Cameroun. Les infirmes moteurs cérébraux abandonnés dans leur douleur

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Ils aux pouvoir publics une meilleure prise en compte de leur situation.

Il y a neuf ans, Flore Ngassa a été victime d’une souffrance fœtale et d’une prise en charge tardive au cours d’un accouchement. Cette complication a malheureusement été fatale à Joseph, son 3e enfant, faisant de lui un infirme moteur cérébral (IMC).  « Mon fils aujourd’hui, n’a été qu’une victime de cette situation. Il ne marche pas, ne s’assoie pas. Sa prise en charge à la maison est lourde. Il a beaucoup de difficultés à s’insérer, il est stigmatisé. J’ai accepté mais tous les jours c’est toujours plus lourd », fait savoir l’infirmière et cadre du ministère de la Santé publique (Minsanté).

Difficile aussi, est le quotidien de Suzanne, dont la fille souffre d’infirmité motrice cérébrale. « A sa naissance, son père a dit qu’il n’en voulait pas. Que c’est l’enfant de la sorcellerie et m’a abandonné. Depuis, je suis seule avec elle. J’ai dû arrêter de travailler parce qu’il fallait s’occuper d’elle et c’est difficile au quotidien », confie celle-ci. Dépitée.

Ce quotidien fait d’aléas relatifs à la maladie de son fils, Mme Ngassa le connait un peu trop bien. « J’accuse souvent beaucoup de retard au travail et j’ai beaucoup de problèmes avec les femmes de ménage. Vous savez un enfant de 9 ans qui est encore comme un bébé, c’est difficile pour les gens d’accepter de s’en occuper », indique l’infirmière. Elle marque une pause et d’une voix brisée, elle reprend son récit. « Mon fils, on lui donne à manger comme un bébé parce qu’il n’utilise pas ses mains ; il ne saisit pas les objets, ne s’assied pas. Pour le laver, il faut avoir beaucoup d’énergie pour le soutenir et éviter une chute », poursuit-elle.

Bien plus. « Il ne parle pas mais entend. A notre niveau, on essaie de lui parler mais quand il parle on ne comprend pas ce qu’il veut dire. Sauf certains qui ont déjà mis 9 ans avec lui, comprennent certains gestes par habitude », explique celle-ci.

Handicap et abandon

La paralysie cérébrale dont la journée mondiale s’est célébrée le 6 octobre dernier sous le thème « Réduire les souffrances de l’enfant IMC par la prise en charge à domicile », est un handicap causé par des lésions irréversibles sur le cerveau du fœtus ou du nourrisson. Elles détruisent ainsi certaines cellules du cerveau en développement et provoquent un ensemble des troubles de mouvement ou de la posture, des difficultés cognitives ou sensorielles. Voilà pourquoi, les enfants IMC sont parfois rejetés et abandonnés par leurs familles. Pendant sa carrière d’infirmière à la Fondation Chantal Biya, Flore se souvient encore de deux d’entre eux.

D’abord Gérard, autre enfant IMC. Selon elle, il avait été abandonné par ses parents après que leur pasteur leur ai dit que c’était un enfant serpent à déposer auprès d’un cours d’eau. Il avait été accueilli par les Sapeurs-pompiers et à la suite d’un malaise, il a été conduit à la Fondation. « Il était décédé cinq jours après. Sa prise en charge était difficile. Tous ceux qui était autour de lui ne parvenait pas à lui donner l’eau à boire parce qu’il avait des signes et gestes tellement délicats. Parfois il voulait boire de l’eau mais n’y parvenait pas », relate l’infirmière.

Puis, Moise. Rejeté par sa mère, les personnes du service social l’avaient ramené à la Fondation. « Il était aveugle, muet et raide. On lui avait donné une chambre et tout personnel qui travaillait à son heure devait passer lui administrer des soins et lui donner à manger. Il était rejeté même parfois par certains personnels parce que c’était affreux. Il n’était pas comme un être humain. Il est décédé deux ans après dans des circonstances douloureuses. Ces deux cas m’ont déchiré, m’ont tué. Ajouté à cela celui de mon fils, j’ai décidé mettre sur pied cette association », dit-elle, cachant à grand peine son désarroi.

Créée en 2017, l’Association de soutien aux enfants infirmes moteurs cérébraux (Aseim) regroupe 101 enfants. « J’ai décidé de chercher les parents qui avaient aussi ces cas, qu’on se mettent ensemble pour essayer de résoudre les problèmes de nos enfants déjà à notre niveau ». Au quotidien, le travail de ce groupe composé d’infirmiers, kiné, neuropédiatres, psychologues, consiste à aider les parents à accepter et vivre avec cet handicap comme tout autre, à leur apporter beaucoup d’amour ; à les initier à la prise en charge kinésithérapeutique et autres.

Flore Ngassa organise aussi régulièrement des enseignements, des séminaires de formation pour les aider à prendre charge leurs malades. « C’est une situation très difficile à vivre. Le conseil que nous pouvons donner aux parents, c’est d’abord beaucoup de résilience. Il faut supporter en s’appuyant sur la religion, le reste de la famille et le reste de l’organisation qu’on peut mettre autour de cet enfant. Parce que si le parent est seul ou si la société rejette ces enfants, c’est là où vous ressentez beaucoup plus le fardeau du handicap », dit le Pr Mbassi, neuropédiatre à la Fondation Chantal Biya.

Prise en charge et plaidoyer

Déjà dans le cas de Flore, son fils est depuis toujours sous dépakine. « Il prend sensiblement 4 boites par mois, pour son âge. Et souvent, quand il fait des crises convulsives, il faut souvent refaire les électro-encéphalogrammes et parfois même des scanners », précise cette dernière.  Mais de manière générale, « Il n’y a pas un suivi stéréotypé. Le suivi s’adapte au patient. Deux patients IMC peuvent ne pas avoir le même traitement. Parce qu’en terme de gravité, on a par exemple les enfants qui sont quadriplégique c’est-à-dire les quatre membres sont touchés. D’autres qui sont dyplégiques c’est-à-dire les quatre membres sont touchés mais beaucoup plus les membres supérieurs. Puis, l’hémiplégique c’est une partie du corps mais on peut aussi avoir monoplégie c’est-à-dire un seul membre est touché. Ce qui fait qu’un enfant qui a les quatre membres affectés, on doit l’assister et on peut l’assister jusqu’à ce qu’il puisse se mouvoir seul », éclaire le Pr Mbassi.

Et de conclure : « On adapte le suivi aux besoins de l’enfant. Un enfant qui convulse aura besoin de rencontrer un neuropédiatre ; celui qui ne parle pas aura besoin d’un orthophoniste. Donc, on adapte le traitement à ce que l’enfant présente ». Le 06 octobre dernier à Yaoundé, l’Aseim a organisé une soirée récréative à laquelle ont pris part, parents et enfants. C’était sous le thème : « Continuité des soins de l’enfant IMC en famille ». La paralysie cérébrale est la déficience motrice la plus répandue chez l’enfant.

Elle touche 17 millions de personnes dans le monde. « Si beaucoup est fait au Cameroun pour les enfants IMC, toutefois, beaucoup reste à faire. Nous pensons humblement qu’il faut aussi des subventions en termes de finance ou de gratuité d’école et autres ; soutenir ces parents. Cette journée est une occasion de plaidoyer pour les pouvoirs publics et les décideurs pour que quelque chose soit fait en faveur de ces enfants et de ces familles », plaide le Pr Mbassi.

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