Cameroun. L’œuvre d’Alim Hayatou vue par les acteurs de la santé
Alim Hayatou repose désormais à Garoua, sa ville natale. Le secrétaire d’Etat auprès du ministère de la Santé publique chargé de la lutte contre les épidémies et pandémies a tiré sa révérence à 75 ans, le 5 avril 2021 à Yaoundé, de suites de maladie. De sources médicales, il a été testé positif au Covid-19. Après 25 années passées à ce poste, ce haut commis de l’Etat était devenu un acteur de poids dans le domaine de la santé au Cameroun. De par son portefeuille de Sétat, ce haut commis de l’Etat était un maillon essentiel du dispositif de riposte contre le choléra, la poliomyélite, la rougeole, le paludisme et la méningite, etc. Ces derniers mois, l’ex numéro 2 du Minsanté s’est illustré dans la lutte contre la pandémie mondiale au nouveau Coronavirus qui rentrait dans son cahier de charge.
D’ailleurs, sa dernière apparition publique dans le cadre de cette riposte nationale contre cette maladie infectieuse remonte au 25 mars dernier, lors de la remise d’un don de matériel destiné à renforcer l’accès au diagnostic contre le Covid-19, offert au Laboratoire national de santé publique. « Il ne manquait jamais une occasion de sensibiliser à chaque fois sur le danger que représente le Covid-19 et la nécessité de respecter les mesures barrières », confirme le Dr Yaya Alhadji Adam, chef du district de santé de Kousseri. Aussi, « Dans le cadre de la lutte contre les épidémies notamment le choléra, la méningite, Ebola et encore plus avec le Covid-19, il était toujours sur le terrain. Lors de sa récente visite ici dans la région de l’Adamaoua justement, nous avons visité tous les sites réquisitionnés dans le cadre de riposte contre le Covid-19 de la région », révèle le Dr Yaou Alhadji Zakari, délégué régional de la Santé pour l’Adamaoua.
Au moment où il quitte la scène politique et sanitaire camerounaise, Alim Hayatou travaillait sur la mise en place d’une task force pour l’élimination du paludisme, une maladie qui a causé plus de 11 000 décès d’après un rapport de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Et si ce projet lui tenait à cœur, c’est désormais sans lui qu’il sera finalisé. Dans le milieu sanitaire et administratif, l’œuvre d’Alim Hayatou est incontestable. « Si on regarde les résultats obtenus par le Cameroun en matière de lutte contre certaines maladies à l’instar du Sida, de la tuberculose, on peut bien dire que le secrétaire d’Etat a beaucoup apporté dans ce secteur en particulier », reconnaît le Dr Albert Ze, économiste de la Santé.
En fait, Selon l’EDS 2018, le taux de prévalence du VIH est passé de 4,3% en 2011, à 3,4% en 2018 pour chuter à 2,7% au 1er décembre 2020. Entre 2015 et 2019, on a noté une baisse de décès liés au VIH de 47. De plus, 80 % des femmes enceintes PVVIH avaient accès à des antirétroviraux afin d’empêcher la transmission de la mère à l’enfant (TME) ; ce qui a évité 4200 nouvelles infections parmi les nouveau-nés. Depuis ces dernières années, les chiffres de la tuberculose sont également en baisse. En 2020, 22 251 personnes ont été touchés par cette maladies infectieuse. De 271 000 cas pour 1 000 d’habitants en 2009, le pays est passé à 95,5 cas pour 1000 habitants en 2019. « Nous le garderons toujours en mémoire comme exemple dans le cadre de la lutte contre les épidémies et pandémies dans le pays », soutient le Dr Alhadji Zakari.
Offre infrastructurelle
Mais au-delà de son implication dans la lutte contre les épidémies en pandémies, celui qui s’est éteint à l’hôpital général de Yaoundé s’est aussi investi dans l’offre infrastructurelle sanitaire. Son empreinte y est perceptible dans l’ensemble du pays en général, et particulièrement dans le Grand-Nord. A titre d’exemple, c’est à lui que les populations de cette partie du pays doivent la création des Centres de santé intégrés (CSI), une initiative qui vise à apporter une meilleure offre de soins de qualité aux populations des trois régions septentrionales.
Dans la même veine, la rénovation de l’hôpital régional annexe de Garoua avec un plateau technique « acceptable » (imagerie, scanner, etc) tient au moins en partie à sa réalisation. C’est encore lui qui a veillé aux affectations des médecins spécialistes dans le Nord, souffle le directeur d’un hôpital de District. En effet, le Sétat et non moins Lamido de Garoua s’est toujours montré soucieux du bien-être de sa communauté. « Il était très intéressé par les investissements qui se passaient dans sa zone du Septentrion », confie le Dr Abena Jean Louis, ancien Secrétaire permanent du Programme national de lutte contre la tuberculose (Pnlt). Ce médecin de santé publique garde en mémoire plus d’une anecdote au cours des séances de travail avec l’illustre disparu.
« J’arrive dans son bureau un jour et je lui présente un dossier dans lequel se trouve la mise en place des machines d’une expert dans chaque région. Je cite les régions dans lesquelles je vais placer les machines et de manière délibérée, j’omets de mentionner Garoua pour atterrir à Maroua. Il sursaute. Quand je vois sa réaction, je le rassure qu’effectivement nous avons aussi fait installer une machine à Garoua pour commencer», relate ce dernier. Dans l’Adamaoua, l’un des derniers projets initiés par le défunt Sétat était relatif à l’immatriculation du patrimoine foncier appartenant à l’administration sanitaire publique. Dans le but de sauvegarder les biens de l’Etat, Alim Hayatou demandait alors aux responsables régionaux du Minsante de procéder au recensement des terrains non-titrés mis à la disposition des projets sanitaires relevant du portefeuille de l’Etat.
Mémoire du Minsanté
Alim Hayatou a passé un quart de siècle au poste de Setat au Minsanté. Il a intégré le gouvernement le 19 septembre 1996 et a passé l’essentiel de sa carrière administrative à ce poste au Minsanté. Il a ainsi vu passer six ministres dont le Pr Titus Edzoa, le Pr Monekosso, Laurent Esso, André Mama Fouda et Urbain Olanguena Awono. « Ensemble, nous avons parcouru le Cameroun pendant plus de six ans pour apporter les services de santé, riposter aux crises et sauver des vies jusqu’à Darack, au milieu du Lac Tchad », se remémore l’ancien ministre Olanguena Awana. En réalité, Alim Hayatou était « La mémoire de ce ministère vu sa longévité au même poste. C’est par exemple lui qui a présidé l’oraison funèbre du Pr Monekosso », avance le Dr Guy Sandjon, président de l’Ordre national des médecins du Cameroun (Onmc). Pour lui, on ne reste pas à un poste ainsi par hasard. Alim Hayatou devait cette longévité gouvernementale à « la grande intelligence qui le caractérisait », soutient Guy Sandjon.
Depuis l’annonce de son décès lundi dernier, la chaîne d’hommages et d’éloges à l’endroit du défunt ne s’estompe pas. Le Dr Adidja Amani avait encore la voix enrouée au soir de ce funeste jour lorsque nous la sollicitons pour sacrifier à cet exercice. Tant le choc causé par la disparition « rapide et brutale » de celui qui était comme un père pour le Sous-directeur de la vaccination (SDV) au Minsanté, la laisse sans voix. « On ne l’a pas vu partir », répète-t-elle inlassablement. C’est que, 48 heures après ce décès soudain, l’émotion est encore à son comble. Et ce n’est pas le Dr Djamilatou Leila, délégué régionale de la Santé publique pour le Nord, qui va le démentir, elle qui perd « son guide et mentor ». Difficile donc, de lui arracher un témoignage. « Nous sommes encore tous sous le choc. Vous comprenez que je ne puisse pas m’exprimer », fait-elle savoir. Emue.
Patron diligent
Au sein des ordres professionnels du secteur de la santé, on salue à l’unanimité, la mémoire d’un homme affable, unique, de paix, d’une grande humilité, rassembleur, charismatique, soucieux de sa communauté. « Ce qui était aussi marquant chez lui c’était sa grande discrétion et écoute. Il ne faisait pas de vagues. Il savait trouver les mots justes orienter une réunion », confient le Dr Ampoan Christophe, ancien vice-président de l’Ordre national des pharmaciens du Cameroun. De plus, « Sur le plan professionnel, c’était un monsieur expéditif dans le traitement des dossiers et qui recevait systématiquement ses collaborateurs qui le sollicitait. Il trouvait toujours du temps pour les recevoir. C’est rare », témoigne le Dr Adidja Amani.
« Avec lui, tous les problèmes trouvaient une solution dans une extraordinaire célérité », ajoute le Dr Guy Sandjon. Effacé, ce membre du gouvernement se caractérisait en outre par « l’écoute attentive, la réactivité, la prise en compte de toute la diversité du Cameroun dans la prise des décisions à son niveau », lui rend hommage le Dr Abena. De fait, « C’était un grand monsieur. On s’en rendra compte plus tard », prédit le président de l’Onmc.
Autant dire comme le Premier ministre Joseph Dion Ngute que cet inspecteur du Trésor, diplômé de l’Ecole nationale du Trésor de France en 1971 « a servi le Cameroun avec fidélité, dévouement et loyauté en tant que membre du gouvernement ». D’ailleurs le président de la République Paul Biya a décrété des obsèques officielles pour honorer la mémoire du disparu.