Déjà près de 3000 cas de rougeole enregistrés au Cameroun

78 districts de santé en épidémie dans neuf régions.

La rougeole gagne du terrain sur le sol camerounais. Alors que tous les yeux sont rivés sur la pandémie de Covid-19, le dernier rapport de la situation épidémiologique du Programme élargi de vaccination (PEV) au 25 mai 2020 fait clairement état d’une augmentation constante des cas et de Districts de santé (DS) en épidémie. Environ 3000 cas de rougeole notifiés pour 1257 confirmés, et déjà 78 DS santé sur les 180 que compte le Cameroun touchés dans neuf régions. Ce sont l’Adamaoua, le Centre, l’Est, l’Extrême-Nord, le Littoral, le Nord, l’Ouest, le Sud et le Sud-Ouest.

Seule la région du Nord-Ouest n’avait pas notifié de cas, d’après nos informations. De sources crédibles au PEV, celles les plus touchées sont le Sud, l’Est, l’Extrême-Nord, le Nord et Centre. Effacée donc des radars par la pandémie de Covid-19, l’épidémie de rougeole continue de tuer de nombreux d’enfants. Ainsi, 11 décès ont déjà été recensés. Soit quatre à Kribi, deux à Gashiga et Kolofata, un respectivement à Betaré-Oya, Awae et Ngaoundal. Le taux de létalité lui, est de 0,93%.

En réalité, cette maladie connait une courbe ascendante au Cameroun.  Au mois de juillet 2019 par exemple, le compteur affichait 1065 cas de rougeole détectés au Cameroun en 2019 et cinq décès. Deux mois plus tard, l’on dénombrait 1224 malades. En novembre, c’est 2236 cas qui ont été enregistrés, avec six décès. En janvier 2020, l’épidémie de rougeole avait été confirmée dans 48 DS et 42 cas avaient été confirmés.

Défaut de vaccination

Pour les responsables du PEV, cette hausse se justifie par le fait que les enfants ne sont pas suffisamment vaccinés. En effet, 50% des cas sont des enfants de 9 à 59 mois tandis que 74% des cas confirmés ne sont pas vaccinés. « Ce qui fait que nous n’avons pas une couverture globale », regrette le Dr Mboke Ekoum Eric, Chef d’unité surveillance des maladies évitables par la vaccination et Mapi au PEV. Et ce dernier d’expliquer : « Quand le système de vaccination marche, c’est la rougeole qui va vous le dire. Surtout qu’avec la rougeole, il y a une notion d’immunité collective. Le pays s’est donc retrouvé dans ce cercle où on n’a pas pu avoir une immunité collective assez consistante. C’est ce qui fait que maintenant, on a une récurrence des cas ».

C’est depuis 2008 que la population se fait de moins en moins vacciner contre la rougeole. Raison pour laquelle la couverture vaccinale demeure insuffisante. Elle est en deçà des 90% fixés, d’après les résultats de la dernière campagne nationale de vaccination organisée du 4 au 8 décembre 2019 sur l’étendue du territoire.

Responsabilités

Selon les responsables du PEV, les responsabilités de cette hausse sont partagées. Ces derniers soutiennent que l’offre de service est disponible dans les Formations sanitaires (Fosa) et à la portée des populations. Cependant, ils reconnaissent qu’« à un niveau, elle n’est pas suffisante ». En réalité, même si la consigne est que les séances de vaccination soient faites de manières quotidiennes dans ces Fosa, malheureusement, « toutes les formations sanitaires ne sont pas suffisamment fournies en chaîne de froid qui permet de conserver ces vaccins là pour que chaque fois que l’enfant arrive, qu’il puisse être vacciné », déplore le Dr Mboké Ekoum Eric.

Mais ce n’est pas tout. « En dehors de cela, il y a des réticences de la part des parents malgré les informations mises à leur disposition. Il y a aussi des négligences ou encore les parents qui n’amènent pas leurs enfants à la vaccination parce qu’ils vont se dire telle ou telle chose », fait savoir ce dernier.

Covid-19 en trouble fête 

La situation est davantage rendue délicate du fait de la pandémie au nouveau coronavirus. Laquelle met à mal les activités de surveillance et de vaccination. En effet, les équipes disponibles engagées dans la riposte au Covid-19 sont « très sollicitées » et ne « remontent pas les données au niveau requis », regrettent le Dr Mboke Ekoum. D’où la mise sur pied d’une stratégie spécifique pour continuer à la surveiller. « Ce que nous avons entrepris c’est qu’on leur a dit qu’en effectuant des descentes sur le terrain pour le Covid-19, qu’ils essaient de s’enquérir de l’état de santé des enfants autour. C’est-à-dire si l’un d’entre eux présente le nez qui coule, les boutons, les yeux jaunes, etc », explique le Chef d’unité surveillance des maladies évitables par la vaccination et Mapi.

Aussi, face aux campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux qui ne militent pas en faveur de la vaccination, et empêchent les parents de faire vacciner leurs enfants « le programme (PEV: Ndlr) a mis sur pied des mécanismes de communication pour pouvoir permettre aux parents d’amener leurs enfants à la vaccination ». Mais, « Il importe donc pendant que la routine est renforcée, de renforcer aussi la gestion de ces rumeurs à travers une communication adaptée », plaide une source à la cellule de communication du PEV

Suspension des campagnes de vaccination

La rougeole, 10 fois plus contagieuse que le Covid-19, se répand comme une traînée de poudre. Pourtant, la panique engendrée par la pandémie de Covid-19 a conduit à la suspension des campagnes de vaccination contre la rougeole, la fièvre jaune ou la polio dans le monde. En effet, le 26 mars dernier, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) a également préconisé une « suspension temporaire » de la vaccination contre toutes les autres maladies, comme la fièvre jaune, la diphtérie ou la rougeole.

En fait, l’OMS considère que la distanciation sociale nécessaire à l’endiguement du Covid-19 est incompatible avec la distribution des vaccins dans les villages. Raison pour laquelle des campagnes de vaccination contre la rougeole ont déjà été reportées dans 24 pays. D’autres prévues plus tard en 2020 dans 13 pays risquent également de ne pas avoir lieu, alerte de son côté le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).

C’est que, les campagnes de vaccinations et l’accès aux soins sont affectés par les mesures de prévention du COVID-19. Ce qui fait que le risque est grand de voir la rougeole et d’autres maladies mortelles s’étendre et faire davantage de victimes. « Si les efforts ne sont centrés que sur le Covid-19, d’autres crises majeures sont à venir », avertit Emmanuel Lampaert, coordinateur des opérations MSF pour la RDC. L’OMS préconise cependant la poursuite de la vaccination dans les centres de soins et les hôpitaux.  Au Cameroun, « Il est question de nous focaliser sur nos cibles, de les vacciner, de monitorer, de rechercher les perdus de vues et de les rattraper », informe-t-on à la cellule de communication.

La rougeole, porte d’entrée du coronavirus

En 2018, 10 millions de personnes ont été touchées par la rougeole dans le monde, entraînant 140.000 décès, soit une hausse de 58 % par rapport à 2016. Alors que le taux de mortalité de la rougeole est habituellement de 3 à 6 % (déjà près de 10 fois supérieur à celui du Covid-19), il peut atteindre 30 % dans certaines régions en raison de la malnutrition et des carences en vitamine A.

Pire, on a récemment découvert que la rougeole “détruisait le système immunitaire”, laissant ainsi la porte ouverte à d’autres maladies comme le Covid-19. En rappel, la rougeole se propage dans l’air par les gouttelettes respiratoires produites par la toux ou les éternuements d’un individu malade. Les symptômes n’apparaissent pas avant 10 à 14 jours après exposition. Ils se manifestent par de la toux, le nez qui coule, les yeux enflammés, des maux de gorge, de la fièvre et une peau rouge couverte de taches.

 

Encadré

117 millions d’enfants exposés à la rougeole

Alors que le Covid-19 continue de se répandre dans le monde, plus de 117 millions d’enfants dans 37 pays (dont beaucoup vivent dans des régions où des flambées de rougeole sont en cours) risquent de ne pas recevoir le vaccin contre la rougeole. Les campagnes de vaccination contre cette maladie qui pourrait leur sauver la vie ont été reportées dans 24 pays. « Ce chiffre stupéfiant n’inclut pas le nombre de nourrissons qui pourraient ne pas être vaccinés en raison de l’effet du Covid-19 sur les services de vaccination de routine », ont déclaré en avril 2020 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) dans un communiqué.

Plus grave. « Les enfants de moins de 12 mois sont plus susceptibles de mourir des complications de la rougeole, et si la circulation du virus de la rougeole n’est pas arrêtée, leur risque d’exposition à la rougeole augmentera chaque jour », ont mis en garde les deux agences partenaires de l’Initiative contre la rougeole et la rubéole (M&RI) dont font également partie la Croix-Rouge américaine, le Centre américain pour la prévention et le contrôle des maladies (CDC) ainsi que la Fondation des Nations Unies.

Au Cameroun, « l’analyse n’a pas encore été désagrégée au niveau pays par le PEV », indique une source au PEV. L’Unicef et l’OMS font valoir qu’il importe de défendre les efforts visant à protéger les services de vaccination essentiels, aujourd’hui et à l’avenir. La déclaration rappelle que les partenaires de l’Initiative appuient les directives de l’OMS recommandant aux gouvernements d’interrompre temporairement les campagnes de vaccination préventive lorsqu’il n’y a pas de flambée active d’une maladie évitable par la vaccination.

Pour les deux organisations, s’il faut protéger les communautés et les travailleurs de la santé, les enfants ne doivent en aucun cas être laissés pour compte. « Si le choix difficile d’interrompre la vaccination est fait en raison de la propagation du Covid-19, nous demandons instamment aux dirigeants d’intensifier leurs efforts pour suivre les enfants non vaccinés, afin que les populations les plus vulnérables puissent recevoir des vaccins contre la rougeole dès que cela sera possible », ajoute le document.

Aussi, « Nous appelons les pays et les dirigeants locaux à mettre en œuvre des stratégies de communication efficaces pour faire participer les communautés, garantir que l’offre et la demande de vaccination restent fortes et contribuer à assurer une vie saine à chaque enfant, en particulier dans ce contexte difficile », concluent-elles.

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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