Santé publique. Le calvaire des malades de tuberculose

La rupture des anti tuberculeux perdure depuis plusieurs mois déjà.

Henri est un malade aux abois. La quarantaine sonnée, voilà deux semaines déjà que ce patient souffrant de tuberculose depuis trois mois est sans traitement. « On m’a demandé de repasser lundi voir si on peut me trouver mon traitement », dit-il. Paulin à qui l’on vient de diagnostiquer la tuberculose est tout aussi paniqué. A l’hôpital Laquintinie où il s’est rendu, c’est aussi la rupture de stock« Un médecin lui a demandé de lui laisser son numéro. Il allait l’appeler s’il y a un nouveau stock », confie un de ses proches. « C’est une situation dramatique ».

Ce cri de désolation est celui d’un médecin en service dans la région de l’Extrême-Nord. Comme de nombreuses autres, la formation sanitaire (Fosa) au sein de laquelle il officie connait une rupture d’anti tuberculeux depuis déjà un mois. « Nos patients vont au Tchad pour se ravitailler. Ce n’est pas loin et nous avons de très bonnes relations avec les hôpitaux de Ndjamena », poursuit ce dernier.

Ceux de Tokombéré, semblent un peu plus chanceux. « La dernière fois, c’est l’hôpital de Meri qui nous a dépanné. Mais on ne peut que leur donner le traitement de quatre mois, puisque nous n’avons pas celui de deux mois. L’idéal est de leur donner le traitement pour un mois mais c’est difficile », confie une source médicale. En réalité, « il s’agit d’un problème national. Nous faisons des dépannages internes entre régions et formations sanitaires, en attendant les médicaments incessamment», explique le Dr Bava, délégué régional de la Santé publique pour l’Extrême-Nord.

Dans cette région qui totalise 2615 malades de tuberculose, « nous essayons tout ce qui est en notre pouvoir étant donné que la situation est peu plus délicate », précise le Dr Malama Toussaint, chef du Groupe technique régional de lutte contre la tuberculose (GTR-TB) à l’Extrême-Nord. De lui, l’on apprendra que la région qui compte une plus grande file active n’est pas en rupture totale de médicament. « Dans les formations sanitaires ou nous avons plus de médicaments, nous essayons de les envoyer où la file active est plus grande », poursuit ce dernier.

Cependant, « D’ici quelques semaines si nous n’avons pas de médicaments, ça risque d’être difficile », craint ce dernier. Ce d’autant plus que le stock de ravitaillement est venu la semaine dernière de l’Adamaoua. La région du Nord bénéficie aussi de ces « dépannages internes et inter régionaux», même si la situation n’y est guère reluisante. Depuis deux mois, les voyants sont au rouge. « Pour le moment, nous avons eu un peu de chance. Nous avons un petit stock qui nous permet de tenir. Aucune formation sanitaire n’est en rupture totale mais en tension. Tous les CDT (Centres de traitement de la tuberculose : Ndlr) sont en tension. Mais ce n’est pas aussi flagrant comme à l’Extrême-Nord où certains hôpitaux sont en rupture totale (Hôpital régional annexe de Kousseri : Ndlr) », indique le Dr Ganava Maurice, responsable du Groupe Technique régional de lutte contre la tuberculose au Nord (GTR-TB).

Inquiétudes et risque de contamination

Néanmoins, « dans les jours à venir, on risque d’avoir des soucis », s’inquiète à son tour le GTR-TB Nord. Une stratégie a été mise sur pied pour faire face à la situation. « Avant, ils pouvaient prendre un mois de traitement mais nous sommes obligés de rationaliser. Nous leur donnons le traitement pour une semaine ou deux parce que nous ne pouvons pas faire plus. Surtout pour les nouveaux. Nous ne pouvons pas prendre le risque de leur donner plus que ça », confie le Dr Ganava.

À l’Extrême-Nord, ce sont les molécules de la phase de stabilisation prescrites pendant les deux premiers mois qui font défaut. Celles du 4e mois de traitement elles, sont disponibles. Le service infectiologie de l’hôpital Central n’est pas non plus épargné. « Si le patient se fait suivre ici, qu’il revienne lundi on peut essayer de lui trouver les médicaments. Mais s’il se fait suivre ailleurs, ce sera difficile. Il y’en a pas », dixit une source médicale.

A l’hôpital de District d’Obala, le personnel médical a une appréhension : celle de voir les malades « contaminer tout l’hôpital ». Ici, la rupture d’anti tuberculeux a aussi fait son nid. « Je ne sais plus vers quel hôpital me tourner pour me dépanner. Avant j’en prenais chez des confrères mais eux aussi sont en rupture », souffle une source médicale. Dépitée. Mais pour un responsable de la direction, ceci est moins dramatique que le risque de contamination accru en communauté que posent ces malades. « On nous demande de les renvoyer en communautés. Mais là-bas, ils iront contaminer la communauté », dit-il, scandalisé. Autre problème, « le traitement de ces patients n’est pas bien mené. Forcément qu’il aura des résistances en guise de conséquences. Le risque est accru puisque la quantité de baccile ne peut pas diminuer », regrette notre source de Tokombéré.

Selon le rapport annuel sur le dépistage des tuberculeux au Cameroun en 2018, 23 741 camerounais souffrent de tuberculose. 5% de ces cas sont des enfants de 0-14 ans. La région de l’Extrême-Nord, les villes de Yaoundé et Douala représentent environ 45% des cas dépistés, toutes formes confondues. Soit respectivement, 3241, 3812 et 4506. En 2018 toujours, 13 445 nouveaux cas ont été enregistrés au Cameroun.

Cette maladie demeure de ce fait « un problème majeur de santé publique et constitue un véritable frein au développement », à en croire le Pr Biwolé Sida, ancien Inspecteur général du Minsanté. Pourtant, l’Etat se targue des avancées comme la gratuité du traitement anti tuberculeux depuis 2004, l’introduction des nouvelles méthodes de diagnostics de la tuberculose, et la mise en place des Centres de diagnostics et de traitement de la tuberculose (CDT) dans les Fosa. Soit 250 CDT ouvert sur toute l’étendue du territoire nationale.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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