Covidgate. Ce que la Chambre des comptes reproche à Manaouda Malachie

Olive Atangana
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Manaouda Malachie, devant les députés hier à l'Assemblée nationale.

 

On en sait un peu plus sur le premier rapport d’audit du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus et ses répercussions économiques et sociales au Cameroun. Le document rédigé par la Chambre des Comptes de la Cour suprême devait être présenté le 25 juin dernier à l’Assemblée nationale. Mais, la séance plénière programmée à cet effet a finalement été annulée. Selon la synthèse de ce rapport dont l’Urgentiste.com a eu copie, les enquêteurs resserrent leurs investigations autour de trois ministères : le ministère des Finances, celui de la Recherche scientifique et de l’Innovation et le ministère de la Santé publique.

Dans ce document datant « Juin 2021 », les enquêteurs épinglent en réalité certains responsables impliqués dans la gestion des ressources financières allouées à la lutte contre le Covid-19. Dans le cas du ministre de la Santé, Manaouda Malachie, la Chambre des Comptes dénonce d’emblée une absence de contrôles préjudiciables à la bonne exécution des marchés. Dans ce registre, la Chambre des Comptes relève la mise à l’écart des comptables matières « susceptible de faciliter les détournements » et l’absence de visa du contrôleur financier de ces marchés au Minsanté. « Si bien que le total des engagements de crédits du Minsanté pour 2020 s’est élevé à 81,8 milliards de Fcfa, en dépassement de 31,6 milliards de Fcfa ».

Le cas Mediline Medical

En fait, « des cas avérés de mauvaises pratiques et de détournements » ont été recensés. A ce sujet, le Chambre des Comptes dénonce une surfacturation de 15,3 milliards de Fcfa au profit de la société Mediline Medical Cameroon SA, principal attributaire des marchés des tests de dépistage (et son intermédiaire Moda Holding Hong Kong). Cette « entreprise inexpérimentée » sur laquelle le Minsanté a pourtant porté son choix, « au détriment des sociétés locales qualifiées » a curieusement continué de pratiquer des prix bien supérieurs et « déconnectés des prix du fabricant et ceux sur le marché international ».

Sur ce point, les enquêteurs de la Chambre des comptes engagent la responsabilité de Manaouda Malachie. « Bien qu’il ne soit pas signataire des marchés d’acquisition des tests de dépistage et eu égard aux montants en jeu (25 milliards de Fcfa ; Ndlr), il est peu vraisemblable que le ministre de la Santé publique ait pu être tenu dans l’ignorance et à l’écart des manœuvres tendant à facturer les tests de dépistage à un prix déconnectés de la réalité du marché », charge le rapport. Les limiers de la Cour suprême incriminent aussi le Minsanté dans des engagements de dépense fait sans connaissance des lignes budgétaires du compte d’affectation spéciale.

Il s’agit notamment de celles relatives aux tests de dépistage (25,7 milliards de FCFA) à l’entreprise Mediline Medical, aux équipements de protection individuelle (26,78 milliards) et aux équipements médicaux (11,77 milliards). C’est que, ces marchés ont été passés alors que le décret du 22 juillet 2020 définissant les activités du programme « Renforcement du système sanitaire » et répartissant les fonds qui leur ont été alloués n’était pas encore connu.

Double paiement

La Chambre des Comptes accable par ailleurs le Minsanté des faits de doubles paiements de certains marchés générant un préjudice de 708,4 millions de Fcfa à l’Etat camerounais. Notamment celui de la construction du poste de santé de l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen dont les travaux ont été confiés à l’établissement Global Construction pour un montant initial de 216,28 millions de FCFA. Au bout du compte la construction de ce poste de santé « a donné lieu à des paiements non justifié pour un total de 259,85 millions de FCFA », conclut la Chambre.

Des irrégularités sont également relevées dans les travaux d’aménagement des unités de prise en charge des patients atteints de Covid-19. «Au total la Chambre constate que trois marchés spéciaux ont été réceptionnés et payés entre avril et octobre 2020 pour un montant de 1,25 milliards de FCFA alors que les prestations étaient inachevées à la date du 31 décembre 2020 », déplore le rapport. Parmi ces marchés on peut citer celui du poste de santé de l’aéroport de Yaoundé-Nsimalen, la réhabilitation du pavillon de neurologie et l’extension du pavillon Lagarde de l’hôpital central de Yaoundé.

Les marchés des équipements des patients atteints de Covid-19 illustrent par exemple « ces dérives ». En effet, « Alors que le Minsanté avait présélectionné 303 prestataires par décision du 29 mai 2020, 96 fournisseurs non présélectionnés ont été attributaires de ces marchés ». Parmi eux, quatre sociétés qui ont été attributaires de marchés pour un total de 2,068 milliards de Fcfa « quelques jours seulement après leur immatriculation » au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier (Rccm).

Curiosités

Pour l’hygiène et l’assainissement des milieux ouverts au public dans la ville de Yaoundé, les marchés ont été attribués à hauteur de 157 millions de Fcfa « sans mise en concurrence, aux ETS African Distribution Company ». Une société créée le 14 février 2020 et « sans expérience des métiers de l’hygiène et de l’assainissement ». Dans sa synthèse, la Chambre des Comptes relève que « ce choix qui semble peu pertinent n’a pas été de nature à garantir une qualité de service optimale de la prestation, notamment en raison de l’inexpérience des personnels ».

Autre curiosité et pas des moindres, la ville de Yaoundé a bénéficié de 157 millions de Fcfa pour la gestion de l’hygiène et de l’assainissement des milieux ouverts au public tandis que le reste du territoire a dû se contenter de 49,5 millions de Fcfa. Un écart qui n’a pas été justifié « par des critères objectifs, alors que les résultats de cette activité sont difficiles à évaluer parce que les chiffres bruts produits sur le nombre de lieux désinfectés ne sont pas mis en relation avec les besoins à couvrir », regrette la synthèse.

Micmacs

Selon la chambre des comptes, la gestion des médicaments a été incertaine. Pour preuve, « Le Minsanté a passé 4 marchés de médicaments pour un montant de 536 millions de Fcfa mais n’a pas été en mesure d’indiquer à la chambre des comptes où ils avaient été stockés ni quel avait été leur usage », dénoncent les enquêteurs. Plus grave à leurs yeux, « Ils n’ont pas fait l’objet d’enregistrement en comptabilité matière, de sorte que la Chambre des Comptes estime que le risque de détournement est très élevé ».

La vente controversée de 15 mille tests de dépistage rapide Covid-19 pour 288 millions de Fcfa par le Minat au Minsanté n’est pas en reste. Et même si cette somme a été reversée dans le compte BGFI du Minsanté le 2 juin 2020 sur instruction de Joseph Dion Ngute, la Chambre constate « qu’en l’absence de prise en compte du reversement dans le livre journal banque du Minsanté, il subsiste un risque que la somme de 288 000 000 de Fcfa fasse l’objet d’une appropriation privée ».

Statistiques peu fiables

La gestion opérationnelle de la pandémie a aussi fait l’objet d’une étude minutieuse des enquêteurs. Ainsi, ils y ont décelé une insuffisante fiabilité de l’information statistique concernant le suivi de la pandémie, avec l’absence d’une procédure de contrôle et de validation des données collectées sur l’évolution de ce virus mortel. Ce qui fait que,« La faible qualité de l’information comptable et statistique a handicapé les autorités dans le pilotage de la riposte à la pandémie ». Toutefois, « en dépit des fragilités du suivi statistique, il apparait que le système hospitalier a su faire face au flux des patients en 2020 ».

14 procédures judiciaires en vue

En tout cas, la Chambre des Comptes a décidé d’ouvrir 14 procédures pour faute de gestion et de transmettre au ministre de la Justice 12 dossiers susceptibles de revêtir une qualification pénale. Des 30 recommandations faites au Premier ministre et à trois autres ministères, celui de la Santé récolté à lui seul, 16. A noter qu’au terme de ses travaux, la Chambre des Comptes a fait six principaux constats. Ce sont notamment la gestion incertaine des médicaments, la faiblesse du pilotage stratégique, tant du Fonds spécial de solidarité nationale que de la riposte sanitaire mise en place par le Minsanté, largement liée à un défaut d’évaluation des activités, des cas emblématiques d’activités à faible efficacité et de mauvaises pratiques identifiées.

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Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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