«C’est utile de vacciner les personnes qui ne sont pas encore en contact avec l’agent viral»

Olive Atangana
15 Min Read

Au Cameroun, le vaccin contre le virus du papillome humain (VPH) continu de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Nous avons donné la parole à une spécialiste à ce propos. Lire l’interview du Dr Etienne Atenguene, Oncologue médical à l’hôpital général de Yaoundé (HGY).

 

Quelle peut être l’efficacité du vaccin contre le virus du cancer du col de l’utérus ?

Il faut d’entrée de jeu dire que la vaccination dont il est question n’est pas une vaccination anticancéreuse.  C’est une vaccination anti-infectieuse et cette vaccination confère l’immunité contre un agent viral qui est le virus du papillome humain. C’est un virus qui est définit comme ubiquitaire, un virus à ADN qui est disponible dans une famille qui contient plusieurs sous-types. Il y a plus de 100 sous-types différents de virus du papillome humain et dans les plus de 100 sous-types différents, on a au moins 30 qui sont pathogènes pour l’homme. Ils sont regroupés en deux sous-groupes : le sous-groupe de virus de bas grade qui cause des papillomes génitaux ou non et le sous-groupe de haut grade et c’est celui-ci qui est responsable du cancer du col de l’utérus. Mais il n’y a pas que les cancers du col de l’utérus qui sont causés par cet agent viral. Il y a aussi les cancers de la vulve, du vagin, de l’anus, du pénis, certains des voies aéro-digestives supérieurs et ceux de la gorge. Et la liste n’est pas exhaustive parce qu’on continue à découvrir des cancers dont le risque est augmenté par cet agent viral. Et donc, la vaccination contre le virus du papillome humain est un procédé de prévention primaire qui consiste à éviter le contact entre l’hôte et l’agent cancérigène. C’est ça le rôle du vaccin. Il permet pour le sous-type contre lequel on est vacciné, d’éviter qu’il y ait contact entre la personne vaccinée et le sous type viral ciblé.

Quel est le pourcentage d’immunité contre cet agent viral que confère la vaccination dans ce cas précis ?

Sur les études faites jusqu’ici, le vaccin confère l’immunité totale contre les souches virales pour lesquelles la personne a été vaccinée et le vaccin qui est proposé actuellement au Cameroun est un vaccin qui couvre quatre sous-types : 6, 11, 16 et 18. Ce virus est tellement répandu et il y a plusieurs sous-types dans cet ensemble viral. Et ces sous-types sont numérotés selon leurs caractéristiques. Pour les reconnaître, ils sont numérotés par les scientifiques et les sous-types les plus répandu, ceux qui sont responsables des principales affections chez l’homme sont ceux-là. C’est contre ces quatre sous-types là que le vaccin proposé actuellement protège. il va sans dire que la vaccination contre le virus du papillome humain protège aussi éventuellement contre les cancers de l’anus, du pénis, du vagin, de la vulve et les autres vaccins cités plus haut.

Certes ça ne concerne pas que le cancer du col de l’utérus mais sauf que dans ce cas spécifique, c’est contre celui-ci que l’on veut lutter à travers cette campagne vaccination prochaine…

La cible ici c’est le cancer du col de l’utérus parce que ce cancer constitue une menace de santé publique. C’est le 2e cancer de la femme, et les autres cancers sont certes causés par le virus du papillome humain mais ils restent cependant d’incidence marginale. Leur nombre est faible par rapport au cancer du col. C’est pourquoi la vaccination aura plus d’effet sur l’incidence des cancers du col de l’utérus et il va sans dire que la vaccination contre le virus du papillome humain protège aussi éventuellement contre les cancers de l’anus, du pénis, du vagin, de la vulve et les autres vaccins cités plus haut.

Ce vaccin contre le virus du papillome humain comporte-t-il néanmoins des dangers ?

Le vaccin est un médicament avant toute chose et tous les médicaments sont potentiellement responsables d’effets secondaires. Il n’est donc pas plus dangereux que les autres vaccins et peut aussi occasionner des effets secondaires qui sont minimes. Ceux qui ont déjà amené les enfants à la vacciner peuvent savoir. On peut avoir une rougeur, une douleur au point d’injection, une fièvre, des courbatures. Mais en dehors de ces effets secondaires qui sont minimes et passagers, aucun effet secondaire sérieux n’a été enregistré ici jusqu’à ce jour. Et tous ce qui est diffusé dans les réseaux sociaux n’est que fausses nouvelles.

Quel est le bien-fondé de ce vaccin pour cette tranche d’âge choisi spécifiquement ?

La tranche d’âge est choisie en fonction de la période à laquelle la vie sexuellement active commence. C’est utile de vacciner les personnes qui ne sont pas encore en contact avec l’agent viral. Et comme c’est un agent viral ubiquitaire c’est-à-dire qu’il est très répandu, c’est l’infection sexuellement transmissible la plus répandue dans le monde. On entre en contact avec cet agent viral dans les premières années de la vie sexuellement active et quasiment tous ceux qui auront un rapport sexuel ont déjà été en contact ou le seront avec cet agent viral. C’est pour ça que ce n’est pas utile de vacciner quand la vie sexuelle a déjà commencé parce qu’il y a une forte probabilité que la personne vaccinée ait déjà été en contact avec ce virus.

 

Vaccin« Si on est protégé contre le virus du papillome humain, on est potentiellement protégé contre le cancer du col de l’utérus ».

 

Peut-on affirmer aujourd’hui que le vaccin contre le VPH prévient contre le cancer du col de l’utérus ?

Si on est protégé contre le virus du papillome humain, sachant que ce virus est responsable de quasiment tous les cancers du col de l’utérus, on est potentiellement protégé contre le cancer du col de l’utérus. Mais il y a 30 sous types de ce vaccin-là, qui peuvent être responsables des pathologies humaines. Actuellement, les vaccins disponibles ne prennent en charge que quatre sous types. Ça veut dire que la vaccination est importante mais elle n’est pas encore la panacée. Cependant, elle permet de prendre en charge les principaux sous-types qui sont responsables des cancers du col chez la femme.

Les réticences des parents vis-à-vis de ce vaccin sont-elles compréhensibles et justifiées ?

A l’heure où les réseaux sociaux sont universellement utilisés, lorsqu’on diffuse les fausses nouvelles à travers ces réseaux sociaux, il est facile d’effrayer et de capter l’attention des personnes qui ne sont pas éduquées. Je pense que la fausse nouvelle a précédé la bonne nouvelle que devrait normalement apporter l’annonce de la vaccination. Mais je crois qu’avec le travail des professionnels de la santé et de l’information, ces idées préconçues et préjugés seront éliminées progressivement dans l’entendement de la population générale.

D’après vous, qu’est ce qui peut ou doit être fait pour amener la population à accepter ce vaccin contre le VPH ?

Il y a déjà l’information et il faut multiplier cette activité de journaliste que vous faites. Ensuite, des formations tout comme pour les autres affections qui ont largement bénéficié des compétences comme les grandes endémies ou pandémies telles que le VIH, le paludisme. On doit aussi former des personnels de santé pour leur permettre d’apporter la bonne nouvelle partout dans les communautés. Puis, il faut une évaluation. Malheureusement, le cancer du col de l’utérus peut prendre plusieurs années, voire des décennies à se forme entre le contact du virus du papillome humain et l’apparition des premiers symptômes. Ça fait que c’est souvent difficile d’évaluer une intervention de prévention. Donc, des études sérieuses doivent être mises en place pour évaluer à terme, l’impact de la vaccination que nous ferons au niveau de la population. C’est à ce prix-là que nous pourrons apporter des preuves de l’efficacité de la vaccination et ramener ceux qui sont encore sceptiques à l’hôpital.

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, qu’est-ce que le cancer du col de l’utérus

C’est un cancer qui se définit comme une prolifération anormale de cellules d’un organe ou d’une partie de notre corps. La particularité de cette prolifération cellulaire est qu’elle peut donner lieu à des tumeurs satellites. C’est-à-dire un cancer qui commence à un endroit X de l’organisme peu donner des atteintes proches ou à distance de la lésions primitives. Donc cette capacité de dissémination peut donner lieu à des complications qui sont souvent létales c’est-à-dire qui peuvent engager le pronostic vital. Le cancer du col est un tel type d’affection qui a son point de départ au niveau du col de l’utérus. Le col de l’utérus est la partie intravaginale de l’utérus, lui-même étant l’organe dans lequel se nide l’embryon pour former le fœtus et le futur bébé. Cette partie vaginale du col de l’utérus est exposée à des modifications qui la rendent au cours de la vie d’une femme, sensible à des cancérigènes comme le virus du papillome humain. C’est pour cela que nous avons un nombre important de cancer du col de l’utérus à la faveur de ces modifications physiologiques du col de l’utérus et la rencontre avec les agents cancérigènes tels que le virus du papillome humain.

Comment en arrive-t-on à en souffrir ?

Le Cancer du col de l’utérus vient du portage chronique du virus du papillome humain. Donc, quand on a l’a porté chroniquement, ce virus induit des modifications progressives, du col de l’utérus qui débouchent en quelques années voire plusieurs années, un cancer du col de l’utérus. Et la particularité du col de l’utérus c’est qu’il est essentiellement accessible à l’examen clinique et qu’on peut y faire des tests simples et efficaces qui permettent de reconnaître ces modifications avant qu’elles ne se transforment en cancer. Donc, le seul moyen d’éviter le cancer c’est de faire le dépistage et on recommande à chaque femme sexuellement active de faire le dépistage au moins tous les deux ans. Puis, la vaccination est une bonne arme mais elle n’est pas une panacée ; elle n’exclut pas de faire le dépistage soit par le frottis, soit par l’inspection visuelle à l’acide acétique et au glucole.

Quel est l’espérance de vie d’une femme atteinte du cancer du col de l’utérus ?

Ça dépend du stade auquel elle est arrivée. Le cancer du col de l’utérus peut être guéri quand on diagnostique tôt c’est-à-dire à un stade 1,2. La guérison est possible. Quand on le diagnostique à un stade avancé, c’est-à-dire stade 3 ou 4, ça devient un peu moins possible de guérir les patientes. A ce moment-là, nous utilisons des traitements pour contrôler la maladie que nous rendons chronique pour permettre à la personne de vivre, et de vivre bien selon la maladie.

Est-ce à ce moment-là qu’on parle de chimiothérapie, radiothérapie par exemple ?

On peut parler de la chimio en effet, de la radiothérapie et des procédures chirurgicales qu’on peut mettre en œuvre pour améliorer le confort vital de la personne malade.

A combien peut-on évaluer le traitement de cette maladie ?

Le traitement du cancer du col de l’utérus coûte cher encore au Cameroun. Il n’est pas supporté par la sécurité sociale et les patients payent tout de leurs poches. Il faut aller compter dans les 200-250 000 Fcfa tous les mois pour pouvoir vivre avec un cancer du col de l’utérus à un stade avancé. Mais lorsqu’on diagnostique précocement, il faut une chirurgie et c’est une chirurgie qui est lourde. Elle consiste à une ablation de l’utérus, des ovaires et un curage des ganglions abdominaux et pelviens. Cette intervention chirurgicale qui est très lourde peut couter plus d’un million de Fcfa et la radiothérapie peut aussi couter plus d’un million de Fcfa lorsqu’elle n’est pas subventionnée par l’Etat. Actuellement, l’Etat du Cameroun subventionne les radiothérapies des patientes qui sont payées 4-6 fois moins chères qu’elles ne devraient l’être normalement. Mais ça reste beaucoup trop chère pour le camerounais moyen.

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Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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