(Lurgentiste.com) – L’arrestation du Dr Annie Njiwa, jeune médecin en service au Centre Médical le Jourdain à Yaoundé, fait grand bruit dans le landerneau médical camerounais. La mise en détention provisoire à la prison de Kondengui de ce médecin et de deux de ses collègues Etoundi Mendana Julien Amour (infirmier diplômé d’Etat) et Mvondo Engamba Dieudonné (infirmier anesthésiste), provoque l’indignation des blouses blanches.
Dans cette affaire d’homicide involontaire où les prévenus sont soupçonnés de négligence médicale ayant entraîné la mort d’un nourrisson de sept semaines, des médecins s’offusquent sur la manière dont est conduite la procédure judiciaire. Dans un communiqué daté du 14 octobre, le Syndicat des médecins du Cameroun (Symec) parle d’« un processus plus que questionnable » et entaché « des vices de procédure ».
Bataille pour la liberté… provisoire
Pour ses responsables l’indignation est au comble. « On ne peut jeter en prison un médecin en fonction de cette manière. Ce sont des choses qui ne sont pas acceptables », s’exaspère un membre du bureau. Dans l’optique d’obtenir une liberté provisoire pour les trois personnels incarcérés depuis le 10 octobre dernier et leur permettre de comparaître libres, le mouvement syndical fait pression sur les autorités judiciaires en charge du dossier. « La faute médicale n’a pas encore été établie », avance un avocat.
Cette position est également partagée par le Réseau des médecins de districts du Cameroun (Remedic). Dans une sortie épistolaire, cette association « appelle à la libération immédiate du Dr Njiwa Annie et de ses codétenus afin qu’ils puissent comparaître libre » et se porte garant d’eux. L’Association camerounaise des femmes médecins (Acafem) formule un vœu identique. « Conscient de la responsabilité médicale et des risques inhérents à tout acte professionnel », l’Acafem « souhaite et demande que les inculpés présumés innocents, Dr Njiwa Annie, Mr Mvondo Engamba Dieudonné et Mr Etoundi Mendana Julien puissent voir cette détention préventive suspendue », déclare-t-elle dans un communiqué signé le 17 septembre dernier.
Au-delà de la sphère médicale
L’inquiétude qui déborde désormais la sphère médicale a poussé certains leaders d’opinion à se prononcer publiquement sur cette affaire. C’est le cas du journaliste Parfait Nicolas Siki. « Si un médecin peut aller en prison pour une présomption de faute médicale, alors il n’y aura pas assez de places dans nos pénitenciers pour accueillir tous les personnels de santé qui seront accusés à tort ou à raison. C’est une question fondamentale. Quelle que soit l’influence d’un plaignant, on ne doit pas changer les règles communes de la vie sociale », a commenté le directeur de Publication du journal INfo+.
Pour ce dernier, « ce que la justice crée comme jurisprudence est sans doute fondateur d’un nouveau type de rapports que le personnel médical va avoir avec les patients (…) Nos soignants, dont le silence devant cette actualité interpelle, se demandent déjà sans doute s’ils ne risquent pas la prison à chaque intervention médicale. Peut-être nous feront-ils signer désormais une attestation de non-poursuite judiciaire avant d’entrer au bloc opératoire », écrit-il sur sa page Facebook.
Silence comateux à l’Ordre des médecins
Toujours est-il que depuis le mois de mars où ce scandale a commencé, le silence de l’Ordre national des médecins du Cameroun (ONMC) est assourdissant. Une situation « consternante pour cette corporation ». Car, « Normalement c’est l’Ordre des médecins qui devrait se déployer et permettre à son membre de bénéficier d’un procès équitable ». Mais, l’ONMC n’est plus fonctionnel depuis plus d’un an… au détriment du Dr Njiwa qui doit se battre quasi seule pour défendre ses droits. Toutefois, des syndicats et associations de médecins se mobilisent tant bien que mal pour constituer un collège d’avocats et lui apporter leur soutien financier et psychologique. Mais, pour l’heure, leur action reste infime.
Le Minsanté mis à l’index
Dans la controverse suscitée par cette incarcération, un doigt accusateur est pointé contre le ministère de la Santé et son patron. Là où certains médecins constatent l’absence de soutien du ministre de la Santé envers les personnels de santé, d’autres, plus acerbes, accusent l’autorité tutélaire d’avoir jeté en pâture le Dr Njiwa et ses collègues. Pour appuyer ces accusations, l’on évoque la décente effectuée par Manaouda Malachie à la clinique Le Jourdain au plus fort du scandale. « Le récit des faits met en évidence des défaillances graves dans la prise en charge du bébé reçu le 31 mars. Entre autres éléments, l’indisponibilité d’un pédiatre, la manipulation de l’enfant par un personnel non qualifié, l’accord verbal (non expressément écrit) par la famille pour une ponction lombaire sur ledit enfant après un refus préalable », avait alors rapporté la cellule de communication du Minsanté.
Dans l’entourage du ministre de la Santé, ces accusations sont mal perçues. « Si ces personnels étaient en service dans un hôpital public, le ministère aurait réagi. De plus, personne n’a écrit au Minsanté et appeler au secours. Pas même l’employeur », défend une source proche du dossier au sein de ce département ministériel. Ce haut fonctionnaire note au passage comme pour le regretter, que « dans cette affaire, la responsabilité médicale est occultée ». Pourtant, « la mort de cet enfant part de ce qu’un médecin dit qu’il ne sait pas faire une ponction lombaire selon nos informations », charge notre source. Et d’ajouter « D’après des informations qui nous parviennent, la responsabilité du personnel et de la clinique sont potentiellement fortement engagées ». La situation est complexe d’autant plus qu’« Il faut tenir compte de la souffrance de la famille et du mal-être des médecins ».
Sauf que, « c’est une fuite en avant », rétorque un acteur et fin connaisseur du milieu médical. Il convoque pour cela, l’affaire Hilaire Ayissi Mengue. « La responsabilité des médecins était tout aussi engagée mais on a vu un ministre de la santé descendre sur les lieux, défendre ces derniers et torpiller l’affaire jusqu’au niveau judiciaire. La preuve, le dossier piétine et à son niveau, le rapport de l’enquête administrative n’a jamais été rendu public », argumente-t-il.
Aux sources du scandale
L’affaire remonte au 31 mars 2023. Ce jour-là, un bébé prénommé Andréa est admis au centre médical Le Jourdain. Dans les soins qui lui seront administrés, le personnel soignant va procéder à une ponction lombaire. Malheureusement, le nourrisson de 7 semaines décède le 2 avril. Julienne Ezembe, la mère, va accuser le personnel d’avoir « tué » son enfant et saisir le Minsanté et la Justice.
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