Gouvernance. Ces dépenses superflues du Fonds spécial de lutte contre le Covid-19 au Cameroun

Olive Atangana
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Joseph Dion Ngute, chef du gouvernement.

En contexte de crise sanitaire comme celle liée au Covid-19, il faut optimiser les dépenses. C’est du moins ce que soutient Albert Ze, économiste de la Santé et consultant à l’Institut de recherche pour la santé et le développement (Iresade). Au moment où la gestion du Fonds Spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le Covid-19 de 180 milliards de Fcfa ( et des 135 milliards débloqués par le Fonds Monétaire international) agite l’opinion publique (depuis que le chef de l’Etat Paul Biya a prescrit un audit de la gestion desdits fonds et « l’ouverture d’une enquête judiciaire contre les auteurs, co-auteurs et complices des cas de malversations financières y relevés »), ce chercheur vient de commettre une analyse « de la pertinence des activités proposées » dans ce cadre.

Cette note adressée à la Chambre des comptes répertorie les dépenses superflues réalisées dans le cadre de ce financement de 180 milliards de Fcfa dont la Cour suprême et 23 ministères ont bénéficié. En effet, le document démontre que dans le cadre de la dotation de ce fonds spécial, le Cameroun aurait pu faire une économie de 11,84% de l’enveloppe globale. Soit environ 21 milliards 320 millions 555 mille 600 Fcfa. « Cette somme représente le montant des activités dont la pertinence est non significative », peut-on y lire. Cette remarque concerne la délégation générale à la sureté nationale (Dgsn) et 15 ministères.

Parmi eux, le ministère de la Santé publique (Minsanté) qui a bénéficié d’une enveloppe de 45 milliards de Fcfa. Au sujet de son programme 971 portant Renforcement du système sanitaire, Iresade et son consultant soutiennent par exemple que pour la prise en charge des cas confirmés (Action 2) ayant bénéficié de 32 milliards de Fcfa, certaines des activités prévues à cet effet n’avaient pas lieu d’être. Notamment la construction, l’extension, la réhabilitation et l’aménagement des centres d’isolement des patients positifs au Covid-19, de même que l’aménagement des Centres de mise en quarantaine dans les logements sociaux et l’acquisition des ambulances médicalisées.

Par conséquent, elles « doivent être recadrées pour être optimales ». Par exemple, le test de dépistage étant systématiquement imposé à tout voyageur, le pays a plutôt « besoin des centres d’isolement aux entrées (Aéroports, Ports, etc…) afin que la mise en quarantaine soit faite automatiquement en cas de patient positif ». Aussi, « Le pays ayant opté pour le dépistage communautaire, il n’est plus optimal d’acquérir des ambulances ». Par ailleurs, Iresade et son économiste de la Santé pensent que « la mortalité n’est pas un indicateur inquiétant » au stade actuel de la crise. « Ce qui ne justifie pas l’aménagement des morgues ».

Doublon et activités « vides »

Dans l’action 3 (régulation sociale) pour un montant de deux milliards de Fcfa, l’activité 1 (renforcement des mesures barrières contre le Covid-19) « est vide » et l’activité 2 (gestion de l’hygiène et de l’assainissement des milieux ouverts au public) se trouve déjà au ministère de la décentralisation (Action 3, activité 1). « Ce qui constitue un doublon », écrit le Dr Albert Ze.

 

Autre ministère épinglé, celui de la Communication (dont l’enveloppe était de 420 millions de Fcfa). A travers l’action 3 (régulation sociale) de son programme 971 (Renforcement du système sanitaire), le Mincom devaient mener les activités 1 et 2. Lesquelles correspondent à l’intensification de la sensibilisation de proximité dans les espaces publics et les établissements scolaires à travers les caravanes mobiles sonorisées dans les dix régions et l’animation des cadres de dialogues communautaires avec les leaders d’opinion et les médias de proximité mobilisés pour la promotion des bonnes pratiques liées à la thématique du coronavirus. Sauf que, celles-ci « relèvent essentiellement de la promotion de la santé », dont la direction se trouve au Minsanté.

Allouer donc ces financements au Mincom pour des activités devant être menées à la DPS constitue ni plus ni moins, « un doublon ». Il en est de même pour l’action 3 (régulation sociale) du programme 971 (renforcement du système sanitaire) du ministère des Transports (1 milliard de Fcfa). En réalité, toutes les activités liées à la sensibilisation et au respect des mesures barrières sont à la charge de la DPS du Minsanté. Et donc, « Le financement de toutes ces activités constituent un gaspillage de ressources ». Les activités de prise en charge médicale et psychologique des étudiants attribuées au ministère de l’Enseignement supérieure (avec une enveloppe de 6 milliards de Fcfa) sont également superflues à en croire le document car, elles relèvent du Minsanté.

Dans ce ministère, bien d’autres activités budgétisées comme celles 3 et 4 (approvisionnement en eau potable, hygiène et salubrité au sein des campus) « sont des taches habituelles des universités ». Celle 5 (veille de la distanciation sociale et de la sécurité au sein du Campus) « est vide » de sens. Au ministère des Mines, de l’Industrie et du développement technologiquement (un milliard de Fcfa) les fonds destinés à la mise en place d’un fonds de relance au profit du secteur productif « peuvent être dirigés spécifiquement à l’industrie pharmaceutique traditionnelle qui a démontré sa forte efficacité dans la lutte contre le coronavirus au Cameroun ». Autre ministère, celui de la Recherche scientifique et de l’Innovation (enveloppe de 6 milliards de Fcfa), l’activité 1 (utilisation des plantes médicinales traditionnelles pour le contrôle des parasites intestinaux des ruminants et des maladies/ravageurs des plantes et produits agricoles) de l’action 3 « n’a aucun impact dans la lutte contre le Covid », affirme le chercheur.

De même, l’activité 1 (évaluation de la performance des tests de dépistage rapide de la Covid-19 en vue de la certification) de l’action 1 (développement de la recherche et de la production des produits pharmaceutiques de première nécessité) est inutile. Car, « les tests soumis sur le marché sont déjà certifiés. Il serait donc inutile de les soumettre encore à une certification dont on peut se passer ». Et donc, ces fonds pouvaient être alloués « à une activité plus significative dans le cadre de la recherche », indique l’économiste. Les ministères de l’Education de base, de l’Administration territoriale, de la Défense, du Commerce, de l’Economie, de la planification et de ‘aménagement du territoire, de la Jeunesse et de l’Education civique, du Travail et de la sécurité sociale, de la Promotion de la femme et de la famille n’échappent pas à cette analyse minutieuse des dépenses « inutiles » des fonds Covid-19. En conclusion, toutes ces activités sont « non significatives» et ne devraient pas «bénéficier des financements du fonds spécial».

A noter que le SGPR, Ferdinand Ngoh Ngoh est le nouvel ordonnateur de ce Fonds spécial Covid-19. Il va ainsi coordonner la Task-Force dédiée à la riposte contre cette pandémie au Cameroun.

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Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.
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