Cameroun. Désaccord entre Yaoundé et Médecins sans frontières sur les soins médicaux aux séparatistes

Olive Atangana
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Le personnel de MSF installant une tente de triage à l'entrée de l'hôpital de Bamenda.

Le gouvernement veut que l’ONG se substitue en agent de renseignements et lui indique chaque endroit où se font soigner les séparatistes.

C’est un peu l’impasse entre le gouvernement camerounais et l’ONG internationale Médecins sans frontières (MSF). Les deux parties ne s’accordent pas sur la reprise des activités de cette organisation humanitaire dans le Nord-Ouest, suspendues depuis décembre 2020. « Le problème en ce moment c’est que les autorités camerounaises veulent que MSF leur dise qu’on a soigné un séparatiste à tel endroit, ici ou là», confie une source proche du dossier.

En d’autres termes, le gouvernement veut que l’ONG se substitue en agent de renseignements et lui indique chaque endroit où se font soigner les séparatistes. C’est du moins ainsi que la requête du gouvernement est perçue par les responsables de MSF. En réponse à cette exigence de Yaoundé, MSF oppose une fin de non-recevoir en s’appuyant sur le Droit international humanitaire (DIH). Notamment, les conventions de Genève qui « définissent de manière générale les principes de neutralité, d’indépendance des ONG », explique notre source.

En séjour au Cameroun, Stephen Paul Cornish, le directeur général de MSF a été reçu en audience le 11 mai 2021 par Lejeune Mbella Mbella, ministre camerounais des Relations Extérieures (Minrex). Au menu des échanges, la reprise des activités de cette ONG humanitaire dans la région du Nord-Ouest. Mais chaque partie campe sur ses positions. Par conséquent, en ce moment, « Il leur est difficile de trouver le juste milieu », poursuit notre source.

Entre temps, sur le terrain, « La situation sanitaire s’est dégradée depuis lors », confie un cadre de MSF. Préoccupé. C’est que, d’après nos sources, la majorité des centres de santé ont été désertés et ne sont plus en mesure de fonctionner normalement. « MSF avait l’avantage de la mobilité et avait accès à des zones reculées », fait savoir ce dernier. C’est depuis 2018 que MSF a lancé un appui médical d’urgence dans plusieurs localités du Nord-Ouest. « Pour beaucoup, victimes directes ou indirectes de la crise en cours, la présence de MSF était tout simplement vitale », Shahbaz Khan, Coordinateur de terrain MSF au Cameroun dans le Nord-Ouest.

Soutien aux séparatistes ?

Soupçonnée par le gouvernement camerounais de venir en aide aux bandes armées séparatistes, MSF a été suspendue en décembre 2020 par une décision du gouverneur du Nord-Ouest, Adolphe Lele Lafrique. Dans les faits, il était reproché à l’ONG d’apporter des soins médicaux aux séparatistes dans les zones de conflit du Nord-Ouest et Sud-Ouest. Cette suspension d’activités infligée à MSF signifiait qu’elle n’était plus autorisée à collaborer avec les formations sanitaires du Nord-Ouest. Adolphe Lele Lafrique avait alors chargé le Délégué régional de la Santé publique de sa région d’implémenter cette mesure. A noter que la suspension intervenait après plusieurs rappels à l’ordre des autorités camerounaises.

En effet, le Dr Tamakloé Koku, le chef de mission de MSF au Cameroun, avait d’abord été reçu par le Minrex en Octobre dernier, puis par Paul Atanga Nji, ministre de l’Administration territoriale (Minat). Un peu avant, c’est-à-dire en juillet de la même année, le Dr Tamakloé avait aussi été reçu par le désormais défunt Adoum Gargoum, ministre délégué auprès du Minrex chargé de la Coopération avec le monde Islamique. Pareil en août 2020 lors d’une audience accordée par Lejeune Mbella Mbella au chef de mission de MSF au Cameroun. C’était en présence du Minat. En réalité, « Le Minat avait déjà plusieurs fois accusé l’ONG », précise notre source.

Appui médical d’urgence

Selon le bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), la violence dans les deux régions anglophones du Cameroun a provoqué le déplacement de plus de 700 000 personnes. Ce qui a durement pesé sur les services de santé de ces régions. Pour améliorer l’accès aux soins de santé, les équipes de MSF ont ainsi épaulé environ 30 hôpitaux et Centres de santé à Bamenda, Widikum, Kumba et Mamfe. Le service d’ambulance a permis de réaliser plus de 9000 transferts durant l’année.

D’ailleurs, l’ONG a pour mission d’apporter des soins médicaux aux populations en zones de conflits, de guerre, de famine, d’épidémies, de catastrophe naturelles ou de déplacements des populations, sans distinction. Elle mène des activités au Cameroun depuis 35 ans. Notamment à l’Extrême-Nord, au Sud-Ouest et Nord-Ouest, trois régions en proie à des menaces sécuritaires qui ont engendré d’importants besoins humanitaires et sanitaires. L’ONG leur apporte par conséquent une aide médicale qui comprends des soins nutritionnels et en santé mentale, des actions de promotion de la santé et de la chirurgie d’urgence en cas d’afflux massif des blessés.

Ainsi, d’après le rapport d’activités de 2019 publié en décembre 2020, MSF a pu réaliser 221 600 consultations ambulatoires, 6046 interventions chirurgicales et pris en charge 3540 personnes à la suite de violence physique intentionnelle. Dans la même veine, depuis 2020, MSF apporte par ailleurs son appui au gouvernement dans la riposte contre le Covid-19 à Yaoundé et dans les zones sus évoquées. Elle a par exemple construit des infrastructures d’accueil des malades de coronavirus à Yaoundé et Bamenda et augmenté les capacités d’accueil des salles d’isolement et de traitement Covid-19 pour les patients suspects et confirmés tout en formant le personnel médical et non médical à la prise en charge de ces cas.

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Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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