Covid-19. Des familles de patients contraintes de payer des factures de prise en charge

(Lurgentiste.com)- Hôpital Central de Yaoundé le 20 septembre 2021. Nous sommes au Pavillon Lagarde, bâtiment abritant les malades atteints de Covid-19. Dans le long couloir arrière, nous croisons François. Le jeune homme a le pas alerte. Une ordonnance à la main, il doit rapidement trouver l’un des médicaments que vient de lui prescrire un médecin pour sa maman dépisté de Covid-19 positif quelques heures plutôt et internée. Il s’agit d’Enoxa 8000 UI, un médicament souvent utilisé comme anticoagulant d’après un médecin. « La pharmacie de l’hôpital est un peu plus chère et nous sommes obligés d’aller en pharmacie d’officine », explique François. C’est la 3e ordonnance en réalité qui est servit à sa famille, nous apprend-il.

Avant celle-ci, il y a eu deux premières où il était prescrit entre autres, un perfuseur, un cathéter, des gangs de soin, des boites d’Omeprazole injectable, Artesunate injectable, Azythromycine, Fleming, Colchicine, deux boites de Perfolgan, de Solumedrol, et des masques haute concentration. « Nous sommes à plus de 150 mille Fcfa de dépenses en quelques heures pour les médicaments, sans compter qu’il faut aussi payer les frais d’hospitalisation », confie François. Comme lui, tous les patients rencontrés infectés et internés en ces lieux disent payer les factures relatives à leur prise en charge thérapeutiques et hospitalière. Selon certains médecins, ce protocole couterait entre 800 mille Fcfa et 1 million 200 Fcfa.

Sollicité, l’un des responsables de cette formation sanitaire publique (Fosa) explique cette situation se justifie par le fait que l’HCY n’hospitalise que des cas sévères de Covid-19 dont le traitement ne se fait pas avec le protocole national. « Quand vous avez 40 malades hospitalisés qui n’ont que les formes sévères, ce n’est pas avec le protocole national qu’il faut les soigner », argue un responsable du staff. En effet, ce patient nécessite d’autres examens complémentaires, des médicaments en fonction des comorbidités dont il souffre. « Un patient intubé coûte des centaines de milliers de Fcfa par jour. Rares sont ceux qui en réanimation coutent moins que ça par jour », poursuit notre source. En outre, avec le variant Delta, les formes sévères de Covid-19 « sont plus complexes et chères que les précédentes vagues », précise-t-elle.

Gratuité à géométrie variable

A Douala, nos sources de l’hôpital général font savoir que « tout est gratuit (Antigène Covid, PCR Covid, médicament du protocole de prise en charge). C’est seulement lorsqu’il y a des complications ou des comorbidités que ça nécessite des examens supplémentaires et des traitements additionnels qui sont eux, payants ». Son de cloche similaire à l’hôpital Laquintinie de Douala. Selon le Pr Noël Emmanuel Essomba, son Directeur, les fonds Covid-19 dont bénéficie l’hôpital chaque mois garantissent la prise en charge non payante des patients. « Tout est gratuit, jusqu’aux repas et l’oxygène », assure ce dernier. Et d’ajouter : « Ce qui coûte à l’hôpital Laquintinie et que nous supportons ce sont les hospitalisations ». D’après ses explications, c’est 23 chambres qui coûtent entre 3 à 4000 Fcfa.

A l’hôpital régional de Ngaoundéré dans l’Adamaoua et celui de Bafoussam à l’Ouest, c’est aussi la gratuité qui prévaut à en croire nos sources. Cependant, « Lorsque les produits prescrits ne sont pas disponibles à l’hôpital, on donne une ordonnance à la famille qui achète ces médicaments dans une pharmacie de la ville », précise l’une de nos sources. En effet, selon d’autres sources médicales, la gratuité varie beaucoup d’une formation sanitaire publique à une autre, surtout au niveau des médicaments. D’ailleurs, elle ne s’applique pas aux médicaments pour la prise en charge des comorbidités et anticoagulants.

« La prise en charge du traitement contre Covid-19 n’est plus gratuite au Cameroun depuis plusieurs semaines », affirme l’un des acteurs impliqués dans la riposte nationale en service au Minsanté. En effet, les patients atteints du Covid-10 sont désormais contraints de payer la facture de leur prise en charge. Notamment pour ce qui est des médicaments, des examens médicaux et des frais d’hospitalisation. Les montants déboursés varient selon les cas et en fonction des comorbidités dont souffre le patient (diabète, hypertension artérielle, insuffisance rénale, malformation cardiaque, etc). « Les médicaments sont à la charge du patient et c’est extrêmement lourd », confirme notre source médicale à l’hôpital Central. A en croire d’autres sources médicales, seuls les tests de dépistage et l’oxygène sont encore « pour le moment », gratuits.

Embarras

Au ministère de la Santé publique (Minsanté), le sujet embarrasse. Certains responsables contactés n’ont pas souhaité s‘exprimer sur la question. Mais à date, il n’y a aucune note officielle qui atteste de la fin de la gratuité de cette prise en charge thérapeutique et hospitalière des patients atteints de Covid-19. Elle avait été décrétée par le chef de l’Etat Paul Biya dès le début de la pandémie au Cameroun. Les patients internés ne déboursaient que pour des médicaments dont ne disposait pas l’hôpital ou en cas de comorbidités. Tout était alors gratuit de la literie aux repas, en passant par l’oxygène et les hospitalisations.

Le casse-tête… Oxygène

Pour un haut cadre au Minsanté, le fait pour le Cameroun d’avoir instauré la gratuité de cette prise en charge n’était pas réaliste. « Pour faire la gratuité, il faut quantifier les intrants, voir ce que cela coûte et octroyer la dotation en médicaments aux responsables des centres de prise en charge. C’est tout une machine. Quand vous ne l’avez pas et que vous décrétez la gratuité, vous courez à la catastrophe…», soutient ce dernier. Selon un ancien responsable hospitalier, cette gratuité de la prise en charge du Covid-19 est d’autant plus une erreur dans la mesure où elle n’a pas tenu compte de la réalité hospitalière camerounaise. Plus grave, elle asphyxie les hôpitaux.

Par exemple, l’épineux problème de la disponibilité de l’oxygène dans ces formations sanitaires est un casse-tête permanent et une « grosse » poche de dépense journalière pour chaque responsable. « Rien qu’une bonbonne d’oxygène qui coûte 250 mille Fcfa et que les gens consomment en 6h vous coûtera combien en une semaine. Des malades sont morts de Covid-19 après avoir consommé 1 million 200 Fcfa d’oxygène. Et c’est à l’hôpital de payer cela avec des ressources financières qu’il n’arrive même pas à recouvrer », dit notre source médicale. Courroucée. A en croire certains responsables d’hôpitaux interrogés, les dettes en oxygène peuvent s’élever à plus de 250 millions, du fait de la gratuité des soins.

Nos sources à Yaoundé confient que la commande d’oxygène de l’hôpital Central à la société FME-Gaz (société industrielle spécialisée dans la production et distribution de gaz industriels et d’oxygène médical) est d’environ 2 millions de Fcfa par jour. 20 jours d’oxygène à l’hôpital Général de Yaoundé (HGY) coûtent 3 millions de Fcfa. Conclusion, « C’est irréaliste d’instaurer la gratuité si vous n’avez pas les mesures d’accompagnement », fait savoir un directeur d’hôpital public. En fait, « Peut-être comme l’Etat a dépensé de l’argent pour les vaccins, il s’est dit qu’il ne dépense plus pour les soins. Surtout que les populations ne veulent pas se faire vacciner », tente d’expliquer une autre source médicale.

Dysfonctionnement

Au-delà du fait que certains hôpitaux ne respectent plus totalement la gratuité de la PEC, l’ensemble du dispositif déployé par les pouvoirs publics pour lutter contre le virus mortel suscite un questionnement profond. Le tableau dressé par ces acteurs de différents bord est plutôt sombre et la litanie des couacs sans fin. Par exemple, « Les nouvelles directives n’ont pas été renouvelées ni les protocoles sanitaires. Il n’y a pas de surveillance génomique au quotidien, plus de dépistage de masse, plus d’équipes d’intervention rapide sur le terrain, avec pour couronner le tout, une vaccination qui ne marche pas, une mauvaise communication qui n’entraine pas le changement des comportements des populations », liste l’un d’eux.

Les tests de dépistage ne sont pas en reste. « Il y a une arnaque reconnue et officielle de faux tests dans les aéroports. On retarde la délivrance du test du voyageur et à la fin, on leur demande de débourser 50 à 60 mille pour un faux test à l’aéroport », dénonce à regret cet épidémiologiste. Ce n’est pas tout. Des pénuries d’oxygène commencent à être signalée dans certains hôpitaux. « Les plus grandes tensions viendront de là », soutient notre source médicale. Et pour ne rien arranger, « La tension sera nationale puisque les cas augmentent », prévient ce dernier. Fort heureusement, le Président de la République vient de décider de l’acquisition de 34 mille bouteilles d’oxygène pour les grands centres de traitement Covid-19.

Quoi qu’il en soit, « Nous avons l’impression qu’on a livré les camerounais à eux même alors qu’il y a un nouveau variant en circulation et qui fait de nombreux cas graves. Pire, le nombre de cas sur la vaccination augmente. Les vaccins actuels n’ont que très peu d’effets sur ce variant Delta », s’inquiète un spécialiste de santé publique. En rappel, au 13 octobre 2021, le pays comptait 99 mille 530 mille cas positifs et 1593 décès, contre 96 mille 430 cas positifs et 1539 décès le 6 octobre ; 93 mille 303 cas positifs et 1484 décès au 29 septembre ; 89 mille 278 cas et 1469 décès au 22 septembre.

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Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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