Le tacle de Manaouda Malachie au bureau sortant de l’Ordre des médecins

Olive Atangana
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(Lurgentiste.com)– Surprise. C’est finalement le ministre de la Santé publique qui convoque l’Assemblée générale Extraordinaire (AGE) de l’Ordre national des médecins du Cameroun (ONMC). La décision de Manaouda Malachie a été prise et rendue publique par voie de communiqué diffusé sur les réseaux sociaux le 10 mai 2022. L’AGE programmée pour demain 13 mai portera sur l’examen et l’adoption du Code de déontologie et du Règlement intérieur de cet Ordre professionnel, après la première tentative avortée le 19 avril dernier pour défaut de quorum.

Seulement, la sortie de l’autorité tutélaire du secteur de la santé fait polémique. En effet, en temps normal, la convocation de l’assemblée générale ordinaire ou extraordinaire est une prérogative du président de l’Ordre. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour la session du 19 avril dernier. Sauf que, cette fois-ci, le Minsanté a décidé lui-même de convoquer la réunion, prenant à contre-pied le Conseil de l’Ordre.

Embarras du Conseil

Officiellement, le bureau sortant ne s’est pas prononcé sur ce communiqué. Les membres contactés sont peu diserts sur la question. Une attitude qui cache mal l’embarras de l’équipe présidée par le Dr Guy Sandjon. Pour comprendre cet embarras, il faut remonter au 21 avril, deux jours après l’ajournement de l’AGE du 19. A cette date, le ministre écrit au président de l’Ordre au sujet de l’organisation de la prochaine AGE. Dans cette correspondance dont nous avons copie, Manaouda Malachie instruit le président Sandjon de « convoquer ladite instance dans les délais prescrits à l’article 66 (3) du décret N°83/66 du 12 avril 1983 portant Code de Déontologie des médecins ».

Dans la foulée, le Conseil tient une session extraordinaire le 26 avril. En présence de 15 de ses membres, les travaux débouchent sur cinq résolutions. Notamment, la date de la prochaine AGE fixée au 13 mai et la tenue d’une session extraordinaire du Conseil prévue ce 12 mai pour finaliser la liste des médecins à jour de leurs cotisations.

Le 27 avril 2022, le président de l’Ordre écrit au ministre. « Suite au report de l’Assemblée générale Extraordinaire du 19 avril 2022 (…) J’ai l’honneur de vous informer que la poursuite de cette Assemblée générale extraordinaire est fixée le 13 mai 2022 ». Le président de l’ONMC poursuit : « si cette date ne rencontre pas d’objection de votre part la publication officielle suivra à partir du 29 avril ». En réalité, ce courrier du président de l’ONMC répond à la correspondance à lui adressée le 21 avril par le Minsanté.

Mesures barrières

Sur ces entrefaites, Manaouda Malachie signe un communiqué de presse le 28 avril pour inviter « les populations à reprendre l’observance des mesures barrières édictées par l’Organisation mondiale de la santé et le gouvernement » contre le Covid-19. Notamment, « l’interdiction de regroupement de plus de 50 personnes surtout dans les lieux clos ».

Au sein bureau sortant, ce rappel inquiète pour la tenue des assises prévues le 13 mai où des milliers de médecins sont attendus. D’où la correspondance adressée le 5 mai par le Conseil de l’Ordre au ministre pour lui demander la conduite à tenir. « Nous référant à votre communiqué de presse, nous nous interrogeons sur l’opportunité d’une Assemblée générale dans ce contexte d’insécurité sanitaire », écrit le Dr Guy Sandjon. Cette correspondance, tout comme celle du 27 avril, reste sans réponse.

Le bureau a néanmoins continué à travailler pour l’organisation de ladite AGE. Pour preuve, le 9 mai, le Dr Gervais Atedjoe, Secrétaire général de l’ONMC, va envoyer une correspondance à tous les membres du conseil et aux représentants des bureaux régionaux. Dans celle-ci, il leur explique les démarches entreprises jusque-là par le Conseil depuis le 26 avril. Il conclut en leur informant que le Conseil attendait toujours l’accord préalable à la convocation de la réunion de demain. Le ministre va donc prendre les devants et convoquer lui-même cette AGE.

Légalité et légitimité en débat

Au sein de la Corporation, la décision du ministre est diversement accueillie et appréciée. Elle est qualifiée de « vice de procédure » par une frange. Et pour cause, « le ministre n’a pas le droit de convoquer une AGE sauf si à deux reprises il instruit le Président de l’Ordre de le faire sans suite tels que le disent les textes. Or il n’y a pas eu refus d’organiser cette AGE. Au contraire, si je m’en tiens à la chronologie des correspondances entre les deux hommes », soutient un médecin qui ne se réclame ni pro, ni anti Sandjon.

Faux, arguent d’autres médecins qui la jugent plutôt légitime et légale. L’argument premier avancé est celui du mandat forclos depuis le 21 mars dernier du bureau sortant. Sur cette base, « Le Minsanté a été très clément avec le bureau sortant en lui demandant d’organiser les premières assises de l’AGE alors qu’il n’avait plus de mandat », soutient le Dr Guy Bassong, médecin neurologue. Cet ex-président du Syndicat national des médecins du Cameroun (Symec) comme ses autres confrères contactés dont le Dr Tchounou, promoteur de la Polyclinique « Le Berceau » à Douala, sont unanimes à ce sujet. Ils citent l’article 32 alinéa 1 du décret d’application de la loi de 1990.

Pleins pouvoirs

« Lorsque pour une cause que celle prévue à l’article 9, alinéa 3 du présent décret, les Organes de l’Ordre sont défaillants ou se trouvent dans l’empêchement de siéger ou de fonctionner, le Ministre de la Santé publique peut prendre toutes les mesures conservatoires de nature à faire cesser la défaillance, à rétablir le bon fonctionnement des organes en cause ou à, assurer une saine application de la loi n°90-036 du 10 aout 1990 précitée et ses textes d’application », précise ledit article. Sauf que, « Le ministre doit faire constater cette défaillance par un tribunal administratif », contre un autre médecin.

Mais pour le Dr Pierre Bassong, cet article à lui seul « donne pouvoir à l’autorité de tutelle de prendre toutes les mesures conservatoires pour faire cesser la défaillance du fonctionnement du conseil qui dans ce cas d’espèce est doublement défaillant car non seulement détenteur d’un mandat illégal qui plus est avait déjà expiré ». Pour d’autres médecins, le Dr Bassong fait une interprétation erronée de cet article. « Au Tribunal administratif, le juge va leur demander qui a constaté que le mandat est forclos. Que le ministre le fasse donc constater par écrit. Et même, il y a continuité du service même si le mandat est forclos », explique l’un d’eux. Soit. Le neurologue lui, n’en démord pas et avance aussi que l’article 22 (2) de la loi relative à l’exercice et à l’organisation de la profession de médecins au Cameroun confère donc tous les pleins pouvoirs à la tutelle.

Garant de la conformité

« Le ministre a été mal conseillé. Il y a confusion d’articles en ce qui concerne le décret d’application de la loi du 10 août 1990. Il a évoqué l’article 30 pour quelque chose qui n’est pas conforme. Cet article est relatif au Conseil de l’Ordre. C’est celui 22 qui concerne l’AG et non celui 30 comme motive le ministre dans sa convocation», consent finalement à expliquer un membre du bureau sortant. Et sa sentence ne se fait pas attendre : « Ce sont des sorties malheureuses » et même « incohérentes ».

Du côté du Minsanté, « c’est justement pour être conforme aux textes que le ministre a l’obligation de convoquer cette AGE », argue une source proche du dossier. Mais encore, « la convocation du ministre protège les résolutions qui seront de toute attaque ultérieure en nullité. Si quelqu’un attaque la légitimité du président en poste mandat à convoquer une AG, il peut avoir gain de cause au tribunal administratif. On rentrerait dans une impasse, sans texte et sans bureau », explique celle-ci.

Quoi qu’il en soit, « ce n’était pas nécessaire d’entrer en conflit. Le bureau de l’Ordre peut décider de ne pas aller à cette AG parce qu’il y a vice de procédure et cela peut entrainer l’Ordre au Tribunal administratif », avance un autre médecin. A en croire ce dernier et plusieurs autres médecins, l’ONMC risque de se retrouver dans une impasse vendredi prochain. « On ne sait pas ce qui va se passer le 13 », dit l’un d’eux. Perplexe. Au Minsanté, l’on se veut par contre confiant. « La réunion sera paisible et l’ONMC va avancer », se veut rassurant notre source proche du dossier. Affaire à suivre.

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Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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