Dr Dorine Ngono: « Pour bien se préparer, il faut se projeter au pire »

Alors que le Cameroun enregistre 10 nouveaux cas confirmés au Coronavirus ce 24 mars, portant ainsi le bilan à 66 cas, l’épidémiologiste au Centre national des Opérations d’Urgence de Santé publique (Cousp) revient sur la stratégie mise en place pour limiter la propagation de l’épidémie, la cartographie des régions à risque au Cameroun et le suivi des contacts. Lire son interview. 

Au moment où la liste des cas testés positifs s’allonge chaque jour un peu plus, qu’est-ce qui est fait concrètement pour limiter la propagation de ce virus ?

C’est tout un ensemble de mesures et de stratégies qui sont mises en œuvre et qui sont complémentaires. Il faut détecter précocement des cas. Lorsqu’on a des personnes qui viennent des pays en épidémie, il faut les mettre en quarantaine pour que si jamais ils se retrouvent là-bas et font la maladie, qu’ils ne contaminent pas les autres. La quarantaine se fait partout pour le bien de la personne et de son entourage. Il faut la détection précoce de tous les cas suspects, la confirmation précoce. Donc, le laboratoire doit pouvoir rapidement nous faire le diagnostic et jusqu’ici nous n’avons pas de problèmes avec cela. Dès que c’est confirmé, l’investigation approfondie pour lister tous les contacts et tous les contacts à haut risque entre en scène. C’est à ce moment que j’interviens. Il faut les suivre parce que le virus est dans le contact. En téléconférence, les chinois nous ont confirmé que 2 à 5% de contacts à risque finissent par développer la maladie. Il y a aussi le tracing des contacts. Donc, bien suivre tous les contacts notamment, ceux à haut risque qui doivent rester en quarantaine et lorsqu’il développe un quelconque symptôme, on revient à une détection précoce, la sensibilisation, les mesures de précaution et de prévention standards.

Le fait d’avoir des cas confirmés éparpillés dans différents hôpitaux ne constitue-t-il pas un risque élevé de propagation ?

L’idéal serait de les avoir tous. Mais on n’est pas dans un monde idéal. Si cela a fait les dégâts comme nous avons vu dans les pays les plus développés, nous ici, on fait de notre mieux. Les différents centres de traitement que nous avons choisi c’est parce que là-bas, nous avons des spécialistes. Nous avions déjà choisi un centre d’isolement à deux cas mais quand il y a déjà deux, trois, quatre, cinq cas… A un moment donné, pendant que vous allez identifier l’endroit où vous allez construire et réunir tous ces cas, il faut bien les mettre quelque part et commencer à les soigner.

Quelles est leur probabilité de propager le virus ?

Ce n’est pas le fait qu’ils soient éparpillés qui constitue un risque de propagation de la maladie. C’est le fait que le cas confirmé ne soit pas isolé. S’il l’est dans une formation sanitaire et qu’il est bien pris en charge et que toutes les mesures sont respectées par ceux qui les prennent en charge, ce n’est pas cela le facteur de propagation. Le facteur de propagation est d’abord un cas confirmé qui s’ignore dans la communauté.

Quelle est la cartographie des régions à risque ?

Lorsque que nous étions en phase de préparation, on avait fait une évaluation des risques. Les régions à risque étaient celles qui avaient une porte d’entrée à l’international parce que la maladie n’était pas chez nous. Donc, si elle doit entrer chez nous, c’est par les gens qui ont voyagé. Ce n’était même pas encore en Afrique pour dire que c’était les frontières terrestres qu’il fallait surveiller. C’était beaucoup plus les frontières aériennes et maritimes. Donc, quand nous avons fait notre plan, nous avons d’abord ciblé ces régions-là. Maintenant, où il y a les cas à Bafoussam, et le premier qui nous a fait trembler c’était à Maroua. C’est pour dire qu’avec ce genre d’épidémie, on ne maîtrise pas. Les gens sont arrivés avec de petites failles. Donc actuellement, tout le pays est à risque.

Pouvons-nous néanmoins avoir une projection du nombre de cas testés positifs à venir ?

C’est difficile à dire. Mais pour bien se préparer, il faut se projeter au pire. Il vaut mieux prévoir qu’on aura plus et multiplier les efforts que de se projeter et dire qu’on n’en aura pas. C’est difficile à dire. On a pris des experts qui doivent faire une mobilisation. En fonction de cela, on saura quel est le besoin du matériel logistique à mobiliser. Mais ce qui est sûre, c’est qu’on va continuer pendant un bon bout de temps. Ce n’est pas demain qu’on en finira. Mais tout ceci dépend de l’effort de chacun.

Les deux premiers cas peuvent-ils à nouveaux être infectés ?

C’est une nouvelle maladie. On a lu dans les articles chinois et autres qu’on a eu des cas de réinfection chez les gens qui étaient guéris. Mais scientifiquement, nous n’en savons encore rien. Ce que nous prescrivons c’est de respecter les mesures qui sont prescrites. On peut se dire que c’est un peu comme la grippe. Quand vous l’avez aujourd’hui, demain vous pouvez encore l’avoir. Personne ne peut dire à l’heure actuelle que ce n’est pas parce que vous avez déjà été malade que vous ne pouvez plus l’être. Nous ne pouvons pas l’affirmer au stade actuel de l’épidémie.

Comment se passe la gestion des cas des voyageurs qui sont confinés dans les hôtels et dont certains ont quitté leur lieu d’isolement ?

C’est une question assez délicate. C’est vrai que certains ont fui. Nous sommes en entrain de penser à de nouvelles des stratégies. Il y a déjà celles que nous mettons en œuvre mais ce qui est certain, c’est que de nouvelles stratégies seront mises en place dans les prochaines heures.

Qu’en est-il du suivi des contacts qui semblent être un maillon faible de votre dispositif ?

La liste des contacts augmente chaque jour et le tracing est dynamique, suit un itinéraire. Si aujourd’hui je suis confinée et qu’on est à moins d’un mètre et qu’il s’avère qu’on est en contact étroit, l’équipe qui vient investiguer va d’abord faire le premier listage. Maintenant dans le premier listage, il y a beaucoup de personnes que nous pouvons manquer. Peut-être parce que les gens ont peur de donner les noms de leurs frères, on le liste quand même sans nom tout en sachant qu’il y a quelqu’un à tel endroit qu’il faut rechercher. Si vous avez un cas suspect dans la maison et vous ne dénoncer pas, on ne saura pas. Pareil pour celui qui vient d’Italie et est même malade mais on cache. Comment allons-nous le savoir. Donc, dans cette lutte, chacun de nous a un rôle à jouer. Si chaque membre de la communauté ne respecte pas les précautions, on court dans le sac comme on dit vulgairement. Quand on a déjà un cas confirmé, ce qui est sûre c’est qu’il y aura un autre cas confirmé parmi ses contacts. Les choses sont entrain de se faire. Même ceux qui se sont enfuient, il y a une stratégie qui va permettre de les récupérer. Mais l’important n’est pas de dire on n’a déjà tel nombre de cas mais de se dire : je fais comment à mon niveau pour éviter la chaîne de contamination autour de moi.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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