Quatre bébés prématurés meurent faute de couveuses à l’hôpital Central de Yaoundé

Le décès de ces nouveaux nés remet au goût du jour le déficit en couveuses dont souffrent les formations sanitaires camerounaises. 

L’hôpital central de Yaoundé enregistre 4000 accouchements par an. Parmi ceux-ci, 5% sont des prématurés. Ce taux correspond à un effectif de 200 accouchements prématurés enregistrés chaque année dans cette formation hospitalière. La prise en charge de ce type de nourrissons nécessite des ressources humaines et surtout un plateau technique spécifique.

Mais l’Hôpital central qui fait partie des plus grands centre hospitaliers publics de la capitale camerounaise n’échappe pas au sempiternel problème de déficit en couveuses. En effet, de sources médicales, son unité néonatalogie et maternité ne dispose que de quatre couveuses, deux pédiatres et six sages-femmes. Suffisant pour faire face à la demande ?

A cette question, le Pr Pierre Joseph Fouda, directeur de cet hôpital opte pour l’esquive : « Le problème n’est pas qu’ils sont suffisants ou pas parce que nous ne sommes qu’un centre de transit », avance-t-il. Selon lui, l’hôpital central a noué des partenariats avec la Fondation Chantal Biya, l’hôpital de la CNPS et l’hôpital gynéco obstétrique et pédiatrique de Yaoundé (Hgopy). 

« Ce sont ces formations sanitaires qui ont le matériel adéquat pour prendre en charge les prématurés. Donc, s’il y a la place dans l’une de ces formations et que nous venons d’avoir un prématuré, nous les transférons là-bas. Mais s’il n’y en a pas, nous faisons le maximum pour le conserver en attendant le transfert. Il a tous les soins nécessaires dont il a besoin avant le transfert vers ces structures », explique le patron de l’Hôpital Central de Yaoundé.

Arguments et contre arguments

Comment comprendre une telle situation ? « Initialement la maternité principale c’était juste pour les accouchements (ce qui est une faute) et les pédiatres venaient de la Fondation pour examiner les bébés. Avec le temps, on a commencé à y affecter des pédiatres sans toutefois ajuster le plateau technique », confie un médecin ayant été en service au sein de l’hôpital.

Pour le Dr Albert Ze, le manque de couveuses au sein de cette structure de référence illustrerait le peu d’intérêt accordé à la survie des enfants. « C’est une situation qui démontre le manque de sérieux que subi le système de santé en général. Ce manque qui existe depuis des années fait aujourd’hui ressortir le caractère léger qu’on attribue à la survie des enfants qui représentent un groupe social prioritaire », critique l’économiste de la santé.

Une analyse contestée par le Pr Fouda. « La couveuse seule ne sauve pas l’enfant. Il faut tout l’accompagnement autour ; il faut une grande unité de néonatalogie, avec des pédiatres, infirmières, couveuses, oxygène et tout ce qui accompagne une bonne prise en charge de ces prématurés », plaide ce dernier. Toujours est-il qu’« il est question de donner le statut réel de maternité à la maternité principal de l’hôpital central », tranche notre source médicale.

Pour lui, les maternités qui sont des lieux de santé assurant le suivi de la grossesse, l’accouchement et les suites de couche de la femme enceinte, doivent aussi être des lieux de suivi des nouveaux nés. Ce qui ne semble pas être le cas à l’hôpital central. Du moins pour ce qui est de la prise en charge des bébés nés prématurément où les capacités de l’hôpital sont largement en deçà de la demande.

Affaire des quadruplés décédés

En tout cas, cet état de chose est dommageable par les populations qui en payent parfois le prix fort. Victime de cette carence en couveuses, Anne Christelle Ntsama n’a pas eu la joie de porter ne serait-ce qu’un seul de ses quatre bébés nés le 11 mai 2020 à l’hôpital central de Yaoundé.

Les quadruplés prématurés de sexe masculin (deux) et féminin (deux) sont tous décédés l’un après l’autre. Ils avaient un poids d’un kilogramme et présentaient tous une immaturité pulmonaire. « Donc c’est pourquoi malgré l’oxygène, ils étaient cyanosés », fait savoir le Pr Fouda.

La jeune mère de 21 ans démunie, arrivée au sein de cette Fosa le 10 mai, après deux visites prénatales effectuées en novembre 2019 et le 8 mai 2020. « Quand nous la recevons, nous avons une histoire d’une grossesse qui n’était pas suivie dans les règles. II y avait une grande discordance entre l’âge de la grossesse qui a été évalué par rapport à la date de ses dernières règles et les éléments cliniques nous avions. Elle se plaignait de douleurs intenses. L’équipe qui l’a reçu a constaté que l’accouchement était imminent », explique le Dr Essiben Félix, coordonnateur adjoint de la maternité.

Elle donne donc naissance dans la nuit du 11 mai, à ces bébés dont le premier décédera malheureusement autour de 7h30. Les trois autres « sont entrés en détresse respiratoire et à 13h, 14h et 17h, nous les avons perdus successivement », relate le gynécologue obstétricien.

Chances de survie

Cet enseignant à la Faculté de médecine et des sciences biomédicales (Fmsb) est formel. « Les petits poids de naissance sont difficiles à prendre en charge. Malheureusement, leur faible poids de naissance fait en sorte que la maturité pulmonaire n’est pas totalement acquise chez ces nouveaux nés. Leur taux de mortalité est très élevé ».

Compte tenu donc de ce que les poids étaient petit, il était question de trouver des places dans un service de néonatalogie en mesure de prendre en charge ces prématurés. « Malheureusement, notre équipe n’a pas pu trouver les places dans aucune formation sanitaire partenaire », regrette ce dernier.

En effet, ni à la Fondation Chantal Biya, ni le CHU, ni l’hôpital de la Cnps, encore moins l’Hgopy n’a été en mesure de trouver une place aux bébés de Anne Christelle. C’est dans un hôpital privé qu’on a pu trouver quatre places.

Seulement, une caution de 100 000 Fcfa pour une admission a été exigée. « La famille n’ayant pas pu réunir cette somme, les enfants n’ont pas pu être transférés mais ils étaient conditionnés chez nous, sous oxygène », indique le Dr Essiben.

Négligences médicales ?

L’hôpital central de Yaoundé aurait-il pu sauver ces bébés au regard de ces antécédents ? « Pendant leur séjour dans notre service de néonatalogie, ils ont reçu les soins que nous avons pu les administrer », se dédouane le coordonnateur adjoint de la maternité. Et ce dernier de poursuivre : « Je pense que notre équipe a réagi de façon professionnelle. Nous sommes des professionnels de santé qui prodiguons des soins et nous avons agi au mieux pour ces enfants. Ce qui devait être fait pour eux a été fait ».

Pour Anne Christelle, il n’y a pas eu de négligences médicales et l’hôpital central de Yaoundé a été de bonne foi. « L’hôpital m’a aidé à trouver les couveuses, en vain », dit-elle.  Sauf que la jeune maman affligée déplore le peu de prise en charge psychologique dont elle a été victime. « Il faut un temps pour la préparer psychologiquement à ces décès. Le contexte psychologique est tel qu’il y a la fragilité de la personne à un moment donné. On peut lui annoncer la mauvaise nouvelle et provoquer le risque de la pousser au suicide », plaide le Pr Fouda.

Seulement, pour ce cas, c’est par l’intermédiaire de sa sœur que la jeune maman a appris que sa progéniture est passée de vie à trépas. A cette douleur, est venue s’ajouter le stress de l’insolvabilité d’une facture de 54100 Fcfa que sa famille ne parvenait pas à solder. « C’est nous qui essayions de lui remonter le moral et de la rassurer que tout allait renter dans l’ordre », informe le frère de Anne Christelle.

Lequel s’insurge contre le traitement dont sont victimes les patients au sein de cette Fosa publique. « D’après ce malheureux constat, considérer l’hôpital Central comme référence relève d’une duperie. Cet hôpital accumule en ce moment un ensemble de manquement qui font de lui un établissement de santé douteux », assène le Dr Albert Ze.

 

Réactions

Pr Pierre Joseph Fouda, directeur de l’hôpital central de Yaoundé

« Il n’y a pas eu de rétention »

Lorsqu’on a porté quatre enfants et qu’on les perd tous, même si la grossesse s’est déroulée dans des conditions très difficiles et compte tenu de l’âge éventuel de la grossesse et du poids des enfants, dans nos conditions ce n’est pas évident. C’est douloureux. Nous lui adressons nos condoléances. Il y a eu une procédure, la major a fait son travail. Dans le cas d’espèce, il n’y a pas eu de rétention. Quand une femme accouche, il faut la garder en observation 48h. On est dans les délais. J’ai pris la décision de la garder parce qu’on ne s’était pas vus et que beaucoup de choses se disaient dans les réseaux sociaux. Je voulais qu’on échange. Il n’y a jamais eu de problème d’argent. Les gens racontent n’importe quoi et ce n’est pas le moment. Bien sûr qu’il s’agit de mort d’homme et c’est important mais c’est tout ce qui se dit autour qui n’est pas correct. Il faut que les gens soient responsables. Elle n’a jamais été retenue. Il est question qu’elle revienne pour qu’on lui fasse un bilan. On connait sa situation financière, nous allons la prendre en cherche pour l’accompagner pour les grossesses futures. On lui adresse nos condoléances.

 

Anne Christelle Ntsama, mère des quadruplés décédés.

« Je reproche à l’hôpital de m’avoir caché la mort de mes enfants »

Je reproche à l’hôpital de m’avoir caché la mort de mes enfants. Quand je suis allée regarder les deux enfants, une dame m’a demandé d’aller mettre le foulard. Puis, elle m’a demandé d’attendre l’heure de passation pour les voir. C’est ma sœur qui m’a informé que mes bébés sont morts. Je me sens mal parce que sur quatre enfants, je n’ai eu aucun survivant. Je voulais au moins qu’un enfant reste en vie, après toute ces souffrances. Si au moins il y avait des couveuses. J’étais à l’hôpital parce que je devais payer 54100 Fcfa. Mais le DG m’a fait venir pour m’expliquer que j’ai été retenue parce qu’il voulait me voir pour connaitre la personne qui a donné naissance au quadruplé.

 

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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