants qui vont rentrer à l’école. Donc, les dispositions et les dispositifs nécessaires doivent être mis sur pied pour éviter la propagation. Il ne faut pas oublier que beaucoup d’étudiants et élèves viendront des régions infectées et vont voyager tout le long de ce corridor pour arriver dans la ville de Ngaoundéré. Il est important de prendre certaines dispositions au niveau universitaire. A ce sujet, j’ai échangé avec quelques chefs d’établissements qui m’ont confirmé qu’ils ont pris toutes les dispositions nécessaires par rapport au respect des mesures barrières. Cependant, il faudrait aussi qu’au niveau des mini cités, que des dispositions soient prises pour observer ces mêmes mesures barrières. Et ceci doit être pris comme un engagement personnel de la part de chaque étudiant. Je pense aussi que, les autoritaires universitaires devraient mettre tout sur pied pour que toutes ces mesures barrières soient respectées par les étudiants. Le centre médico-scolaire de l’université de Ngaoundéré est là sur place, et nous autres à la délégation régionale de la santé, nos portes sont ouvertes et nous pensons les accompagner sur toutes leurs sollicitations. Mais je pense que la sensibilisation doit rester de mise. Nous allons exploiter tous les canons, radio campus, les dépliants ainsi que les associations estudiantines que nous pensons mobiliser dès la rentrée pour des formations sur cette sensibilisation.

Dans les établissements scolaires du secondaire et du primaire, nous pensons que de ce côté ce sera gérable puisqu’il s’agit essentiellement des salles d’examens. J’ai par exemple déjà vu les mesures de distanciation sociale qui sont prises dans les salles de classe. Mais nous allons faire le tour de tous ces établissements pour voir ce qu’on peut leur apporter comme contribution durant cette période de reprises des cours. De toutes les façons, nous avons déjà commencé à réfléchir sur comment nous allons les accompagner. Nos expertises et assistances techniques sont là pour ça. Même une assistance en termes de matériel s’il y en a, nous n’hésiterons pas de leur apporter notre appui. Mais je pense que, nous allons faire les tours et travailler en symbiose pour leur apporter notre contribution.

Entretien mené par Francis Eboa (L’œil du Sahel)*

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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