Dr Marileine Kemme Kemme : « Il faut qu’on puisse véritablement implémenter cette loi au niveau pratique »

Le médecin addictologue par ailleurs chef du Centre de soins d’accompagnement et de prévention en Addictologie à l’hôpital Central de Yaoundé revient sur la mesure interdisant la Chicha au Cameroun, comment s’assurer de son applicabilité et les dangers de cette pratique pour la santé.

Comment l’addictologue que vous êtes avez accueilli la mesure d’interdiction de la Chicha au Cameroun ?

L’interdiction de la Chicha est une bonne nouvelle à la fois pour les fumeurs et les non-fumeurs. Parce que si on prend uniquement le tabagisme simple, le gros danger c’est qu’il y a deux principes actifs : Il y a la nicotine qui créée la dépendance et il y a les autres éléments comme le goudron, le moroxite de carbone. Donc tout ce qui fait la fumée. C’est cette fumée qui apporte la myriade de maladies qu’on connaît comme le cancer, tant pour le fumeur actif que passif c’est-à-dire ceux qui inhalent cette fumée qui sont à côté. C’est pour cela que nous mettons l’accent sur le tabagisme parce qu’il y a le danger sur le tabagisme passif. Donc, les non-fumeurs sont également en danger. Et pourquoi nous sommes très contents pour la Chicha ? Parce que le premier élément de la Chicha est sa composition. Dans la Chicha il n’y a pas que les feuilles de tabac. On peut mettre les feuilles de tabac la plupart du temps mais certains ajoutent d’autres substance, d’autres drogues pour potentialiser l’effet de la Chicha. Donc on se retrouve avec quelqu’un qui en consomme, le sachant ou pas. On sait que le tabac fait partie des stimulants qui éveillent le système nerveux. Mais quand l’on a déjà des hallucinations, ça veut dire qu’on a ajouté du cannabis par exemple et c’est ça qui provoque l’effet hallucinogène. Donc il y a ce premier élément.

Quel est le 2e élément qui rend la Chicha si dangereuse ?

Le deuxième élément de dangerosité de la Chicha c’est le mode d’administration c’est-à-dire par voie inhalée, par voie fumée. Ça va directement dans le cerveau et ça demande seulement 7 à 10 secondes pour y arriver. Donc l’effet est directement immédiat. C’est différent de celui qui prend un comprimé comme le tramadol qui prend 7 à 10 minutes avant d’agir ; ou celui qui s’injecte. Donc la voie fumée est la plus dangereuse comme mode d’administration. C’est cet élément de dangerosité-là qui est très important à souligner et c’est pour ça que nous sommes heureux de cette interdiction parce qu’elle nous aide dans la lutte. Nous faisons beaucoup de sensibilisation à l’hôpital mais, la personne rentre dans son quotidien, arrive dans un milieu même si elle est dans son costume, son processus de sevrage, elle va quand même fumer parce que quelqu’un sera en train de fumer sa Chicha à côté. Donc cela annule les efforts qui sont fait au niveau de l’hôpital. Le fait que dans le café on pourra tranquillement aller sans risque de fumer, nous ne pouvons être que content. A travers ce genre de loi, l’Etat protège la population.

Sauf que le constat fait état de ce que la Chicha continue de faire de la résistance…

L’application de cette mesure ne risque-t-elle pas d’être butée à la résistance actuelle que continue de faire la Chicha ?

Effectivement, elle continue de faire de la résistance parce que les enjeux sont ceux que l’on connaît c’est-à-dire pécuniaires. Il y a de gros fonds qui sont parfois déversés dans ce business.

Finalement, cette décision n’était pas précipitée au regard de ce qui se passe avec la vente illicite des médicaments ?

Il ne s’agit pas d’une décision précipitée. Nous l’appelions de tous nos vœux. Devrions-nous attendre que nos enfants se tuent tous à la fumée ? Non. Certes, il y a un problème dans l’applicabilité des textes et ce sont les administrations qui doivent tout mettre en œuvre pour que les textes soient appliqués tout simplement. La tutelle qui a décidé de cette loi doit pouvoir faire le suivi et se rassurer que dans ses organes chargés du suivi, que cela est respecté. Maintenant, ça peut prendre du temps mais il faut que ce soit véritablement respecté et qu’à un moment donné, on se rende compte qu’on ne trouve plus de chicha dans les lieux publics.

Tel est le cas avec les paquets de cigarette toutes revêtus d’emballages avec des images sur les dangers de la cigarette comme cela avait été arrêté ?

Le plus important c’est qu’il faut voir aussi le verre à moitié plein. Il faut reconnaitre les efforts qui ont été fait. Il y a toujours un temps de réaction par rapport aux décisions quand elles sont prises. Il y a une majorité de paquet de cigarette qui ont ces images. C’est déjà systématique. Mais, il faudrait poursuivre les efforts pour que les gens arrêtent d’acheter les cigarettes même avec ces images-là. Il faudrait qu’au niveau de cette nouvelle loi concernant la Chicha, que des efforts soient également fait pour qu’au niveau pratique, qu’on puisse implémenter véritablement cette loi.

Comment s’assure-t-on de l’applicabilité de cette décision ?

Il y a un problème dans l’implémentation des textes et c’est un problème camerounais. Cela veut dire que les forces de l’ordre qui sont dans la lutte contre le trafic doivent entrer en jeu et s’investir. D’ailleurs c’est le ministère de l’Administration territoriale qui a pris ses responsabilités. Maintenant, toutes les autres sectorielles qui rentrent en jeu doivent pouvoir agir. Il y a toute une section qui lutte contre le trafic et ceux qui interviennent au niveau du contrôle qualité doivent également jouer leur rôle.

Pouvez-vous rappeler à nos lecteurs à quoi s’exposent les consommateurs de la Chicha et leur entourage ?

Elles s’exposent aux mêmes dangers que celles qui fument la cigarette. Ça veut dire que c’est une consommation de drogue ou de substance pro active de manière large. Cela entraine la dépendance de l’individu à une substance dans un premier temps et ça entraine une myriade de maladies : maladies cardiovasculaires, hypertension, diabète, fracture du myocarde, maladies coronariennes, AVC, etc. Ça entraine également les fameux cancers que nous connaissons tous : les cancers de la gorge, des poumons, du foie, des reins. Cela entraine même les troubles de la peau puisqu’il y a des maladies de la peau qui empêchent l’oxygène d’arriver dans les tissus. Donc il y a un vieillissement précoce de la peau, des lésions cutanées qui trainent à guérir. Donc, il peut avoir un impact sur la sexualité, la baisse de la libido, un désintérêt pour l’activité sexuelle, un trouble de l’érection et des enfants qui vont naitre avec des malformations que ce soit chez l’homme ou chez la femme. Et ce qui est extrêmement grave et dommage, c’est que les gens autour du non-fumeur vont également fumer et avoir des maladies parce que c’est la fumée et toutes les substances cancérigènes qui y sont contenues et qu’ils vont consommer.

Olive Atangana

Journaliste diplômée de l'École supérieure des sciences et techniques de l'information et de communication (Esstic) au Cameroun. Passionnée et spécialisée des questions de santé publique et épidémiologie. Ambassadrice de la lutte contre le paludisme au Cameroun, pour le compte des médias. Etudiante en master professionnel, sur la Communication en Santé et environnement. Membre de plusieurs associations de Santé et Politique, dont la Fédération mondiale des journalistes scientifiques (WFSJ) et le Club des journalistes politiques du Cameroun (Club Po). Très active sur mes comptes Tweeter et Facebook.

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