Le gouvernement reste muet sur le cas des 700 médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes en attente d’intégration depuis plus d’un an. La demande d’audience introduite le 2 août dernier par ces lauréats des facultés de médecine publiques de Yaoundé, Douala, Bamenda et Buea dans les services du Premier ministre est classée sans suite jusqu’à ce jour. Le même mutisme est observé chez les Ordres professionnels (Médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes) au sein desquels ces jeunes sont pour la majorité inscrits.
« Fuite en avant »
« Depuis le début ni l’Ordre des médecins, ni l’Ordre des pharmaciens encore moins celui des chirurgiens-dentistes n’a daigné faire une sortie publique pour soutenir ces jeunes médecins », fulmine l’un d’eux. Ce constat est d’autant plus implacable qu’aucun responsable de ces trois Ordres professionnels n’a fait le déplacement pour écouter ou apporter du soutien à leurs jeunes confrères qui ne demandent qu’à bénéficier du droit d’exercer dans le secteur public, au même titre que leurs aînés sortis des même écoles quelques années auparavant.
Contactés, ces responsables font l’esquive en refilant la patate chaude aux syndicats des médecins. « L’Ordre ne peut pas se substituer au gouvernement. Seul un syndicat peut gérer cette affaire or l’ordre n’en est pas un. L’Ordre s’occupe de l’éthique et de la déontologie et non des intérêts matériels des praticiens. Nos missions sont claires là-dessus », se débine-t-on au sein de l’Ordre national des médecins du Cameroun (ONMC).
Sauf que, « C’est juste une fuite en avant. Ce problème concerne l’Ordre et les syndicats car il s’agit de l’offre en soins. Mais nous n’allons pas rentrer dans ce jeu », argue le Dr Daniel Mabongo, président en exercice du Syndicat des médecins du Cameroun (Symec). Soit.
Embarras
A l’Ordre des médecins, le Dr Guy Sandjon, son président, ne cache pas son embarras sur le sujet. « C’est à l’Etat de résoudre le problème de recrutement des fonctionnaires et non l’ONMC », avance-t-il. Prudent. Et d’ajouter, « Nous ne pouvons pas rester indifférents même si nous ne pouvons pas faire grand-chose. Nous allons les écouter pour comprendre ce qui s’est passé ».
Néanmoins, les trois Ordres professionnels concernés réunis au sein d’une plateforme envisagent de faire front commun dans cette affaire. Comment ? Difficile à dire pour l’instant. La seule action concrète envisagée pour l’heure au sein de ces Ordres professionnels c’est de recevoir les chefs de file de ces promotions en détresse. Là également, le projet est encore au stade embryonnaire. La date de cette rencontre reste à déterminer. Pis, l’Ordre des médecins et ceux des pharmaciens et chirurgiens-dentistes doivent « au préalable se concerter » à une date qui reste toute aussi à déterminer.
Autant dire que les Ordres professionnels ne se pressent pas de venir au chevet de leurs cadets abandonnés à eux-mêmes. « Ça ne sert à rien de se précipiter en allant en rang dispersé. Nous avons voulu le faire la semaine dernière finalement on a pensé que c’était mieux de le faire de manière concertée », se défend le Président de l’ONMC. Toujours est-il que c’est cette entrevue entre ces différentes parties qui déterminera le rôle que joueront les Ordres professionnels dans cette bataille pour l’intégration lancée par les jeunes diplômés des facultés de médecine du Cameroun. « Nous allons voir ce que nous pouvons faire à notre niveau. Soit intercéder pour eux auprès des ministères concernés ou alors servir de courroie de transmission », précise le Dr Sandjon.
Scepticisme
Dans le groupe des grévistes, la « lourdeur » observée dans la réaction des Ordres professionnels est pour le moins mal perçue. Lorsqu’ils n’y voient pas « un soutien de façade », les jeunes médecins se montrent sceptiques sur la volonté de ces ordres à leur donner un coup de pouce visant à défendre leur cause. « Ils tiennent des propos politiques vides de sens. Ils ne vont pas nous aider », assène un jeune médecin.
Cette perception est d’autant plus soutenue que du côté de l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun (ONPC), l’on se montre plus prompt à suggérer la piste de l’emploi privé. « Vouloir être fonctionnaire c’est leur droit mais beaucoup peuvent travailler dans le privé et s’y épanouir », conseille le Dr Nana Sambou Franck, le Président de l’ONPC. Un avis que corrobore la Cameroon Young Pharmacists. « C’est bien d’exprimer leur mal être comme ils l’ont fait mais le conseil que nous pouvons leur donner c’est de trouver d’autres opportunités dans le privé et les pharmacies d’officines », argumente l’un des membres du bureau sous anonymat.
Et ce dernier de poursuivre : « Nous avons beaucoup milité pour le bien-être et l’épanouissement du jeune pharmacien mais nous encourageons les jeunes à ne pas se focaliser sur la fonction publique qui n’est certainement pas la destination de tout jeune médecin », D’ailleurs, « Le président de l’Ordre des médecins nous a demandé lors d’une séance de cours avant notre sortie officielle, de nous rapprocher du privé », confie un médecin généraliste.
Contrepied du Symec
Un avis que réfute le Syndicat des médecins du Cameroun (Symec). « Ils peuvent peut-être s’épanouir dans le privé mais les conditions qu’on leur propose sont dérisoires, minables. Un personnel soignant mal rémunéré est un danger qu’on met à la disposition du patient parce qu’il va développer toutes les formes d’arnaques pour pouvoir s’en sortir. Le privé n’a pas les capacités de recruter tous ces médecins formés et les clochardise. C’est un serpent dangereux qu’il va nourrir. En plus, il y a ce verrou de 5 ans d’expérience qui est brandit pour ouvrir une clinique », argue le Président en exercice du Symec.
Au sein de ce syndicat aussi, même si l’on reconnaît que « la mobilisation est quelque peu faible et les actions » de soutien en faveur des jeunes médecins, l’on déplore « qu’on en arrive là » et affirme que « La situation des médecins non intégrés préoccupe le syndicat. Cela faisait partie des réclamations initiales du syndicat depuis 2015 ». Pour le Dr Mabongo, « C’est une injustice. Si ces médecins se retrouvent dans la rue ça veut dire qu’initialement ils n’étaient même pas au courant qu’ils ne devaient pas être intégrés. Et si ces personnes ne sont pas intégrées comme cela se fait de manière automatique dans certaines écoles, il faut bien prendre la peine de les informer », avance-t-il.
Et ce dernier de poursuivre : « Si l’Etat se rend compte qu’il ne peut plus recruter il doit permettre d’ouvrir les cliniques en un an ; réduire le nombre de personnes qu’on forme. On ne peut pas former 1000 médecins par an et en recruter 50. C’est un manque de planification et de vision dans la gestion des ressources humaines ».
Déficit en ressources humaines
Quoi qu’il en soit, « Nous attendons que le gouvernement non seulement nous intègre et nous affecte parce que la médecine que nous pratiquons c’est pour soigner la population. Nous pensons que le Cameroun a besoin des médecins », a déclaré un médecin bucco-dentaire. Le pays a en effet besoin de cette ressource humaine si l’on s’en tient aux différents déficits enregistrés à la DRH du Minsanté. Soit un déficit de 500 médecins généralistes environ tandis que celui en infirmiers est estimé à 30 000 et celui en médecins spécialistes d’environ 2000, avec 0,8 médecins pour 10000 habitants (La norme de l’OMS est de 1/10000 habitants).
Sauf que, cette équation de recrutement s’avère difficile à résoudre pour l’heure. « La soutenabilité budgétaire est un élément important dans tout recrutement. Si l’Etat recrute pour ne pas les payer demain, vous aller encore les retrouver devant les services du premier ministre pour dire nous ne sommes pas payé », explique Sankame Zouberou, directeur du développement des ressources humaines de l’Etat au ministère de la Fonction publique et de la réforme administrative (Minfopra).
Visiblement, cette explication est « insuffisante voire insatisfaisante » pour le Symec et les médecins sans-emplois qui préparent déjà une deuxième manifestation publique afin de revendiquer leur droit à l’intégration à la fonction publique.
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Comme dans les autres pays, l’accès à la fonction publique se fait sur concours et c’est justement le système qui a actuellement été mis en place au Cameroun.
Ol y a effectivement quelques années, le Cameroun pouvait à peine former 100 médecins par an. Il était donc tout à fait logique que tous ceux qui étaient formés soient recrutés et on faisait même appel à ceux qui étaient formés à l’étranger. Mais aujourd’hui nous avons environ 1000 médecins formés par an et vous voulez que la fonction publique les recrute tous, mais c’est une blague.
Mais arrêtez à la fin de faire comme si vous ne comprenez pas ce qui se passe et d’induire ceux qui ne comprennent rien en erreur, c’est aussi cela le rôle des journalistes si vous en êtes un