Dr Shalom Tchokfe Ndoula : « La population ne devrait pas avoir peur du vaccin anti Covid-19 »

 Dans un entretien fleuve, le Secrétaire permanent du Programme élargi de vaccination (PEV) revient sur l’évolution de la campagne de vaccination contre le Covid-19 au Cameroun depuis son lancement, les difficultés, les conséquences de la réticence du personnel médical face à ce vaccin et exhorte la population à plus d’adhésion.

Plus d’un mois après le lancement de la campagne de vaccination au Cameroun, comment se déroule les opérations sur le terrain ?

La vaccination Covid-19 fonctionne actuellement comme une routine c’est-à-dire il y a des équipes qui ont été formées et qui travaillent sur le terrain. En réalité, c’est une vaccination qui doit être introduite dans la vaccination de routine du Programme élargie de vaccination comme on vaccine avec le BCG, la fièvre jaune par exemple. C’est d’ailleurs ça l’objectif. Il y a une étape ou cette vaccination devrait être intense mais avant qu’elle ne le soit, il faut que les populations soient informées. C’est ce goulot qu’il faut lever. Si on le lève, à partir de ce moment, on fait un passage de campagne et elle entre dans la routine simplement. Parce que nous ne savons pas quand cette pandémie au nouveau Coronavirus va finir et par conséquent, cette vaccination doit entrer dans la routine.

Comment l’introduction dans le PEV de routine va se passer ?

Nous allons étendre à toutes les cibles c’est-à-dire à toutes les personnes âgées de 18 ans. Normalement, c’est dès cette semaine. Ceux qui voudront se faire vacciner vont simplement se rendre dans une formation sanitaire et ils recevront le vaccin. Ils auront le choix entre AstraZeneca, Johnson and Johnson et d’autres vaccins dont Spoutnik que le PEV va s’arranger à avoir en quantité suffisante. Il y a des personnes pour une raison qui nous échappe encore, qui veulent se vacciner avec Spoutnik. Johnson and Johnson c’est notre vaccin qui sera lui aussi bien évidemment disponible. Nous organiserons une campagne de masse quand nous en disposerons. Et c’est cette campagne de masse qui peut être salvatrice pour le Cameroun avant la Coupe d’Afrique des Nations 2022. Parce qu’une seule dose protège la population et c’est un vaccin qui couvre tous les variants. En plus, il est adapté à notre contexte.

Comment qualifierez-vous l’évolution de cette vaccination depuis le démarrage ?

Pour nous, c’est une bonne évolution si on regarde de façon comparée les autres pays d’Afrique.  La courbe monte au Cameroun. Mais pour atteindre notre objectif, il faut que la courbe monte plus rapidement que ça ; que le nombre de personnes vaccinées soient plus élevé. Pour cela, il faut vacciner au moins 4000 personnes par jour. Or nous vaccinons en ce moment entre 1500 et 2500 personnes par jour. Il y a des jours où on atteint 3000. Nous avons atteint 5000 personnes vaccinées un jour. Mais déjà la moyenne est faible. Donc en fait, on n’a pas un rythme fixe parce que tout dépend aussi de la disponibilité. C’est pourquoi il faut toutes ces stratégies que nous avons prévu de déployer.

Le Cameroun ne risque-t-il pas de se retrouver à cours de vaccins si le rythme de la vaccination s’accélère ?

Ce sera difficile. Même si ce rythme s’accélère, nous avons des leviers pour les approvisionnements d’urgence. Nous saurons où frapper pour cela. C’est le secret du PEV qui est entrain de travailler en ce moment dans un contexte très difficile mais reste debout. Ce qui manque au dispositif de riposte, c’est la communication de proximité ; Interagir avec les populations c’est-à-dire ils posent les questions auxquelles nous apportons des réponses. Nous avons pour ambition d’organiser un café scientifique avec les médias dans un premier temps. L’Etat s’est manifesté mais les ressources financières mises à notre disposition ne peuvent pas couvrir tous les besoins. Or, la population manque cruellement d’informations où elle peut poser ses questions et trouver en retour un cadre adéquat de réponses. C’est vraiment la communication de proximité qui nous manque et en amont, les Hommes des médias et les influenceurs.

Comprenez-vous la peur des camerounais vis-à-vis de ce vaccin anti Covid-19 ?

La population ne devrait pas avoir peur. Mais nous pouvons comprendre que l’actualité ailleurs autour de ce vaccin a détruit la confiance et il est difficile de la reconstruire. Nous en sommes conscients. Ça nous prendra du temps mais ça viendra. Malheureusement, les populations ont déjà des positions tranchées vis-à-vis de ce vaccin et c’est le personnel de santé qui a en partie contribué à cet état des choses.

N’est-ce pas là votre plus grande difficulté du moment ?

C’est même l’enjeu de la vaccination contre le Covid-19. Ce n’est pas la formation du personnel, la disponibilité des vaccins et autres mais c’est juste l’adhésion des populations. C’est le seul enjeu. Mais nous n’allons pas forcer les gens à se faire vacciner bien évidemment.

Le refus de vaccination des personnels de santé ne favorise-t-il pas aussi ce peu d’adhésion des populations ?

C’est justement ça l’un des problèmes parce qu’il fallait que la personne qui connait le plus c’est-à-dire le personnel de santé adhère. Mais le personnel de santé est un corps difficile en consensus et c’est vraiment le prototype du mauvais patient.

Quel est le problème que leur peu d’adhésion pose aujourd’hui ?

A vrai dire, ils vont perpétuer la mauvaise information. Si la couverture au sein d’un hôpital est faible, lorsque va survenir la 3e vague, elle va emporter davantage les personnes les plus exposées et donc, ces personnels de santé. Nous ne souhaitons pas une 3e vague mais si elle vient, elle va faire des ravages auprès de ces personnes. Mais pour nous, il faut d’abord préserver la vaccination de routine et se préparer à une éventuelle 3e vague même si c’est hypothétique parce que le pic de la 2e vague est déjà passé.

Quelles stratégies le PEV entend mettre sur pied pour reconstruire cette confiance des populations vis-à-vis du vaccin contre le Covid-19 principalement ?

C’est investir dans la communication de proximité. Et nous avons un plan de communication à ce propos. Mais, sa mise en œuvre effective demande une mobilisation des ressources financières pour pouvoir nous déployer que nous n’avons malheureusement pas encore. Néanmoins, nous saurons contourner cette barrière financière. Nous devons faire une mise à jour à ce propos. Parce que le Covid c’est comme tout cas de nouvelle maladie. Les choses changent avec les évidences qu’on découvre chaque jour. Par exemple aux Etats Unis, on vaccine à partir de 12. On estime aussi qu’une personne vaccinée ne transmet plus la maladie. Or une personne vaccinée transmet toujours la maladie.

Dans ce cas à quoi sert finalement le vaccin tel que s’interroge une frange de la population ?

Avec le vaccin, quand vous arrivez à une immunité de 60%, vous pouvez enlever les masques parce que vous avez interrompu la chaine de contaminations. En fait, ça fonctionne comment ? Si plusieurs personnes ne sont pas vaccinées, les chances d’être porteur dans les voies respiratoires sont élevées parce que vous êtes en contact avec les autres. Vous pouvez être porteur du virus dans les voies respiratoires mais vous ne faites pas la maladie. Maintenant quand vous allez tousser, vous allez expulser et les gens vont respirer. Pour protéger les autres, vous qui êtes vacciné vous continuez à porter le masque. Mais pour celui-là, même s’il est infecté, il peut faire la maladie sous forme modérée et cela peut passer inaperçue. Maintenant, il y a des non répondants au vaccin c’est à dire vous les vaccinez et leur organisme ne réagit pas. Il va faire une maladie. C’est pourquoi les taux d’efficacité des vaccins sont variables. Même pour le vaccin contre l’hépatite B, il y a de nombreux non-répondants au Cameroun.

Finalement, même si je suis vaccinée je peux toujours être porteur du virus…

Bien sûr. Ce que nous recherchons vraiment c’est prévenir les décès. Le Coronavirus est une maladie virale qui normalement se résorbe toute seule à plus de 90%. C’est la même chose avec la rougeole qui se soigne toute seule. Il n’y a pas un traitement. Mais l’enfant qui n’est pas vacciné contre la rougeole va faire une forme grave et va décéder. C’est la même chose ici. Dans un premier temps c’est vraiment diminuer les formes graves et les décès. Mais tu peux faire la maladie. Maintenant si dans le carré où vous vous trouvez à un certain moment il n’y a que 3 personnes non vaccinées, la plupart n’ont plus de virus dans leurs voies respiratoires et on demande donc d’enlever les masques. C’est le cas en Israël, aux Etats Unis et en Grande Bretagne.

Pourquoi le président de la République ne s’est pas fait vacciner ?

Il n’y a aucune preuve que le chef de l’Etat ne s’est pas fait vacciner.

Tout comme il n’y a aucune preuve qu’il s’est fait vacciner…

Pourquoi cette fixation sur le Chef de l’Etat ? Si le Président de la République ne s’est pas fait vacciner, les opposants auraient pu prendre les devants, se faire vacciner eux, et inciter les populations à la vaccination.

Ont-ils pour cela été associés à cette campagne de vaccination et la stratégie de communication autour ?

Le PEV n’a pas une couleur politique. Le PEV garde toujours son indépendance. La vaccination des membres du gouvernement que vous évoquez s’est faite à leur demande. Le Premier ministre a écrit au ministre de la Santé publique qui nous a répercuté cette demande. Si les leaders de l’opposition avaient exprimé la demande, le PEV serait allé vers eux. Le PEV n’a pas qualité à aller vers eux sans demande. Ça devient une démarche politicienne. Il y a des postes de vaccination qui ont été mis en place et tout président d’un parti politique de l’opposition qui veut, peut se faire vacciner. Chacun pouvait prendre les devants, ne pas seulement demander à ses militants d’aller se faire vacciner mais le faire en premier. Nous ne courrons pas après les politiciens. Notre masse c’est principalement les gens qui en ont besoin et si un politicien en a besoin, sauf s’il sollicite un traitement particulier, nous n’avons aucune raison morale de refuser. Mais prendre l’initiative pour y aller peut être perçu comme de la discrimination vis-à-vis d’un parti politique. Si un parti politique prend position sur le vaccin puisque c’est une intervention de santé publique, ce serait bien.

Le SDF l’a fait lors de son dernier NEC et a appelé les populations à se faire vacciner…

C’est une initiative louable. Nous ne le leur avons pas demandé et c’est ce que nous attendons de ces partis politiques de l’opposition. Chaque parti politique peut prendre position. Vous pouvez avoir des réserves sur les stratégies et la cible et nous les exposer. C’est ce que nous attendons.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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