Cameroun. La pénurie fait flamber les prix de l’insuline

admin
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(Lurgentiste.com)– L’insuline se fait à nouveau rare au Cameroun. Ceci, depuis plus d’un mois. Grossistes-répartiteurs, pharmacies d’officines et officiels de la Santé s’accordent tous à reconnaitre ce manque de médicaments indispensable à la prise en charge des patients souffrant du diabète. « Il y a une pénurie mondiale qui dure depuis deux mois », fait savoir le Dr Franck Nana, Président de l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun (ONPC). Et son confrère le Dr Salihou Sadou, directeur général de la Centrale nationale d’approvisionnement en médicaments essentiels (Cename) de renchérir : « Elle n’émane pas du Cameroun et touche aussi la sous-région Afrique ».

Concrètement, « Mixtard est en rupture et Novomix 30 connait une augmentation », explique un pharmacien d’officine à Douala. D’après ses explications et ceux de ses autres confrères contactés, le prix de vente normal de ce Mixtard oscille entre 4970F et 6225F, en fonction des villes, des pharmacies et des fournisseurs auprès desquels ils se ravitaillent.  « Mais certaines pharmacies vendent à 8000 et parfois même à 20 000F », regrette ce dernier. Pour l’heure, une grande majorité de la file active de patients souffrant de diabète au Cameroun est obligée de faire avec l’insuline de substitution. Il s’agit de Novomix 30 (boites de 5) et de NovoRapid.

Cependant, « Ces médicaments coûtent eux aussi chers. Novomix est vendu au prix normal à 8500F l’unité, soit 38 600F la boite de 5 stylos. Mais actuellement, il coûte 20 000F aussi à l’unité. Donc nos confrères qui ont pu importer avant la pénurie et en disposent ont élevé les prix et font de la surenchère. Ce qui n’est pas normal mais difficile de les blâmer », fait savoir notre source pharmacienne par ailleurs grossiste-répartiteur. Si le Dr Tada, pharmacien à Maroua, réfute cette surenchère, il indique toutefois que Novomix est d’ores et déjà en rupture. « Actuellement, nous disposons des stylos qui peuvent faire trois semaines mais même ces stylos ne seront pas suffisants pour combler le gap et la tension sera insoutenable », alerte un autre pharmacien d’officine. Du coté des grossistes comme Ubipharm et Laborex, ce médicament « n’est pas disponible ».

La Cename toujours amputée

La Cename non plus, endettée selon nos sources proches du dossier à hauteur de 36 millions de Fcfa auprès du fournisseur principal (Novo nordisk) depuis 2017 pour l’insuline et 2014 pour les hormones de croissance, n’arrive plus à fournir et ne dispose pas d’«insuline vendable». « Bien avant la pénurie, elle connaissait déjà une tension de stock et ce sont les grossistes privés qui suppléaient », confie un membre du Conseil d’administration de ce grossiste public du médicament. D’après son DG, les seuls stocks dont dispose ce bras séculier de l’Etat en matière de médicaments essentiels « sont des stocks qui appartiennent à certains programmes de diabétiques logés dans les hôpitaux et qui permettent de gérer les malades ».

Donc, « C’est un circuit où la Cename ne joue que le rôle de stockeur. Nous attendons les instructions des propriétaires. Dès que nous aurons l’ordre de pouvoir livrer dans ces hôpitaux où le programme se déploie, nous allons le livrer là-bas », précise le Dr Salihou Sadou. Et même, « ce sont des stocks minina qui ne permettent pas de couvrir la file active des diabétiques du Cameroun», poursuit le directeur.  Les quantités actuelles sont de l’ordre d’environ 1500 pour rapide et plus de 400 pour l’insuline rapide, mixte et retard. En 2020 déjà, au plus fort d’une autre pénurie d’insuline, la Cename n’avait pas pu en procurer aux malades. « Pour le moment, nous ne savons pas comment en sortir. Certainement vers décembre », informe notre grossiste privé de Douala.

Concertation au sommet

Pour l’heure, une réunion de concertation est prévue lundi prochain au ministère de la Santé publique (Minsanté), confient nos sources au sein de ce département ministériel. Les firmes pharmaceutiques, la direction de la pharmacie, du médicament et des Laboratoires du Minsanté, la Cename, l’Ordre des pharmaciens et les responsables du ministère seront réunis autour de la même table pour trouver des solutions à cette pénurie. Mais aussi et surtout, il sera question d’échanger sur la nécessité de « régler la dette du Cameroun de 36 millions de Fcfa vis-à-vis du principal fabriquant, Novo nordisk», souffle l’une de ces sources proches du dossier au Minsanté.

Déjà, comme esquisse de solution, « On peut proposer des achats groupés auprès de Novo nordisk en attendant que l’Etat règle sa dette auprès de cette firme. Avec ce mécanisme, on pourrait faire chuter le prix à 2500 ou 3000F. Novo nordisk vent l’insuline à 2 dollars et les grossistes vendent à 6000F. Si les grossistes achètent à moitié prix, on attend également une diminution de moitié de l’insuline sur le marché », argumente notre source du Minsanté.  Selon elle, « L’idée est de faire en sorte que les grossistes passent des commandes à Novo nordisk en passant par la Cename qui fixera des frais de gestion. Ils pourraient acheter l’insuline autour de 2000F, soit moitié prix ».

En retour, « la Cename pourrait empocher 250F et le reste servira à couvrir la dette à Novo nordisk », préconise-t-elle. Le Dr Salihou Sadou, par ailleurs pharmacien et ancien directeur de la pharmacie au Minsanté, recommande lui, de « Passer des commandes directes qui permettent d’avoir l’insuline sur le territoire dans des délais rapides». Même s’il craint qu’à travers ce procédé, les prix soient un peu onéreux, il insiste qu’« Il faudrait inciter certains grossistes à faire des commandes directes ». Toutes à ces propositions de sorties de crise, une question demeure cependant. Comment en est-on arrivé là, au-delà de l’argument de la pénurie mondiale ?

Direction de la pharmacie au banc des accusés

A cette question, des grossistes privés ont une réponse : La faute aux nouvelles procédures en vigueur à la direction de la pharmacie du Minsanté. « Depuis l’arrivée du nouveau directeur les procédures pour faire entrer les médicaments sont devenues un peu plus lourdes. Il y a un blocus. Or avec l’ancien directeur, tout était déjà rodé», accuse un grossiste responsable d’une firme pharmaceutique étrangère à Douala. Une version corroborée par une source proche du dossier au sein de cette direction. « Les procédures ont été libérées par l’ancien directeur. Ce qui n’est pas le cas avec l’actuel », dit-elle.

C’est que, « L’actuel directeur veut être plus rigoureux avec de nouvelles méthodes et réformes. Ce qu’on peut comprendre, même si nous ne sommes pas d’accord avec la façon dont cela se passe. Ces réformes qu’il veut implémenter créent un goulot d’étranglement et ont bloqué certains approvisionnements. Les grossistes n’ont pas pu importer à temps. Et c’est la santé des populations qui en pâtit. Il veut faire les réformes oubliant qu’il y a une population vulnérable qui peut en être affectée », critique notre source.

Conséquences de ces nouvelles procédures, « Si pour faire entrer les produits il fallait une ou deux semaines tout au plus, on va désormais à plus d’un mois », regrette cette grossiste de Douala.  En fait, pour qu’un médicament entre au Cameroun, il y a un ensemble de process qui repose sur le « Visa santé ». Il existe celui provisoire et un définitif. « Lorsque vous voulez commander les produits, vous faites parvenir la facture proforma qui détaille le produit en question, les quantités, etc, et on vous délivre le Visa santé provisoire à la direction du médicament », explique ce grossiste. Ce document et la déclaration d’importation leur permet donc de pouvoir envoyer l’argent aux fournisseurs à l’étranger. « Ça veut dire qu’à cette étape-là, le produit peut déjà arriver jusqu’au Port autonome de Douala. Une fois qu’il y est, il vous faut maintenant le Visa de santé définitif pour le faire sortir de là », étaye-t-il.

Une tâche qui incombe à la Direction de la pharmacie. C’est donc à ce niveau que tout coince, à en croire nos sources.  « Dans la plupart des cas, pour avoir le Visa provisoire c’est la croix et la bannière. Pour avoir le définitif c’est encore plus complexe », expose le grossiste précité. Entre temps, « les produits sont déjà là et les frais de magasinage au Port sont onéreux. A l’aéroport, c’est encore pire. Ces frais de magasinage qui sont à la charge de l’importateur qu’est le pharmacien augmentent chaque jour», ajoute-t-il. Dépité. Ce d’autant plus que ces frais « se chiffrent souvent en millions de Fcfa parfois pour des produits dont le prix est même en deçà des frais que vous êtes entrain de vouloir payer », déplore ce dernier.

L’Ordre des pharmaciens impuissant ?

Contacté par Lurgentiste, le Dr Basile Yaba n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet ni sur ces accusations. Nos informations font état qu’une séance de travail y a eu lieu mais sans suite. Du côté de l’Ordre national des pharmaciens, le sujet embarrasse. D’après nos sources, des démarches ont aussi été entreprises au sein de cet Ordre professionnel, sans grand résultat. Contacté, le Dr Nana Franck, le Président, n’a pas lui aussi souhaité s’exprimer à ce propos précis. Entre temps, « Les dossiers sont désormais traités au cas par cas. On peut valider un ou deux dossiers et le reste est là. Il y’a un mois on avait 100 conteneurs mais aujourd’hui ce n’est pas moins de 60 dossiers, sans compter les cargaisons qui viennent par voies aériennes », fulmine un autre grossiste.

Ce dernier s’indigne de ce du fait de ce blocus, des produits comme ceux de l’hypertension artérielle, du diabète et de la douleur soient déjà en rupture. « Et au-delà de tout, il y a des effets corolaires à ceci. Par exemple les délégués médicaux sont en chômage technique », déplore-t-il. Vivement donc une sortie de crise lundi prochain. En attendant, le Dr Salihou conseille aux diabétiques de se rapprocher des Centres de diabétologie des hôpitaux qui ont des stocks à minima pouvant permettre de prendre en charge un diabétique dans un stade avancé « et surtout un insulino dépendant ».

Pour rappel, le taux de prévalence du diabète est de 6% au Cameroun. Parmi eux, plus de 1000 sont insulino-dépendants et la grande partie sont des enfants dont l’âge varie entre 0 et 21 ans. L’insuline est vitale pour les diabétiques de types 1. A noter que le diabète est une maladie chronique qui se caractérise par une hyperglycémie c’est-à-dire un taux de sucre élevé dans le sang en permanence. La maladie peut endommager le cœur, les vaisseaux sanguins, les yeux, les reins et les nerfs. C’est la 5e cause de mortalité et représente 2% de décès annuels au pays. Sa 31e journée de lutte s’est célébrée le 14 novembre dernier.

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