Gestion des Rh/Minsanté. Critiques acerbes des Médecins du Cameroun

Dans une correspondance datant du 4 septembre 2019, cet influent regroupement de médecins émet des réserves sur la pertinence de certaines affectations des médecins spécialistes décidées par l’autorité tutélaire du secteur de la santé publique.

L’Association Médecins du Cameroun (MedCamer) s’inquiète. Dans un pamphlet de sept pages, ce mouvement de médecins exerçant au Cameroun et à travers le monde dénonce la mauvaise gestion des ressources humaines au ministère de la Santé publique (Minsanté). En ligne de mire, les récentes nominations des personnels de Santé dans les services déconcentrés. « Certaines de ces nominations pourraient engendrer des difficultés sérieuses pour les professionnels concernés et pour les patients auxquels ils sont dévoués », alerte Dr Moulion Tapouh Jean-Roger, président de MedCamer. Pour illustrer ses réserves, l’association expose huit cas de mutations de médecins spécialistes, arrêtées le 4 septembre dernier par le ministre de la Santé publique, Manaouda Malachie.

D’abord le cas du Dr Njifou Njimah Amadou. Ce médecin ORL en service à l’hôpital de District de Mbouda est le nouveau chef de district de santé d’Ebebda. Pour MedCamer, nommer cette « référence particulièrement demandée » à Ebebda, « prive la population d’un spécialiste assez sollicité et on court le risque considérable de voir ce dernier décliner sur le plan médical et chirurgical », soutient le Dr Moulion Tapouh Jean-Roger, président de MedCamer.

Le cas du Dr Kengne Lot, médecin Biologiste, précédemment Conseiller médical à l’hôpital régional d’Ebolowa n’en est pas moins inquiétant aux yeux de MedCamer. Car, sa nomination à l’hôpital de district (HD) de Djoum, un hôpital enclavé, fera de lui sur le plan technique, un médecin « extrêmement sous exploité, alors que dans un endroit comme Sangmelima, Ebolowa, Kribi, il aurait pu servir de référence pour tous les cas difficiles de sa spécialité », indiquent ses confrères.

Le sort réservé au Dr Ouassouo Passang Saibou, médecin Chirurgien, affecté à l’HD de Massagam, est également critiqué par MedCamer. Seul chirurgien du département du Noun après cette nomination, « malheureusement, il se retrouve dans un village enclavé où non seulement il n’aura pas grand monde à opérer, mais il ne pourra pas recevoir en référence les cas difficiles de chirurgie provenant des autres formations sanitaires du département », soutient le président de MedCamer. La situation du médecin Cardiologue Dr Pepoumi Mama Nourdi, est un peu similaire. Précédemment directeur de l’HD de Foumbot, il officie désormais à Galim, une localité relativement enclavée et sous-peuplée du département de Bamboutos (région de l’Ouest). « Il ne sera pas d’une grande utilité et ne pourra pas vraiment servir comme médecin référent », s’indignent ses confrères.

Affectations à tête chercheuse ?

Le cas du Dr Eloundou Onomo Paul Adalbert, médecin Rhumatologue est aussi mis en exergue dans ce chapelet de critiques. L’ex patron de l’HD d’Efoulan est muté à Okola. « Sur le plan clinique, ce médecin n’aura plus le plateau technique nécessaire pour exercer convenablement la rhumatologie et nul ne lui référera des cas difficiles à Okola », déplore l’association. De l’avis de Dr Moulion Tapouh, cette mutation est d’autant plus « dommageable » que « les rhumatologues sont peu nombreux au Cameroun».

Dans ses récentes décisions, Manaouda Malachie confie les rennes de HD de Djoungolo au Pr Omgbwa Eballe André. C’est dans cette formation hospitalière que l’ophtalmologue chevronné doit faire valoir ses talents de praticien et de gestionnaire. Mais ce nouveau challenge pourrait mettre du plomb dans l’aile aux projets initiés par le promu durant les deux ans qu’il a passé à la tête de l’ HD de Biyem-Assi. Le Pr Omgbwa Eballe André y a par exemple créé un service d’ophtalmologie « particulièrement performant », au point où l’HD de Biyem-Assi « devenait progressivement un centre de référence en ophtalmologie », note le Dr Moulion Tapouh Jean-Roger. Pour préserver l’envol de « ce pole d’excellence », le Minsanté aurait pu affecter un autre spécialiste pour maintenir le cap et pérenniser l’initiative. Que neni.

Frustrations, sanctions, rétrogradation

Pour MedCamer, les nominations du Minsanté ont « un fort relent (apparent) de sanction ou de rétrogradation ». Conséquence : « De nombreux collègues sortent très frustrés des derniers mouvements, et de manière générale, la consternation habite plusieurs d’entre nous. L’on se dit qu’il ne fait pas bon d’être un médecin du Minsanté de nos jours. Qu’on soit félicités ou vertement critiqués à la télévision, notre sort semble être le même », rapporte la correspondance du 04 septembre. Et ce n’est pas tout. De fait, les médecins se sentent « pris en étaux entre un Minsanté qui semble ne voir en nous (Ndlr : médecins) que des insuffisances et une population qui devient de plus en plus belliqueuse et violente, nous lançant quotidiennement à la figure que même notre Ministre sait que nous sommes tous pourris ; un système de santé qui a de nombreuses insuffisances et nous empêche souvent, par ses tares intrinsèques, de donner le maximum de nos potentialités au services des patients », regrettent ces derniers.

Aussi, « Certaines de vos actions vigoureuses ont nourri le sentiment que vous étiez en guerre contre tous les personnels de santé. L’impression qui se dégage est que vous estimez qu’il n’y a que des incompétents, des paresseux, des tricheurs et des corrompus dans les formations sanitaires que vous dirigez », assène le mouvement de médecins.

Toujours est-il que « l’état d’esprit global dans la profession médicale n’est pas de nature à véhiculer avec allégresses les bonnes intentions qui sous-tendent manifestement vos initiatives », renseigne MedCamer. Voilà pourquoi, l’organisation « se contente juste d’attirer son attention parce qu’il y a des mutations embarrassantes et c’est la population qui en souffre. Si on place des spécialistes à des endroits où ils ne leur seront pas utiles elle va en souffrir », explique le Dr Moulion Tapouh Jean-Roger.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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