Dr Roger Etoa: « Le personnel de santé est désemparé et lance un cri de détresse aux autorités»

Face au malaise des personnels soignants dans cette crise sanitaire, le médecin du travail et de santé publique donne des pistes de solution pour leur assurer les conditions de travail optimales.  

Que représente pour vous le décès d’un autre médecin, personnel de santé infecté et arraché à la vie par le Coronavirus ?

Le décès du Dr Kwedi Félix représente un décès de trop dans la communauté médicale. Nous savons tous que nous sommes en guerre. C’est une guerre biologique et aujourd’hui les soldats semblent désemparés. Ils ne sont pas équipés, ils n’ont pas assez de munitions et ils n’ont probablement pas assez de ration pour tenir pendant cette guerre. C’est un décès de trop. Ça commence déjà à faire beaucoup dans la communauté médicale camerounaise. Les personnels de santé deviennent de plus en plus la cible de cette épidémie et il va falloir que les autorités sanitaires réagissent très vite. Il va falloir que tous les patrons et responsables hiérarchiques de ces personnels de santé prennent toutes les dispositions que ce soit dans le secteur public que privé laïc, privé confessionnel, prennent les dispositions parce qu’aujourd’hui, tout patient qui entre dans un cabinet est potentiellement un malade du Covid jusqu’à preuve du contraire. Les personnels de santé doivent être parfaitement équipés pour pouvoir neutraliser cet ennemi. Donc nous sommes tristes. Ce décès nous assomme. Nous sommes désemparés. Nous lançons un cri de détresse aux autorités, à la société, de nous soutenir dans cette lutte. Si les soldats tombent les uns après les autres, j’ai bien peur que tout le reste du pays risque d’être envahi par cet ennemi biologique.

Le constat fait état de ce que ce personnel de santé au front contre le Coronavirus est dénué de matériels adéquats. Comment travailler dans ces conditions ? 

C’est extrêmement difficile de travailler dans ces conditions. Mais ce n’est pas une situation inhérente au Coronavirus. C’est une situation qui existait bien avant l’épidémie. De manière structurelle et de façon chronique, les personnels de santé travaillent dans des conditions qui ne sont pas adéquates. En termes d’équipements, les bâtiments hospitaliers ne sont toujours dans un état de sécurité et de propreté ; l’hygiène hospitalière n’est pas toujours mise en place de façon optimale. Ce qui favorise d’ailleurs les maladies nosocomiales. Il faut y ajouter le fait que les équipements de protection individuelle ne sont pas adéquats déjà avant et même pendant cette épidémie. Parce que quand on voit comment en Occident les personnels sont équipés pour la gestion de cette épidémie en termes de matériel, de blouse, de surblouse, de casaques, de visières, de gants, de bottes et que malgré tout ça elles arrivent quand même à contracter le coronavirus sur le lieu du travail, nous le personnel qui sommes au pays on a lieu de s’inquiéter. Parce que nous travaillons évidemment dans des conditions moins optimales que ces personnels de santé dans les pays occidentaux. Evidemment, c’est un problème et nous espérons que l’Etat va prendre à bras le corps ce problème et qu’il va le résoudre.

A cette situation, s’ajoutent les plaintes de non-paiement et parfois d’absence de primes de risque. Que représente un personnel en colère et démotivé dans le cadre d’une crise sanitaire comme celle-ci dans un système de santé ? 

Evidemment, la motivation est une composante essentielle dans la gestion de l’épidémie. Les personnels qui travaillent en termes de risques accrus doivent en dehors d’être équipés, doivent être motivés. La motivation peut se dérouler sous plusieurs formes. Il peut avoir une motivation financière avec une augmentation salariale ou des augmentations de primes telles que les primes d’astreintes parce qu’il faut savoir qu’aujourd’hui, avec la charge de travail, il y a des médecins, des personnels de santé qui font 24, 48 voire 78 heures de garde. Donc il faut augmenter les primes d’astreintes, de risque parce que la personne la plus à risque de contracter le coronavirus aujourd’hui dans le monde c’est le personnel de santé. Donc il faut augmenter ses primes de risque. Ce sont les motivations financières. Evidemment qu’il y a d’autres qui sont non financières qui sont par exemple dans l’appréciation de travail au quotidien des personnels de santé, dans la reconnaissance de leurs efforts. Cela peut aller simplement par des lettres de félicitations, par la prise en compte de leur situation dans les discours des hommes politiques. Que ce soit le ministre de la Santé, le premier ministre, le président de la République ou même d’autres acteurs de la vie civile et politique de notre pays et même les citoyens lamda. Vous savez par exemple qu’en France, il y a une initiative ou chaque jour à 20 heures, les gens applaudissent les personnels de santé de France à travers les fenêtres et pendant de longues minutes. Ce sont des gestes qui font chaud au cœur, qui montrent aux personnels de santé qu’ils ne sont pas seuls dans cette lutte contre le coronavirus, qu’on les encourage, qu’on les considère aujourd’hui comme de vrais héros. Parce que c’est grâce à eux qu’aujourd’hui la société tient, quelle a un espoir de sortir de cette crise

Le Cameroun dispose-t-il d’une ressource humaine en quantité pour la prise en charge des malades de Covid-19 ?

Evidemment non. Vous savez la prise en charge des patients du Covid est divisée en plusieurs étapes. D’abord pour les malades asymptomatiques, on n’a pas besoin de faire une prise en charge assez intense. Il faut juste les surveiller. Et ça, tout personnel de santé peut le faire. Et c’est 30% de la population. Ensuite il y a des malades peu symptomatiques qui présentent les signes mineures et moyens de la maladie tel que la toux, une simple fièvre, a quelques petites difficultés respiratoires. Il faut prendre ceci en charge en milieu hospitalier. Il y a une portion de 5-10% de patients qui ont besoin d’une prise en charge en réanimation. Et ça c’est très important parce qu’aujourd’hui on parle du débat des respirateurs, certains équipements de réanimation mais il faut également les réanimateurs. Je doute fort que le Cameroun ait assez de réanimateurs déjà pour gérer les urgences de réanimation chirurgicales quotidiennes et encore plus pour gérer le flux des malades qu’il faut gérer en réanimation. Donc, il faut peut-être dans l’urgence, capaciter les médecins qui sont déjà là aux techniques et gestes usuelles de réanimation. Aujourd’hui, en Italie, il n’est pas rare de trouver des urologues et gynécologues dans des salles de réanimation. Donc on peut faire la même chose au Cameroun c’est-à-dire capaciter les médecins généralistes ou d’autres spécialistes pour pouvoir essayer de renforcer les équipes qui travaillent en réanimation.

Certains se plaignent d’être lasses, d’avoir peur et des conditions de travail difficile… Que faut-il faire pour les encourager ? 

La médecine est d’abord un sacerdoce. Ils vont devoir supporter mais être motivé parce qu’aujourd’hui, toute l’espoir de la survie de l’humanité repose sur les personnels de soin. Donc ils devront encore pouvoir supporter au plus profond de leurs tripes pour pouvoir tenir le temps que les scientifiques puissent trouver une solution définitive à cette épidémie. Je sais que ce n’est pas facile mais c’est aussi un beau challenge de penser que demain si on a pu passer cette crise, c’est parce que nous les médecins, les personnels de santé nous y avons largement contribué.

Avec cette situation, ne court-on pas le risque d’un burn-out général du personnel médical ?

Dans le milieu hospitalier on appelle ça la souffrance du soignant. C’est un vrai risque qui peut être ménagé que ce soit de façon institutionnelle par des mesures que prennent les dirigeants ou les responsables des formations sanitaires, mais également par les mesures individuelles que prennent les personnels de santé. Il faut savoir se donner au travail mais également se ménager, dormir suffisamment, éviter les excitants comme le café, le tabac et un certain nombre d’autres toxiques. Il faut aussi savoir profiter de sa famille ; sortir, prendre un peu d’air dans des conditions sécurisées, manger sain, éviter l’alcool et des aliments qui n’ont pas une très grande valeur diététique.

En tant que médecin du travail au moment où d’après les dernières statistiques du Minsanté 23 personnels de santé sont infectés par le coronavirus et deux d’entre eux sont morts, que faut-il faire pour leur assurer des conditions de travail optimales et une sécurité au travail ? 

C’est un vaste programme. Il faut mettre en place des mesures de prévention. D’abord la prévention primaire c‘est à dire empêcher que les personnels de santé contractent la maladie, empêcher tous ces facteurs de risque notamment en terme par exemple de distanciation sociale ; par exemple alléger les équipes pour qu’elles ne soient plus confinées dans des espaces de travail exiguës. Il faut éclater les équipes pour qu’il y ait des rotations, un turn-over avec des équipes réduites et garder des mesures de distanciations sociale, ne pas rester très proche les uns des autres que ce soit sur les espaces de travail, dans les bureaux, les salles de réunions, les dortoirs et les cantines, à l’hôpital, à domicile. Ensuite il faut renforcer l’hygiène hospitalière en faisant du traitement phytosanitaire par exemple, avec des solutions hydro chlorées à l’hôpital, ou faire intervenir des sociétés qui font dans la désinfection des bâtiments, renforcer le rythme de nettoyage de l’hôpital. Si on nettoyait l’hôpital deux fois par jour, il faut peut-être multiplier par quatre. Il faut également porter des gangs, masques ; fournir des équipements de protection individuelle et collective aux personnels de santé. Toujours dans la prévention primaire, il faut renforcer la communication parce que ce n’est pas parce qu’on est personnel de santé qu’on maitrise toujours tous les éléments de prévention. Donc il faut faire de la communication avec des affiches, des banderoles, flyers, brochures ; il faut faire des mini réunion de sensibilisation et ne pas hésiter à utiliser la voie de la communication numérique, les réseaux sociaux, sites internet.

Mais ce n’est pas tout…

Ensuite, il faut faire de la prévention secondaire c’est-à-dire dépister régulièrement les personnels de santé pour pouvoir faire de l’éviction sur le lieu de travail des personnels qui sont déjà atteints et pouvoir les prendre en charge assez rapidement et protéger le reste des personnels en activité. Il faut en plus des tests de dépistage, mettre en place des algorithmes de dépistage clinique notamment les facteurs de risque que ce soit le diabète, l’hypertension. Un certain nombre de facteurs de comorbidités qui aggravent le risque de mortalité par l’infection à Coronavirus et ne pas hésiter de mettre en repos, confinement ou quarantaine tous les personnels de santé présentant ces facteurs de comorbidité. Ensuite il faut faire la prévention tertiaire c’est-à-dire bien traiter les personnels de soin et surtout bien organiser la réinsertion et la réhabilitation sur le lieu de travail, après qu’il soit guéri ; lutter contre la stigmatisation et la discrimination y compris dans le milieu de soins. Que les personnes qui ont été infectées ne se sentent pas rejeter et puissent retrouver la pleine mesure de leur potentiel et de leur capacité de travail, en collaboration avec leurs collègues de travail.

En définitive, quelle est la solution idoine ?

Il ne faut pas aussi hésiter à renforcer le système de santé hospitalier c’est-à-dire renforcer les équipements. Il faut que les bâtiments soient très bien équipés ; il faut qu’il y ait des respirateurs et un certain nombre de choses. Il faut également renforcer le personnel. S’il travaille en flux tendu il faut pouvoir recruter et en former. Il faut augmenter le financement dédié à la santé, à l’hôpital ; il faut améliorer le système d’information hospitalier pour qu’on ait une situation exacte et en temps réel du nombre de cas et que les informations sur les nouvelles directives sur la prise en charge qui sont tous le temps changeantes puissent être mis à la disposition du personnel soignant. Il faut organiser le renforcement en médicament et en consommables parce que comme toute maladie il faut qu’elle se soigne. Il faut renforcer la gouvernance et le plan stratégique de la maladie, même au sein de l’hôpital il faut créer une cellule de crise avec un responsable qui pilote la riposte contre le coronavirus au sein de la formation sanitaire ou au sein du district de santé, avec des méthodes de suivi-évaluation adéquates ; il faut faire de la redevabilité sociale c’est-à-dire communiquer régulièrement sur l’évolution de l’épidémie à tout le reste du personnel. Voilà les quatre axes de la prévention et sécurisation du personnel de soins.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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