(L’urgentiste.com)– L’Epervier se saisira-t-il du dossier Covidgate cette année 2022 ? Cette question lancinante taraude les esprits, malgré la fièvre et l’effervescence actuelle de la CAN TotalEnergies 2021. C’est que, dans son traditionnel message à la nation le 31 décembre 2021, Paul Biya a mis en garde les contrevenants à la bonne gouvernance et la gestion de la fortune publique. « Tous ceux qui se rendent coupables de malversations financières ou d’enrichissement illicite, en assumeront les conséquences devant les juridictions compétentes », a prévenu le chef de l’Etat.
Pour une frange des acteurs de la classe politique et médicale interrogés, il ne fait aucun doute que la gestion indélicate des 180 milliards de FCFA dédiés à la lutte contre le Covid-19 fait partie des dossiers visés par les propos du chef de l’Etat. « Le Covidgate est sans doute parmi les dossiers visés », avance Georges Alain Boyomo, directeur de publication du quotidien privé Mutations. Le Pr Olivier Bilé, président du parti Les Libérateurs, lui, est formel. « Du point de vue des malversations financières accomplies ces derniers temps sur les ressources de l’Etat du Cameroun, il y a bien Covidgate. C’est un dossier qui ne peut pas échapper à la justice camerounaise. C’est impossible », soutient l’enseignant d’universités.
En effet, « La gestion des fonds Covid a révélé des malversations qui peuvent intéresser la justice », renchérit Engelbert Alain Essomba Bengono, député RDPC et vice-président de la Commission Santé à l’Assemblée nationale. Même si pour lui comme pour les autres, ce dossier n’est pas le seul que l’on peut mettre en relief. A côté, il y a aussi l’épineuse affaire des milliards alloués à la construction des infrastructures de la 33e édition de la CAN baptisée « CanGate ».
Bémol
Pour ces acteurs, le Covidgate et la CanGate sont les deux derniers scandales majeurs du pays ces derniers temps. « Les liaisons entre la Covidgate et les “glissements” de la CAN pourraient être jumelés », soutient William Bayiha, militant du PCRN et conseiller à la Communication de Cabral Libii, président de ce parti politique de l’opposition. Toutefois, « Il faut quand même considérer que Covidgate c’est énorme ; c’est quand même une investigation extrêmement importante qui a été menée au niveau de la Chambre des comptes », martèle le Pr Bilé.
Un avis que ne partage pas Jean-Bruno Tagne. « Je ne suis pas sûr que le Président de la République parlait spécifiquement du Covidgate. Personne ne peut savoir. Il est le seul à avoir l’agenda de ce qu’il a envie de faire », affirme le Directeur de Naja TV. Pour lui, « ça peut aussi juste être des effets d’annonce ». En tout cas, « les éléments de mauvaise gestion des fonds Covid-19 qui intéressent la justice seront identifiés et l’information judiciaire se mettra en place », indique le député RDPC. Parce que, « la volonté politique doit être suivie de preuves indiscutables, irréfutables, complètes et suffisantes », argumente le député Essomba Bengono.
Enquêtes préliminaires
A ce titre, des enquêtes préliminaires ont été ouvertes, dans le respect de la présomption d’innocence. Des ministres et certains de leurs collaborateurs ont déjà été entendus. De sources judiciaires, la gestion de ces fonds fait l’objet d’une enquête policière menée par le corps des Officiers de polices judiciaires (OPJ) du TCS depuis mars 2021, à la demande du Président de la République. A en croire nos sources, le rapport de la Chambre des Compte avait été transmis à Laurent Esso, ministre de la Justice (Minjustice) peu après son adoption. « Cette transmission vaut plainte pour le compte de l’Etat », explique Christophe Bobiokono, directeur de publication de Kalara, média spécialisé en information judiciaire. Mais pour l’instant, l’on ignore si le Minjustice a transmis ce rapport au Procureur Général près le TCS. En tout cas, ce qui est désormais certain à la lumière de la sortie présidentielle, c’est que s’il y a matière, des poursuites judiciaires seront engagées contre les coupables.
Si certaines de ces personnes suspectées ne peuvent pas être inculpées pour le moment car encore membre du gouvernement, l’après CAN TotalEnergies 2021 reste très attendu pour avoir le fin mot du début véritable de l’acte 5 de cette Opération Epervier. « Je ne doute pas qu’après la CAN, de nombreux dossiers en instruction depuis de nombreuses semaines vont connaître une accélération. En particulier sur le Covidgate où plusieurs hauts responsables du gouvernement mais aussi de l’administration sont extrêmement impliqués », pense le chercheur en épistémologie appliquée à la santé William Bayiha.
Hypothèses
Depuis le début des accusations de malversations financières liées à ce dossier, l’opinion nationale et les acteurs politiques de l’opposition n’ont eu de cesse de réclamer à cor et à cri des procédures judiciaires à l’encontre des présumés auteurs et complices. « En homme politique, Paul Biya va décider, à mon avis, quel est le dossier qui va apporter le plus l’adhésion de l’opinion public et l’activer », analyse le porte-parole de Cabral Libii. Ce dernier avance même deux hypothèses : « Si les Lions sont éliminés précocement, ce sera les détournements autour des stades. Si la victoire est au bout, ce sera la Covid. Mais il y aura d’importantes poursuites judiciaires, sauf coup du sort ».
Quoi qu’il en soit, « Si le chef de l’Etat maintenait les propos tenus dans son message de fin d’année, les acteurs du Covidgate ne peuvent objectivement pas échapper à une opération d’incarcération des coupables de tous les délits que chacun a pu enregistrer du côté des ressources que l’Etat du Cameroun a engrangé à ces fonds covid », fait savoir le Pr Olivier Bilé. En rappel, cette lutte contre les détournements des deniers publics a déjà embastillé plusieurs membres du gouvernement et d’autres dirigeants d’entreprises étatiques. « Il est certain que ça va être difficile pour les acteurs de ces deux grands scandales qui ont beaucoup coûté au contribuable camerounais, après les annonces du Président de la République », dixit l’enseignant d’université.
Irrégularités
A noter que le rapport d’audit de la Chambre des comptes confirme que la gestion de ces fonds a été entachée d’irrégularités. Il épingle de nombreux responsables gouvernementaux et administratifs issus du Minsanté, du Minresi et du Minat. Entre autres griefs, le gendarme des comptes publics au Cameroun relève des cas de conflits d’intérêt dans l’attribution des marchés au Minsanté, des doubles paiements des marchés, des détournements de fonds, des stocks de médicaments et surtout des cas de surfacturation. Notamment la surfacturation des opérations d’achat de 1 400 000 tests de Covid-19 à hauteur de 15,3 milliards de FCFA, réalisés par l’entreprise Mediline Medical Cameroon SA, principal attributaire des marchés des tests de dépistage. A ce propos, l’audit de la CCC va jusqu’à engager la responsabilité du ministre Manaouda Malachie dans cette affaire.