Bafia. Les dessous de la crise qui agite l’hôpital de District

Le directeur de l’hôpital de District de Bafia et son chirurgien en crise depuis le 19 janvier 2021 se sont enfin expliqués face à face. Sur convocation du délégué régional de la Santé publique pour le Centre, le Dr Guemtcheng Maurice et son patron ont été reçus le vendredi 29 janvier 2021, dans les locaux de cette délégation à Yaoundé. « L’échange était cordial, le climat serein. Il (chirurgien : Ndlr) s’est même excusé et a dit n’avoir aucun problème avec moi. Moi non plus d’ailleurs. C’est mon ainé académique et même dans le métier. Il est chirurgien et moi généraliste. Mme le délégué nous a écouté et a dit qu’elle va faire un rapport au ministre qui va décider », rapporte le Dr Mbenda Roger, directeur de l’HD de cette formation sanitaire publique.

Joint lui aussi au téléphone, le Dr Guemtcheng Maurice, chirurgien au sein de cette Fosa depuis 15 ans, a déclaré : « Je ne ferai pas de déclaration à la presse. L’affaire est en cours au ministère de la santé publique. J’attends la décision. J’ai répondu à une demande d’explication. Je ne sais pas comment elle s’est retrouvée dans la presse ».

Les regards sont désormais rivés sur ministère de la Santé, où l’arbitrage de l’autorité tutélaire de la santé est attendu. en effet, selon une source proche du délégué régionale de la santé, le rapport a déjà été transmis à Manaouda Malachie. Ce dernier a d’ailleurs annoncé que des échanges entre les deux médecins et le délégué régional de la Santé pour le Centre, le Dr Moussi Charlotte « dépendront les mesures à prendre pour la bonne marche de cet hôpital ». Mais d’ores et déjà, « Je pense que c’est mieux qu’on nous sépare, pour le bien de la population », préconise directeur de cette Fosa.

Aux sources de la crise

La crise qui a atteint son épilogue le 19 janvier 2021 couve depuis plus d’un an. Elle oppose le Directeur de l’hôpital de District, le Dr Mbenda Roger, et son collaborateur, le Dr Guemtcheng Maurice. Mais tout se dégrade au sein de cette Fosa avec la demande d’explication écrite que sert le directeur à son collaborateur. Dans celle-ci, le Dr Mbenda demande au Dr Guemtcheng Maurice de s’expliquer sur ses « absences répétées et devenues classiques ».

Des absences qui selon lui, « entravent le bon fonctionnement et mettent en danger la vie des patients », écrit le directeur. La réponse du Dr Guemtcheng Maurice ne se fera pas attendre. Le 20 janvier, le chirurgien va nier ces absences dont l’accuse sa hiérarchie et affirme être « toujours présent et que je fonctionne dans le strict respect du programme que j’ai établi comme tous les spécialistes et selon les articulations de mon travail en tant que chirurgien».

C’est-à-dire, les jours de consultations, ceux des opérations programmées, de grande ronde et des urgences, précise ce dernier. Il poursuit : « Je consulte environ 200 malades par mois. Mais vous n’en consultez même pas dix ». Or, « Ces deux derniers semestres, il a opéré 6 malades seulement. Il fonctionne selon un mode établi. Il arrive le lundi, consulte les malades et les réfère dans sa clinique privée située à Nkozoa. C’est à Bafia qu’il recrute tous ses malades », répond le directeur.

« Gestion calamiteuse »

Selon le Dr Guemtcheng Maurice, son supérieur hiérarchique cherche « un bouc émissaire pour justifier votre gestion calamiteuse ». Seulement, à en croire le directeur, cette demande ne visait pas particulièrement le Dr Guemtcheng. Elle a été adressée à tous les spécialistes qui officient au sein de cet hôpital : Chirurgien, pédiatre, ORL et gynécologue. « Seul l’ORL m’a remis un dossier indiquant qu’il a été affecté à la faculté. En dehors du chirurgien, les autres n’ont pas répondu à mes demandes », précise le directeur par ailleurs médecin généraliste. C’est que, depuis son arrivée, les relations entre les médecins spécialistes et lui ne sont pas au beau fixe.

Il a constaté que ceux-ci brillaient par une absence qui entravait la bonne marche de cet hôpital. « J’ai commencé par des correspondances au préfet, au maire et au délégué régional de la santé pour le centre. C’est face à l’inertie de ces autorités que j’ai décidé d’ouvrir des dossiers disciplinaires », explique le directeur. Donc, la demande du 19 janvier n’était qu’un re-maque.

Toujours dans sa réponse à cette demande d’explication, le Dr Guemtcheng formule des accusations à l’endroit de son directeur. « Vous avez démotivé tout le personnel de l’hôpital en installant votre propre fils sans matricule pour gérer les recettes et calculer les quote-parts en lieu et place de l’économe et de la commission des quote-parts. Quotte parts qu’il attribue à tête chercheuse et ne donne qu’à ceux qui chantent vos louanges », affirme le chirurgien.

Sollicité pour répondre à cette accusation, le Dr Mbenda répond : « Aucun membre de ma famille ne travaille ici. Vous pouvez vérifier. Il y a une commission des quote-parts et c’est elle qui s’en occupe ». Le Dr Guemtcheng lui reproche par ailleurs d’avoir affecté les anesthésistes du bloc opératoire dans des services de médecine et de néonatalogie « où ils n’ont rien à faire ». En guise de réaction, dans une note de service rendue publique ce 1er février, le Dr Mbenda demande à ces infirmiers anesthésistes reployés justement dans ces services, de reprendre leur service au bloc opératoire « à compter de ce jour ».

Guerre des clans

Cet affrontement entre ces « deux brillants médecins » divise le personnel. Deux clans s’affrontent à coup d’arguments et de contre-arguments. L’un, constitué en collectif du personnel de cette Fosa, soutient le directeur. L’autre, composé de certains confrères et collègues du chirurgien. Pour le premier, le Dr Guemtcheng a dénoncé « des faits méconnus du reste de ses collaborateurs » et est plutôt animé par une volonté d’«humiliation de sa hiérarchie ».

De plus, à travers cette réponse, le chirurgien « n’a fait que confirmer sa frénétique insubordination qui tire sa source de son aigrissement de n’avoir jamais été nommé au poste de directeur », affirme le collectif dans un pamphlet intitulé « Présentation de la réalité des faits » et adressé au délégué régional de la Santé pour le Centre, le Dr Charlotte Moussi.

Sauf que, de sources concordantes au sein de cette Fosa, « Tous ceux qui ont signés sont des temporaires recrutés par le directeur ». Pour preuve, seuls trois médecins affectés qui ont signé, sur plus de 15 médecins affectés dans cet hôpital. De plus, ce collectif ne saurait parler au nom du personnel. « Ce sont tous des vacataires et personnes ne savaient ce qu’il signait. Ils ont demandé aux personnels en situation précaire de signer ; que c’était un plaidoyer pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Donc beaucoup ont signé le document sans le lire », révèle une source hospitalière.

A en croire cette source, « Le directeur nomme des aides-soignantes chef des consultations prénatales devant les sages-femmes ; recrute un médecin temporaire au service dentaire à sa solde et le nomme chef de service au détriment du personnel affecté. Cela n’a pas de sens ». Plus grave, depuis son arrivée à la tête de l’hôpital en septembre 2019, « Le directeur le gère comme son entreprise. Il a par exemple recruté au moins 5 membres de sa famille pour les mettre à des fonctions au sein de cet hôpital ». Et donc, « Il est connu de tous pour sa gestion calamiteuse. Il gère cet hôpital comme une usine familiale où on doit chanter ses louanges ». Le directeur lui, soutient : « Aucun membre de ma famille ne travaille ici. Ils sont tous à Douala. Vous pouvez vérifier ».

Le chirurgien de son côté, n’est pas exempt de tout reproche. Il trainerait une sulfureuse réputation, d’après plusieurs avis. « Ce chirurgien est un escroc. Son anesthésiste m’avait refusé le bloc pour une GEU rompoue car la femme n’avait pas 150 000 Fcfa en cash. Nous avons été obligés de référer la patiente au CMA de Bafia », témoigne un ancien collègue. Lequel lui reconnait des qualités de « chirurgien expérimenté, réservé et posé », souffrant malheureusement d’une absence de nomination depuis 15 ans.

« On avait échangé lorsque j’étais arrivé ici. Il m’avait clairement exprimé sa frustration de n’avoir jamais été nommé depuis sa sortie d’école », confirme le directeur. Non sans ajouter que : « Un fonctionnaire qui est à un poste depuis 15 ans ne peut plus être productif. Il sera sclérosé. Moi par exemple, j’ai déjà parcouru 7 districts de Santé ».

Quoi qu’il en soit, « Il ya un problème de fond dans cet hôpital. Nous espérons que tout va revenir à l’ordre d’ici peu. Parce que tout ceci n’honore pas la profession ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette crise n’a pas fini de livrer ses secrets.

Encadré

HD de Bafia, le visage de l’échec de la gouvernance hospitalière

En attendant la décision finale qui viendra de Manaouda Malachie, au sein de l’opinion publique nationale, des voix s’élèvent depuis quelques jours pour décrier cette situation. De l’avis de plusieurs observateurs du système de santé camerounais, elle est révélatrice de l’échec de la gouvernance hospitalière. Ceci, doublée à « L’expression de la médiocrité. L’essentiel tourne autour de l’argent. Sans aucun management », critique l’un d’eux.

Selon un autre, le management des hôpitaux ne devrait pas être du ressort des médecins, car, ils n’ont pas ces compétences. « Il n’ya qu’à voir l’état de nos hôpitaux. Ils ont tout eu : IG, SG, DG, Directeur, Délégué régional mais n’ont rien fait. Ils contrôlent toutes les structures du système de santé et veulent pourtant se dédouaner du mauvais état de nos hôpitaux », critique un observateur du système de santé.

Un avis que partage un médecin de santé publique. « Gestion calamiteuse des crédits, insuffisance ou absence des lignes budgétaires, supervision inopérante et absence », liste ce dernier en guise de tares qui minent les hôpitaux publics. Suffisant pour notre observateur de conclure : « La gouvernance des médecins a détruit le service public hospitalier qui contribue dans l’efficacité de deux niveaux du système de santé : la prévention des maladies, la restauration de la maladie ».

Il rappelle que « D’autres pays ont connu les problèmes que l’on rencontre actuellement au Cameroun. Ils ont adopté la solution de former un corps administratif qui n’a rien à voir avec la profession médicale ou les profils paramédicaux pour diriger les hôpitaux pour résoudre ce problème». Au Cameroun, ce sont les administrateurs de la santé publique.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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