Dr Patrick Eloundou: « Nous n’allons plus dépendre de l’étranger pour nous soigner du cancer »

Le Pharmacien Industriel, promoteur de Tebimosa Pharmaceuticals (un laboratoire de production de médicaments), va entamer la production des anticancéreux dans son usine à Mfomakap. Ce sera avec le concours de son partenaire tunisien Cytopharm.

 

Vous ambitionnez de mettre sur pied une usine de production des anticancéreux au Cameroun. Concrètement, de quoi s’agit-il ?

Tebimosa c’est deux phases. Aujourd’hui, on a une équipe de 25 collaborateurs composée de pharmaciens, d’ingénieurs, de personnes dans tout ce qui est production, délégués médicaux à Douala, Yaoundé, Bafoussam, Garoua, administration des ventes, comptabilité. Nous avons aujourd’hui un plan sur 5 ans c’est-à-dire de 2019 à 2026. 2019, on fait une première usine de production ; 2022-2026, on agrandi. Donc, on commence avec une capacité de production de 1 million de comprimés par an, pour atteindre une capacité de 3 milliards.

Qu’est-ce que votre usine de production va changer pour les malades du cancer ?

Déjà la disponibilité du médicament, l’absence de stress de se dire : « Je dois faire une cure dans deux semaines et je n’ai toujours pas de médicaments ; je souffre de telle pathologie et c’est compliqué pour mois d’avoir le médicament adéquat. Parce qu’il y a plusieurs molécules ». Au moins déjà, on aura le stock. Donc, quelqu’un qui a commencé le traitement est certain de le terminer, parce qu’il y aura le stock disponible. C’est une avancée. Même psychologiquement, c’est très important.

Quels sont donc les médicaments que vous allez produire pour quels types de cancers ?

C’est notamment les médicaments pour le cancer du sein qui est quand même le cancer le plus courant, avec presque 35-40% ; le cancer de la prostate qu’on trouve beaucoup plus chez les hommes au Cameroun qui représente quasiment 15% ; le cancer du poumon, des ovaires, gastrique et le cancer du Colon. En gros, on est sur des produits qui touchent la plupart des pathologies cancéreuses. Sinon presque 75 à 80% des pathologies cancéreuses les plus courantes.

Malheureusement on n’en trouve pas pour le cancer du col de l’utérus qui est lui aussi courant au Cameroun, avec 19,4% de cas diagnostiqués en 2018…

Au niveau du cancer du col de l’utérus, nous sommes plutôt en association avec d’autres produits. On a commencé avec quelques molécules mais celles spécifiques du cancer du col de l’utérus vont aussi arriver.

Elles devront donc encore un peu attendre ?

Je ne pense pas. Ce que nous avons dit au Pr Paul Ndom lors des réunions avec le Comité national de lutte contre le cancer, c’est vrai qu’aujourd’hui, les autorisations de mise sur le marché sont sur ce type de cancer là mais il y a aussi un pipeline avec d’autres anticancéreux. Notamment le cancer du col de l’utérus et là, ce que nous avons dit, c’est que même si nous n’avons pas encore les autorisations de mise sur le marché et que ça correspond à un besoin vu que la production existe, si l’hôpital Général dit : « Je veux tel nombre de boites via Tebimosa cancer pour le cancer du col de l’utérus », nous allons faire une demande spéciale à la Direction de la pharmacie pour qu’elle autorise l’arrivée de ces produits qui existent déjà et sont produits par notre partenaire. Et puis progressivement, nous allons régulariser la situation avec les autorisations de mise sur le marché en bonne et due forme.

Pourquoi avoir décidé d’investir dans le traitement des cancers les plus courants ?

Tebimosa c’est fabriquer les produits de haute qualité en Afrique et pour l’Afrique. Mais quand on veut dire qu’on fait les choses pour l’Afrique, il faut vraiment les faire en Afrique pour l’Afrique. On ne peut pas dire qu’on veut se lancer à aider nos concitoyens à guérir du cancer et leur vendre un produit qu’ils vont prendre toutes les trois semaines à 220 000 Fcfa.

Le prendre à 30 000 Fcfa est-il aussi à la portée de tous ?

Ça peut encore être plus mais ce sont les produits qui sont chères à l’achat…Il y a quand un cout minimum sur les matières, la production qui fait en sorte qu’en deçà de 30 000 Fcfa, ce n’est pas possible.

Peut-on d’emblée dire que c’est une avancée la fin d’un calvaire pour ces patients ?

Oui. Parce que nous sommes déjà sur presque 75 ou 80% de toute la population. C’est déjà bien. Ce sont des produits qui sont déjà disponibles et accessibles dans toutes les pharmacies au Cameroun. Vous pouvez aller avec votre ordonnance à 9h dans n’importe quelle pharmacie et vous aurez votre produit à 11h. C’est disponible depuis le mois de décembre 2019.

Quel sera votre capacité de production en moyenne par an ?

Ça va dépendre de la demande. On va faire une étude progressive avec déjà le fait que nos médicaments soient déjà sur place ; on va recenser le nombre des différents types de cancer, le nombre de traitement par mois, etc. Ça va nous permettre d’avoir des chiffres beaucoup plus par mois, sur la volumétrie, le besoin au Cameroun. Mais notre partenaire CytoPharm est le fournisseur exclusif du marché tunisien. Donc, ils ont déjà l’expérience. Aucun médicament contre le cancer ne peut être donné en Tunisie s’il ne sort pas de notre fournisseur. Ils sont fournisseurs exclusifs et fournissent aussi d’autres pays comme la Cote d’Ivoire, le Sénégal, la Libye et l’objectif c’est non seulement à travers eux, d’internationaliser la technologie au Cameroun de telle manière à ce que ce soit Tebimosa qui fournisse le marché du Cameroun et celui d’Afrique Central. Et là, il suffit d’avoir les commandes. Avec celle-ci, on a le principe actif et on fait la production.

Quelle est la place du médicament dans la lutte contre le cancer ?

C’est quand même une des bases importantes. C’est vrai que dans le traitement, on a la radiothérapie, parfois la chirurgie, mais au final, même quand on fait la radiothérapie, on ajoute quand même un petit médicament à côté. Donc, le médicament est incontournable dans la lutte contre le cancer. Même quand on fait une ablation d’une partie du colon, on va quand même encore ajouter un petit médicament juste pour accompagner ce processus-là, le temps que tout se reconstitue normalement.

Comment le projet a été accueilli par les officiels et vos confrères ?

Ils trouvent que c’est bien. La question de l’industrie est cruciale. Qu’on le fasse ici permettra d’éviter les ruptures. En plus, on ne va plus dépendre de l’étranger pour nous soigner. C’est d’abord ça la chose qui est importante. Après, si on peut allier ça avec le business, chacun est gagnant-gagnant mais ce n’est pas ça mon objectif.

Quel est donc votre objectif ?

Nous c’est vraiment les médicaments génériques de masse. Ce qui est important pour nous c’est participer aux Objectifs de Développement Durable pour l’Afrique (ODD : Ndlr). Tout ce que nous faisons c’est par rapport aux ODD. On veut créer 500 emplois sur cinq ans ; donner les médicaments de qualité à petits prix, faire le transfert des technologies, former les jeunes aux métiers de l’industrie pharmaceutique et travailler dans le respect de l’environnement écologique. S’il y a une chose qui guide toutes, c’est celle-là. Maintenant, de ce qui est de notre parcours, on a démarré en 2016. En 2017, nous avons obtenu l’agrément ; en 2018, les autorisations de mise sur le marché et en 2019, on démarre. On a commencé avec l’antipaludique puis on a lancé les anti cancéreux. Puis on continue avec la production d’un 3e produit. Nous avons aussi démarré la construction de notre usine. Je suis pharmacien industriel. J’ai fait mes études en France et en Belgique. J’ai complété par une école de formation en management, et une école de commerce en Finance. L’idée pour moi c’est que je suis un leader et je peux avoir tout pour gérer en pharmacie. Ça m’a amené à être directeur dans des sociétés en France et en Belgique. C’est un métier de pression. J’ai appris avec la qualité d’abord. Après avoir fait ce parcours, je me suis demandé ce que je donne comme sens à ma vie ? Continuer à travailler en Europe ? Gagner beaucoup d’argent ou alors rentrer aider à construire le pays ? Quand on se regarde dans un miroir, se dire qu’on a contribué à aider. Le Cameroun importe 95% des produits. J’ai eu cette chance de monter un projet, créer des emplois, travailler avec des jeunes, laisser quelque chose qui va perdurer à travers le temps. Je pense que c’est quelque chose de beaucoup plus noble.

Vous êtes sur la production des antipaludiques et anticancéreux. Pourquoi avoir jeté votre dévolu sur ces deux maladies ?

Le fait d’avoir fait ces choix c’est que simplement, le paludisme est une maladie de masse. Beaucoup de gens ont le paludisme. Comme notre objectif principal est de répondre aux objectifs de développement durable pour l’Afrique et le Cameroun, il faut simplement que nous ayons une valeur ajoutée ; que nous ayons un impact sur la qualité de vie des populations. Donc, on ne peut pas aller produire un médicament qui ne touche pas le quotidien des gens. Le paludisme touche notre quotidien. Si on veut être des gens qui fabriquent les médicaments en Afrique pour l’Afrique, le premier médicament par lequel il faut commencer c’est le paludisme. Maintenant le cancer, c’est important aussi d’être sur les technologies ciblées et le cancer c’est quand même un médicament qui coûte cher, qui est difficilement accessible. Donc, si on veut avoir cette valeur ajoutée en disant en Afrique pour l’Afrique, forcément, il vaut mieux se positionner sur le cancer parce que c’est un médicament rare et Tebimosa Pharmaceuticals répond à cette demande en faisant que le médicament qui était rare soit disponible dans toutes les pharmacies.

Est-ce à dire qu’on a une garantie sur sa disponibilité dans toutes les pharmacies ?

Oui. Parce que nous avons un partenaire qui est un grossiste répartitaire qui s’appelle Laborex. C’est lui qui fourni les pharmacies. Il a tous les stocks à Douala et dispatche dans toutes ses agences à Yaoundé, Bafoussam, Garoua. A partir du moment où il y a une demande dans une pharmacie de Garoua, l’agence de Garoua va appeler la direction régionale le magasin central à Douala en leur disant qu’il a une commande. S’il n’a pas directement un stock sur place, ça va venir de Douala et Garoua aura son stock avancé. Aujourd’hui par exemple, comme les deux grands centres de chimiothérapies au Cameroun sont Yaoundé et Douala, les médicaments sont à Laborex Yaoundé et Douala. Maintenant, si l’hôpital de référence de Garoua fait la demande, Laborex Douala va transférer un stock tampon à Garoua. Mais, en l’espace de 24h, 48h maximum, Garoua aura ses médicaments.

N’est-ce pas parce que vous avez porté votre choix sur des maladies rentables ?

Non. Parce que nous sommes sur des pathologies les plus courantes. Nous voulons toucher, être au service de l’Afrique. On est en Afrique pour l’Afrique. Tebimosa, c’est en Afrique pour l’Afrique. Donc si on est en Afrique pour l’Afrique, on ne peut pas aller faire un médicament pour le rhum, même si le rhum créé des problèmes pour nos concitoyens ; ou un médicament contre les pellicules. Donc, notre objectif ce n’est pas de nous faire de l’argent. C’est vraiment de servir les populations, leur donner une offre de produits de qualité à bas prix. Donc, l’objectif ce n’est pas de nous faire de l’argent.

Rendu à cette étape du projet, quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?

La première c’est déjà le financement parce qu’on est une entreprise auto-financée par quelques actionnaires qui ne sont pas des personnes millionnaires ou milliardaires. Aujourd’hui, on a besoin d’avoir une trésorerie suffisante pour pouvoir faire grandir le projet. Donc, on a besoin de 100 millions pour faire face à nos commandes, aux besoins de trésorerie pour commander les matières premières. Mais également de continuer à aménager notre usine phase 0. Après, on a un investissement de six milliards qu’on va démarrer à partir du mois de juin de façon progressive pendant quatre ans, pour vraiment développer la structure de production. Donc, il faut l’apport des banques ou des fonds d’investissements, ou des actionnaires qui ont peut-être beaucoup d’argent. Après, c’est la facilitation au niveau des démarches. On ne nous facilite pas les choses lorsqu’on doit payer nos fournisseurs. Nous avons du mal à payer nos fournisseurs. Nous sommes une entreprise qui payent les impôts, qu’on a bien identifié, qui fabrique les produits. Quand un fournisseur nous donne des produits, il faut qu’on le paie mais c’est souvent compliqué. Le processus est souvent beaucoup plus compliqué. Nous avons des difficultés à payer à l’extérieur. Ça demande des autorisations, parfois des déclarations d’importations. Et tout ça c’est lourd. Si on nous permettait de pouvoir de façon légale sur la base des factures, de payer facilement les fournisseurs ce serait déjà quelque chose. La Douane est beaucoup trop chère. Du coup, ça diminue la rentabilité et ça peut être un frein pour la pérennité d’une usine comme nous. J’ai par exemple fait venir un thermomètre que j’ai acheté à 30 000 Fcfa. J’ai payé 75 à 80 000 Fcfa de Douane. Ce n’est pas normal. Alors que c’est juste un thermomètre pour contrôler la température du local de production. On a beau le leur expliquer. Donc ce serait bien que le gouvernement nous facilite un peu les choses au niveau des procédures.

Des projets comme le vôtre dans l’industrie pharmaceutique ont malheureusement fait faillite ou n’ont pas marché. Qu’est ce qui garantit aujourd’hui que Tebimosa ne connaîtra pas le même sort ?

C’est une très bonne question. Je pense que c’est l’investissement progressif que nous faisons. C’est cela qui va nous aider. C’est peut-être cette nouvelle vision du gouvernement parce que le plan stratégique du gouvernement du Cameroun à l’émergence 2035, a quand même introduit la pharmacie dans les 5 piliers. Aujourd’hui, nous travaillons beaucoup avec le Minepat (ministère de Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire : Ndlr) qui a émis un vœu très fort de nous appuyer. Ça ne s’est pas encore matérialisé ; il y a aussi le ministère des petites et Moyennes entreprises qui est très sensible à cette initiative. Donc, si on a cet appui et cet accompagnement plus le fait qu’il y a la préférence nationale si elle se manifeste d’un point de vue fourniture c’est-à-dire il y a la Cename. Si elle dit qu’on a une préférence pour le « Made in Cameroon », si tout ça se met en place et qu’on a des aides au niveau des Douanes, des Impôts, je pense qu’il n’y pas de raison que l’aventure ne perdure pas. Autre chose, c’est la gouvernance et les personnes qui sont à la tête de l’entreprise. Je pense que mon expertise de pharmacien industriel, de dirigeant depuis 20 ans fait quand même que j’ai de la rigueur, le sens de la gestion et puis, le pragmatisme aussi qui font que ça va aider Tebimosa à grandir selon les petits pas. Donc on fait un pas, on se stabilise ; on monte un autre escalier, on se stabilise. L’idée n’est pas de faire un bond tout de suite et d’être sur une base qui est très fragile.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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