Didier Demassosso: « Certains facteurs prédisposent les médecins à pouvoir se donner la mort»

Olive Atangana
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Le psychologue-clinicien, revient sur les raisons du suicide chez les médecins. Lire son interview.

Comment comprendre le suicide d’un médecin ?

On peut comprendre qu’un médecin puisse se donner la mort parce qu’il est d’abord un humain et comme tout être humain, les médecins sont aussi des sujets et affectés par différent types de problèmes. Ils peuvent être d’ordre personnel, économique, professionnel. Il y a aussi la charge et le contexte de travail qui ne sont pas à négliger parce que la pression du travail, ajouté à d’autres pression externes liées à la famille, au contexte socio-économique dans lequel le sujet vit, ajouté à cela des facteurs personnels qui quand ils sont cumulés et entre en interaction, prédisposent le sujet médecin à pouvoir se donner la mort. Il faut noter que le contexte africain n’a pas la représentation que le médecin peut tomber malade, qu’il peut souffrir aussi. Il n’est pas très bien compris. Tout ceci est erroné.

Les professionnels de la santé et de la santé mentale sont des humains qui peuvent aussi tomber malade. C’est pour cela que le système de santé doit prévoir que ces professionnels puissent être pris en charge d’une certaine façon parce qu’on fait beaucoup pour le patient mais très peu est pour encadrer les professionnels de la santé de manière générale afin qu’ils puisent être performants dans leur travail. D’où l’importance des politiques en santé plus systématiques et rigoureuses qui mettent en avant le droit à la santé de tout citoyen. Peu importe qu’il soit médecin ou peu pour que quand il y a souffrance qu’il y ait des mesures concrètes et efficaces qui puissent être mise sur pied.

Doit-on comprendre qu’une prise en charge psychologique leurs est nécessaire ?

En ce qui concerne la prise en charge des médecins sur le point de vue psychologique, il est à noter que les médecins sont d’abord sujets. C’est-à-dire des humains comme tout le monde et ils ont droit à la santé ; à la prise en charge comme tous les autres citoyens du Cameroun. Toutefois, le système de santé camerounais ne dispose pas d’une intégration de la santé mentale dans les soins de santé primaires. Ce qui fait en sorte que tout sujet, qu’il soit médecin ou pas, quand il se retrouve dans une formation sanitaire publique, a des difficultés à pouvoir bénéficier d’une prise en charge. Cela est d’autant plus difficile et dangereux pour les médecins qui ont déjà une charge de travail assez élevée. C’est très difficile pour eux de pouvoir faire leur travail de manière significative. Du coup, les problématiques de burn-out et de dépression sont assez fréquentes. Beaucoup de recherches le démontrent.

Ces problématiques sont-elles dangereuses pour les médecins ?

Non seulement c’est un danger pour eux-mêmes, mais aussi pour le système de santé camerounais. Il serait donc important que la santé mentale soit intégrée dans les soins de santé primaires de telle sorte que dans toutes les structures sanitaires camerounaises, la prise en charge de tout sujet, y compris des médecins soit effective de manière à ce que quand un médecin a des problèmes d’ordre personnel ou professionnel ou liés à la charge de travail, il puisse être pris en charge. La santé mentale est une affaire de tous et il faut la prendre en considération. D’autant plus que la prévalence de la dépression est en augmentation au Cameroun. Voilà pourquoi la promotion et la prévention des maladies mentales est un processus qui intervient à toutes les étapes de la vie d’un sujet.

De quel accompagnement psychologique doit bénéficier un médecin dans ce cas ?

Un médecin est d’abord un professionnel de la santé c’est-à-dire c’est un sujet qui a une connaissance assez importante des problématiques de la santé. Ce qui peut ou non faciliter sa prise en charge. Un médecin est aussi d’abord un humain. Donc, sa prise en charge doit tenir compte de ces deux aspects parce que des recherches montrent que le statut social du sujet a un impact sur sa prise en charge. Mais, de manière générale, la prise en charge dépendra de sa singularité. Qui est-il, est-il marié, quels sont ses problèmes personnels, professionnels, quelles sont ses relations humaines de manière générale. Parce que des recherches montrent que les médecins sont sujets à des problématiques de santé mentale de part leur forte implication émotionnelle dans leur travail. Du coup, la prise en charge du médecin est aussi structurelle dans la mesure où le système de santé camerounais doit tenir compte de ce que la charge de travail du médecin est un facteur de risque important qui affecte leur santé.

Que faut-il donc faire ?

Recruter plus de médecin va favoriser leur épanouissement ou bien leur santé et aussi, permettre à ce qu’on puisse atteindre les performances escomptées. Et de manière systématique, c’est important que dans les hôpitaux, qu’il y ait des cellules d’écoutes destinées aux médecins. Elles pourraient etre créées au sein des structures sanitaires afin qu’elles absorbent les souffrances des soignants ou des professionnels de la santé mentale, des psychologues pour permettre au médecin de s’exprimer sur les problématiques liées à son travail et à sa vie personnelle. C’est cette conjonction de mesures d’intervention qui peut permettre que le sujet médecin soit dans un état de bien-être et puisse être compétitif. Parce qu’ils ont des souffrances inhérentes au travail et à leur humanité. Donc, ces cellules d’coute pourraient aider mais surtout, une politique sanitaire développée dans ces structures qui permettrait que le sujet soignant soit mis au centre des préoccupations de l’hôpital. Les choses ne doivent pas se faire de manière mécanique. Il faut considérer autant le patient que le soignant comme une entité principale et importante dans le système qui est l’hôpital. En revalorisant cela, on va grandement améliorer aussi leur bien-être parce qu’il s’agit aussi de ça. Beaucoup de sensibilisation doit aussi se faire.

 

 

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Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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